Directeur général pour le Québec de la fondation David Suzuki et président du Projet de la réalité climatique Canada d'Al Gore.

Le Canada aurait-il raison de se retirer du protocole de Kyoto? Comment interprétez-vous l'intention du gouvernement Harper au moment où s'amorce la conférence de Durban sur les changements climatiques? LES COMMENTAIRES DOIVENT ÊTRE SIGNÉS. MAXIMUM DE 150 MOTS.

Karel Mayrand

Directeur général pour le Québec de la fondation David Suzuki et président du Projet de la réalité climatique Canada d'Al Gore.



DÉCOTE DE CRÉDIBILITÉ




En annonçant son intention de se retirer du protocole de Kyoto, un accord juridiquement contraignant, le Canada s'apprête à ternir pour longtemps une réputation déjà mise à mal par ses tergiversations dans le dossier des changements climatiques depuis une quinzaine d'années. La crédibilité de tous les engagements du Canada à l'échelle internationale subira des dommages permanents, que ce soit sur les dossiers de commerce international, de développement ou de sécurité. Les changements climatiques sont la plus importante menace à la sécurité et à l'économie canadienne au cours de ce siècle. En refusant d'agir sur cette question, le gouvernement fédéral renie non seulement sa parole, mais il renie également la volonté d'une majorité de Canadiens de toutes allégeances politiques et les intérêts des générations à venir. Tout cela au profit d'une seule industrie qui nous enrichira à court terme mais qui laissera aux Canadiens des prochaines générations une catastrophe environnementale à nettoyer, une réputation ternie et une base industrielle énergivore et à forte intensité en carbone dans une économie mondiale désormais portée par la productivité, les technologies vertes et l'innovation. La cote de crédibilité de notre pays est désormais sous surveillance.

PHOTO FOURNIE PAR KAREL MAYRAND

Karel Mayrand.

Gaétan Frigon

Président exécutif de Publipage inc. et ex-PDG de la SAQ et de Loto-Québec.



CESSONS D'ÊTRE HYPOCRITES



La chasse aux phoques a longtemps été le cheval de bataille utilisé par certains groupes pour démontrer que le Canada était un mauvais élève et devrait être mis en punition par les autres pays. Aujourd'hui, la chasse aux phoques a été remplacée par le développement des sables bitumineux comme outil privilégié pour démontrer que le Canada ne veut rien faire pour limiter les dommages causés par les changements climatiques. Toutefois, il y a une chose qui est évidente : il est impossible pour le Canada de rencontrer les normes établies par le protocole de Kyoto si le développement des sables bitumineux continue ou s'intensifie à l'avenir. C'est aussi simple que cela. On se souviendra que les normes du protocole de Kyoto avaient été acceptées par l'ancien gouvernement libéral qui, selon les mauvaises langues, savait à l'époque qu'il était impossible de les atteindre tout en continuant à développer les sables bitumineux. Donc, si le Canada se retire du protocole de Kyoto, il ne fera qu'officialiser le fait que les objectifs établis sont inatteignables. Difficile donc de blâmer le gouvernement Harper de dire tout haut ce que tout le monde sait déjà, à savoir que le développement des sables bitumineux et le protocole de Kyoto ne vont pas ensemble. Conférence de Durban ou pas, le développement des sables bitumineux en Alberta va continuer envers et contre tous. Aussi bien alors se retirer de Kyoto plutôt que d'être hypocrite.

PHOTO FOURNIE PAR GAÉTAN FRIGON

Gaétan Frigon.

Pierre-Yves McSween

Comptable agréé, enseignant au cégep régional de Lanaudière et chargé de cours à HEC Montréal.



NOUS SOMMES DES LÂCHEURS   



Le gouvernement Harper a constaté que le Canada n'atteindrait jamais les cibles de Kyoto. Ni son gouvernement, ni le précédent n'ont fait les efforts pour y arriver. Ainsi, il pourrait s'agir d'un geste pragmatique. Le véritable problème, c'est que le Canada ne tient pas parole d'aller jusqu'au bout de ses engagements. Pour l'image internationale du Canada, nous venons d'ajouter une ombre au tableau. Nous sommes des lâcheurs: des irresponsables face à nos engagements. Les conservateurs exigent que tous les pays industrialisés s'engagent, ils ont raison selon ce point de vue. Par contre, ne pas agir tant que les autres pays ne s'engageront pas, c'est manquer de vision à long terme. Les relations diplomatiques sont difficiles, il faut parfois faire un premier pas. Kyoto, c'était ce premier pas. L'humanité manque de sérieux et de compréhension de ce qu'est un écosystème. On ne peut pas s'inquiéter de notre environnement qu'au jour où l'économie va bien. La planète Terre n'est pas au courant que l'économie de marché existe. La planète Terre fonctionne sous une autre logique.  Certains phénomènes naturels sont difficiles à renverser, mais surtout difficiles à percevoir avec précision. Nous sommes en 2011 et j'ai honte d'être Canadien. Mais ça, on s'en moque pourvu qu'on puisse avoir un VUS, une maison en banlieue, un voyage dans le sud annuel et dire à nos enfants qu'ils nous sont précieux. Voilà une dose d'incohérence généralisée n'est-ce pas?

Pierre-Olivier Pineau

Professeur agrégé à HEC Montréal.



RÉDUIRE LES GES POUR RELANCER L'ÉCONOMIE



Le Canada, comme beaucoup de pays et de consommateurs, ne comprend pas que les efforts de réduction de gaz à effet de serre, au contraire d'être des coûts, sont des investissements dans la productivité de notre économie. Même si on ne croit pas aux changements climatiques, il serait bon, d'un point de vue strictement économique, de réduire nos GES. Pourquoi? La raison en est simple: nous émettons des GES principalement dans le transport routier - basé sur les automobiles individuelles - qui non seulement coûte cher aux ménages (au Québec uniquement, 30 milliards par année en dépenses des ménages, le même montant que le budget de la santé!), mais induit de la congestion, des accidents, du bruit, de la pollution de l'air, une baisse de l'activité physique et gruge tranquillement les meilleures terres agricoles à travers l'étalement urbain. Revoir les transports, mais aussi exporter davantage d'hydroélectricité, améliorer l'efficacité énergétique des bâtiments, cesser de subventionner l'agriculture et l'élevage industriel sont quatre chantiers majeurs où des réductions importantes de GES pourraient être obtenues... tout en nous rendant plus riches, à travers une productivité accrue. Le Canada devrait donc embrasser les objectifs de Kyoto, pour l'urgence des changements climatiques, mais aussi pour relancer la croissance. Si le gouvernement Harper refuse d'agir, c'est qu'il n'a qu'une vision extrêmement étroite de la question, qui se limite aux intérêts à court terme de l'industrie pétrolière.


Adrien Pouliot

Président de Draco Capital Inc., société d'investissement privée, et membre de la commission politique de l'ADQ. Il s'exprime à titre personnel.



UNE MANIGANCE



Comme l'a dit le ministre Peter Kent, les rumeurs à l'effet que le protocole de Kyoto est encore en vie sont grandement exagérées...  De toute façon, que le Canada se retire tout de suite ou plus tard importe peu parce que: 1) le protocole expire fin 2012; 2) le protocole ne lie pas le Canada; 3) plusieurs pays ont aussi annoncé qu'ils se retiraient du protocole. Le Canada met donc Kyoto de côté pour commencer à Durban le processus qui mènerait à un nouvel accord qui, lui, liera tous les pays émetteurs.  Kyoto ne régissait que 17% des émissions de GES mondiales et excluait les États-Unis, la Chine, l'Inde et le Brésil... alors bonne chance, M. Kent!  Je ne pleurerai pas l'échec facilement prévisible de Durban : Kyoto n'était une manigance pour effectuer un transfert massif de richesse vers les pays «pauvres».  Il aurait coûté 3500$ par famille canadienne par année.  Comme le disait «l'environnementaliste sceptique» auto-proclamé Bjorn Lomborg, Kyoto aurait, au mieux, réduit la température de 0,2° C au cours du XXIe siècle à un coût de 180 milliards$ par année.  Ce qui a fait dire à certains commentateurs que les environnementalistes sont comme des melons d'eau : verts à l'extérieur mais rouge communiste à l'intérieur!



Adrien Pouliot

Daniel Landry

Professeur de sociologie au collège Laflèche.



GÊNANT D'ÊTRE CANADIEN



Depuis leur prise de pouvoir en janvier 2006, les conservateurs refusent d'imposer des cibles contraignantes de réduction des gaz à effet de serre aux industries canadiennes. Les budgets d'Environnement Canada et de Ressources naturelles Canada ont été réduits substantiellement. Et pendant que le discours sur le prétendu développement durable canadien se dilue chaque année, les lobbies pétroliers continuent de dicter les orientations économiques du pays. Enfin, sur le plan international, non seulement le Canada n'est plus un leader dans la lutte aux changements climatiques, mais il est devenu un saboteur. Dans toutes les tentatives pour garantir un avenir à notre planète (et à nous-mêmes, évidemment), le gouvernement canadien joue la carte du climato-scepticisme. Dans un tel contexte, pas très surprenant que le gouvernement de Stephen Harper souhaite se retirer du protocole de Kyoto. Ironiquement, compte tenu du négationnisme environnemental du Parti conservateur, il faudrait même applaudir sa cohérence. Avant de recevoir les premières sanctions pour non-respect du traité, le Canada s'éclipse. C'est en quelque sorte une manière de se soustraire d'une éventuelle participation, même indirecte, à des mesures concrètes écologistes à portée internationale (la mise en place d'une bourse mondiale du carbone par exemple). Gênant d'être canadien!

Nestor Turcotte

Philosophe et théologien.



LES PROTOCOLES INUTILES?



Jadis, les pays signaient entre eux des traités. Ceux-ci étaient respectés ou tombaient carrément dans l'oubli, le temps aidant. Les barrières entre les pays étant tombées, on signe maintenant des «protocoles». Tout protocole pose deux éléments: des règles établies en préséance; engagement à les respecter. En mots d'aujourd'hui: des mécanismes d'observance. Le Canada a signé le protocole de Kyoto. Depuis ce temps, Stephen Harper, sans doute manipulé par de grands intérêts financiers pétroliers internationaux, affirme que les objectifs de Kyoto sont «irréalistes et inaccessibles et que le gouvernement ne peut plus honorer ses engagements de réduction des GES». La pollution canadienne vient des énormes gisements de sables bitumineux en Alberta. Le Canada, étant le premier fournisseur de pétrole brut des États-Unis, subit certes des pressions de l'Oncle Sam pour que le brut coule toujours en abondance vers le Sud. Les États-Unis siphonnent le Nord et ainsi, évitent de polluer le Sud. Le Sud respecte davantage le protocole de Kyoto en polluant le Nord et se décharge de ses responsabilités en renvoyant le tout vers le Canada.

Le Canada est une confédération et donne aux provinces le pouvoir de gérer, de légiférer l'exploitation des ressources naturelles. Pourquoi l'Alberta ne légifère-t-elle pas elle-même sur ces questions aussi fondamentales? La raison est simple. Le gouvernement majoritaire de Stephen Harper est en place majoritairement grâce à la quasi-unanimité des électeurs de l'Alberta, province la plus polluante au pays. Pas étonnant qu'Harper veuille faire plaisir à ses commettants pollueurs de l'Ouest canadien en proclamant qu'il «ne peut respecter ses engagements de réduction de GES».

PHOTO TIRÉE DU SITE WEB DE NESTOR TURCOTTE

Nestor Turcotte.

Jean Gouin

Directeur général de la Fédération des médecins résidents du Québec.



SUIVRE POUR MIEUX SÉDUIRE



Vouloir se retirer du protocole de Kyoto à ce moment-ci, sous le seul prétexte que ce protocole est chose du passé, ne tient pas la route. L'intention du ministre de l'Environnement du Canada, Peter Kent, qui doit se rendre à Durban pour négocier un nouveau protocole auquel s'associeraient les États-Unis, la Chine, la Russie, au fait, tous les réfractaires de celui de Kyoto, frise la démagogie. D'ailleurs, demain matin, le «protocole» de Durban deviendra lui aussi rapidement chose du passé. L'intérêt du protocole de Kyoto résidait dans les cibles que l'on s'était engagé à atteindre. Force est de constater que le gouvernement du Canada a changé radicalement de position depuis que celui-ci, sous la houlette de M. Harper, privilégie l'extraction pétrolière, notamment à partir des sables bitumineux. On favorise le développement économique, coûte que coûte, sans égard aux normes environnementales... ou presque. Lorsqu'on vit en période économique incertaine, on doit parfois prioriser et faire des choix difficiles. Mais, actuellement, ceux-ci se font au détriment de notre environnement. Qualifier l'accord de Kyoto de bourde, comme l'a fait Peter Kent, me fait dire que le présent gouvernement canadien n'a que faire de l'environnement. Est-ce que le protocole de Durban nous permettra d'atteindre des cibles qui amélioreront l'environnement? J'en doute sérieusement, surtout si tous les réfractaires de Kyoto y adhèrent. Les cibles à atteindre risquent de devenir essentiellement des voeux pieux. Pour l'heure, le Canada en est réduit à suivre et séduire les grands de ce monde. Pathétique.

Jean Gouin

Jean-Pierre Aubry

Économiste et fellow du CIRANO.

PAS QUESTION DE SACRIFIER UN DOLLAR DE PIB



Le retrait du Canada du protocole de Kyoto n'est qu'un pas de plus dans la stratégie élaborée par le gouvernement Harper il y a plus de cinq ans, pour éliminer les contraintes environnementales qui pourraient restreindre la croissance du PIB du Canada à moyen terme. Au printemps 2007, John Baird, alors ministre de l'Environnement, présentait une étude sur les coût de respecter l'entente de Kyoto. Voici ce que je disais de cette étude dans une lettre publiée par La Presse le 25 juillet 2007: «L'étude mentionne que, si l'on respecte l'entente de Kyoto, l'économie canadienne sera plus efficace quant à l'utilisation de l'énergie, mais que les Canadiens seront plus pauvres à la fin de 2012. L'étude ne fait mention d'aucun gain pour les Canadiens sur la période de 2007 à 2012 et surtout dans les décennies qui suivent. Il n'y a aucun énoncé qui nous dit que nous et nos descendants vivrons dans un meilleur environnement et que nous serons plus riches dans les décennies futures parce que nous aurons participé à réduire le réchauffement de la planète et à éviter ainsi une catastrophe écologique.» Voici les propos tenus par M. Baird à l'automne 2007 avant de partir pour la Conférence de Bali: «Avoir une approche équilibrée qui préserve la croissance économique et qui protège notre environnement.» Dans une lettre publiée par Le Devoir le 12 décembre 2007,  je commentais de la façon suivante les propos de M. Baird: «Ce principe reflète l'idée que la protection de l'environnement a un effet négatif à long terme sur la croissance économique. Il va totalement à l'encontre de l'idée qu'en protégeant l'environnement on protège également la croissance économique à long terme. Il rejette aussi l'idée qu'il serait acceptable de réduire à moyen terme la croissance de notre PIB si cela a pour effet de l'augmenter à plus long terme.»

Jean-Pierre Aubry