Les Québécois ont soif de changement, disent les sondages. Qui, de François Legault ou Gilles Duceppe, serait le mieux placé pour assouvir ce désir de changement? Pourquoi?

Les Québécois ont soif de changement, disent les sondages. Qui, de François Legault ou Gilles Duceppe, serait le mieux placé pour assouvir ce désir de changement? Pourquoi?

LES COMMENTAIRES DOIVENT ÊTRE SIGNÉS. MAXIMUM DE 150 MOTS.



Gaétan Frigon

Président exécutif de Publipage inc. et ancien PDG de la SAQ et de Loto-Québec.



LEGAULT, LE VRAI CHANGEMENT



Pendant quelques décennies, au niveau fédéral, les Québécois ont voté pour le Bloc québécois, une option qui les éloignait du pouvoir. Et puis, soudain, dehors le Bloc, vive le NPD. Certains diront que c'était du changement pour du changement, mais le message était clair: «Comme nous en avons assez des options qui s'offrent à nous et qui sont toujours les mêmes, alors allons-y pour un vrai changement.» Et la même chose, avec un résultat similaire, risque de se répéter au niveau provincial. Depuis quelques décennies, nous alternons entre un gouvernement favorisant l'option fédéraliste et un gouvernement favorisant l'option souverainiste. Selon moi, les Québécois veulent maintenant autre chose. Gilles Duceppe, qui devrait remplacer Pauline Marois à plus ou moins brève échéance, serait certes une option intéressante mais elle n'assouvirait pas ce fort désir de changement que rien ne semble vouloir arrêter. Gilles Duceppe a certes démontrer sa maîtrise de l'opposition mais, au pouvoir, il serait par la force des choses la continuité des idées du Parti québécois. Dans ce contexte, François Legault représente le vrai changement, avec un mélange d'idées de droite et de gauche. Il est de ce fait le seul qui peut vraiment assouvir la soif de changement des Québécois. François Legault a tout ce qu'il faut pour réussir là où Mario Dumont a manqué de souffle avec l'ADQ il y a quelques années.

PHOTO FOURNIE PAR GAÉTAN FRIGON

Gaétan Frigon.

Raymond Gravel

Prêtre du diocèse de Joliette et ex-député bloquiste de Repentigny.



UN CHANGEMENT RÉFLÉCHI



On dit que les Québécois veulent du changement, et c'est sûrement sain puisque la vie est toujours en mouvement. Par ailleurs, lorsque nous voulons changer les choses, il faut savoir pourquoi et comment on peut y arriver. En politique, il y a de ces hommes qui peuvent changer les choses tout en maintenant leur fidélité à leur engagement de servir la population. Je suis persuadé que Gilles Duceppe est de ceux-là. Pendant plus de 20 ans, M. Duceppe, tout en sachant très bien qu'il ne serait jamais premier ministre, a dirigé le Bloc québécois avec compétence et générosité. J'ai eu la chance de le côtoyer pendant deux ans, lorsque j'étais député de Repentigny. J'y ai reconnu un homme de convictions, responsable, respectueux et d'une très grande sensibilité. Le 2 mai dernier, il a connu une défaite écrasante, tout simplement parce que les Québécois ont voulu du changement. En y réfléchissant un petit peu, on peut se demander si ce changement était justifié dans le contexte actuel de notre démocratie. François Legault, quant à lui, a été ministre pour le Parti québécois. Tout le monde sait aujourd'hui qu'il aurait voulu la tête du parti et qu'il n'a jamais accepté sa chef, Pauline Marois. Il a donc démissionné pour des raisons dites familiales. Comment se fait-il qu'aujourd'hui, il veut revenir en politique, mais cette fois, comme chef d'un nouveau parti, prêt à renier ses convictions premières sur la souveraineté du Québec? Que sont devenues les raisons familiales qu'il a évoquées pour démissionner? Personnellement, je ne peux faire confiance à un homme qui se renie lui-même et qui ne cherche que le prestige et le pouvoir. Oui, je veux du changement! Mais pas à n'importe quel prix! Étant souverainiste dans le coeur et dans l'âme, je suis convaincu que Pauline Marois, soutenue par Gilles Duceppe, peut incarner ce changement que je désire de tout mon être.



Raymond Gravel

Daniel Landry

Professeur de sociologie au collège Laflèche, à Trois-Rivières.



NOUVEAUX VÉHICULES, VIEUX POLITICIENS



Plutôt amusant d'entendre le terme «nouveauté» accolé à François Legault ou Gilles Duceppe, n'est-ce pas? Rappelons que le premier a été député du Parti québécois pendant plus de 10 années (1998-2009). Quant au second, il s'est retiré il y a à peine six mois d'une carrière de plus de 20 ans en politique fédérale (1990-2011). Pourquoi, tout d'un coup, seraient-ils les porteurs d'une nouvelle façon de faire la politique? Ni l'un ni l'autre ne représente le changement tant attendu par les citoyens québécois. Ni l'un ni l'autre n'est en mesure de parler de lutte à la corruption, d'investissement public et de mesures fiscales progressives, de protection de l'environnement et de gestion durable des ressources naturelles. Toutefois, en période de crise de confiance, l'apparence de changement fait gagner des élections. C'est ainsi que Harper a succédé à Martin (2006), qu'Obama a succédé à Bush (2008) et que Rajoy a succédé à Zapatero (2011).  Au Québec, aujourd'hui, l'essoufflement du pouvoir du gouvernement Charest, l'obstination gênante de Marois à s'accrocher au leadership du Parti québécois ainsi que la crise identitaire post-Dumont de l'Action démocratique appellent la recherche de nouveauté. Or, les propositions de Legault sur l'abolition des commissions scolaires ou sur les primes au rendement de toutes sortes nous laissent croire qu'il s'agit simplement de l'ADQ 2.0. Quant à Duceppe, si jamais il choisit de sauter à nouveau dans l'arène politique, la réconciliation du PQ avec ses ex-militants risque de l'occuper bien plus que la quête de nouvelles idées.

Richard Vigneault

Consultant en communication et membre de l'Idée fédérale.

CHANGER! POURQUOI?



Aurions-nous devant la politique le comportement d'un consommateur boulimique séduit par le dernier modèle de téléphone portable mis en marché sans trop savoir si nous avons les moyens de nous l'offrir? Le citoyen qui vote pour élire un gouvernement démocratique ne devrait-il pas avoir le réflexe de mesurer les conséquences du changement, d'en évaluer les avantages et les inconvénients plutôt que de changer pour changer? La désaffection pour la politique, la méfiance envers les élus et le cynisme distillé tous les jours ne sont certainement pas les meilleures conditions pour faire un choix éclairé. En ce qui a trait à l'ancien chef du Bloc québécois, l'idée d'inclure le nom de Gilles Duceppe et le mot changement dans la même phrase est on ne peut plus incongrue. Gilles Duceppe est un témoin du passé qui continuerait de professer, sous le PQ comme au Bloc, la seule solution à nos problèmes qu'il a toujours mis de l'avant: sortir du Canada. Manifestement, il n'est plus sur la même longueur d'onde que les Québécois. Quant à François Legault, on doit reconnaître qu'il en fait beaucoup pour incarner le changement, jusqu'à tenter d'effacer les motivations profondes qui l'ont fait embrasser l'option souverainiste lorsqu'il est entré en politique sous la bannière du PQ. Ce qu'on veut savoir, c'est ce qu'il ferait de mieux et à quel prix.

Mélanie Dugré

Avocate.

SOIGNER ET SÉDUIRE



Les noms de Legault et de Duceppe sont tous deux porteurs d'espoir et de changement pour la politique québécoise mais à des niveaux différents. La crise identitaire actuelle du PQ  est tellement profonde que si Gilles Duceppe peut nourrir une aspiration, c'est celle de reconstruire et de soigner ce parti avant de penser le mener au pouvoir. Plusieurs élus du PQ souffrent de nombrilisme aigu et le travail de réhabilitation risque d'être long et douloureux. Il s'agit là d'une mission taillée sur mesure pour Gilles Duceppe. Quant à l'engouement pour la CAQ, quoique bien réel, il s'apparente à un exercice de courtisanerie subtil et discret. Les électeurs font de l'oeil à ce nouveau parti via les sondages et la CAQ se pare de ses plus beaux atours en promettant audace et innovation aux Québécois. Je crois que ce jeu de séduction a atteint le point où il faudra inévitablement lever le jupon de la CAQ pour voir si ce qui s'y cache peut être digne d'une union durable. En définitive, la présence de messieurs Legault et Duceppe sur la scène politique québécoise serait  salutaire pour tous et nécessaire afin de faire tourner le vent, chasser le cynisme ambiant et assouvir le désir de changement qui anime les Québécois.

Mélanie Dugré

Adrien Pouliot

Président de Draco Capital inc., société d'investissement privée, et membre de la commission politique de l'ADQ. Il s'exprime à titre personnel.



À LA RECHERCHE D'UN SAUVEUR



Les Québécois sont bons pour faire des constats: les files d'attente aux urgences, les infrastructures qui s'écroulent, nos enfants qui ne savant pas écrire leur français, nous souffrons d'un déficit de richesse par rapport à nos voisins.  Mais ils espèrent secrètement que la solution est de changer le chauffeur et de rafistoler le même vieux bus sans changer l'itinéraire.  Malheureusement, rapiécer le modèle québécois d'étatisme mur-à-mur en «gérant mieux l'État», en  «réparant nos réseaux publics», en ré-investissant (lire: dépenser plus) dans les programmes tout en maintenant un État fort et dirigiste sont des solutions libéralo-péquistes vieilles de 30 ans qui continueront à nous enfoncer dans le trou.  Il faudrait arrêter de creuser mais les Québécois cherchent plutôt un devin à la baguette magique qui réglera tous leurs maux sans peine. L'un et l'autre de ces deux politiciens d'expérience soudainement élevés au rang de sauveur risquent de les décevoir. S'ils persistent à ne pas vouloir s'attaquer au Léviathan, les Québécois pourraient finalement se voir imposer les vrais changements requis par des forces extérieures.  La pilule risque d'être amère: demandez aux Grecs, ils l'ont appris à leurs dépens.

Adrien Pouliot

Pierre-Yves McSween

Comptable agréé, enseignant au cégep régional de Lanaudière et chargé de cours à HEC Montréal.



UNE QUESTION TENDANCIEUSE



Le désir de changement, c'est aussi le désir de voir de nouveaux visages. Sous ce principe, les deux hommes ne sont pas de nouveaux visages, mais semblent inspirer confiance à la population. Par contre, les deux représentent une image nouvelle comme chef d'un parti politique (au Québec seulement). Sur ce point, avantage Legault qui n'a jamais été chef d'un parti politique. Toutefois, Ducepppe n'a jamais été en politique québécoise. Côté charisme, Duceppe l'emporte haut la main. Par contre, du côté des idées, Legault a une attitude plus positive et différente du modèle connu. Gilles Duceppe est associé au mouvement syndical, ce qui ne semble pas avoir la cote dans l'opinion publique. Ce qui retient mon attention dans ce débat, c'est la question sous-entendue. La question laisse croire une démission prochaine de Pauline Marois. Pire encore, cette question suggère un débat des chefs entre Legault-Duceppe. La campagne électorale serait sûrement plus excitante, mais dans le contexte, est-ce que Duceppe veut risquer de vivre une deuxième défaite de suite? Pour l'instant, on se dirige vers une victoire de Legault sans difficulté. Est-ce que Charest et Marois s'entêteront à leur désir de diriger la province ou feront-ils preuve de lucidité?

Guy Ferland

Professeur de philosophie au collège Lionel-Groulx.



LE CHANGEMENT DANS LA CONTINUITÉ



En philosophie 101, on enseigne l'illusion du changement dans la permanence de l'être. Les Québécois sont frileux et ils ont compris cette leçon. Ils ont soif de changement, mais pas trop. Juste assez pour se donner l'impression d'avoir fait le ménage. Dans les faits, ils veulent seulement mettre la poussière sous le tapis. C'est peut-être une nouvelle tendance du vote des adeptes des réseaux sociaux : ils zappent et ils clavardent pour mieux rester immobiles devant leur téléviseur avec un cellulaire à la main. Quoi qu'il en soit, ce ne sont pas Gilles Duceppe ou François Legault qui incarnent le changement. Ils offrent seulement des solutions de remplacement dans la continuité. Un peu plus à gauche pour le premier et un peu plus à droite pour le second. Non, si les Québécois voulaient véritablement du changement, ils voteraient en masse à gauche pour Québec solidaire, par exemple, ou encore pour un parti résolument à droite. À moins qu'ils n'optent pour revenir à l'extrême centre avec le Parti libéral de Jean Charest? La soif de changement peut s'étancher rapidement quand on ne veut pas réellement bouger...

Philippe Faucher

Professeur au département de science politique et chercheur associé au Centre d'études et recherches internationales de l'Université de Montréal.



CHANGEMENT OU RECYCLAGE?



La nouveauté chasse l'ennui. Puisqu'il est entendu par l'opinion collective, qui tient lieu de vérité, que le premier ministre Charest est, entre autres défauts, victime de l'usure découlant de ses fonctions, des candidatures se pointent sur l'air du changement. Sans mettre en cause la sincérité de son engagement, je constate que M. Duceppe, auquel on prête des intentions, n'a jamais, par choix, en s'engageant dans le Bloc, gouverné quoique ce soit. Qu'apporterait-il d'autre au PQ sinon la discipline que commande son regard d'acier? Je l'ignore. Le saut dans le vide est un type de changement que je préfère éviter. Par ailleurs, le mantra technocratique de Monsieur Legault: à chacun selon ses compétences et ses performances (et selon nos moyens, espérons-le) est rassurant dans son évidence banale. Le changement sérieux est évidemment ailleurs; il est aussi manifeste que nous n'en voulons surtout pas. Peuple prudent et réfléchi, écologiste par conviction, nous préférons le recyclage.

Philippe Faucher

Francine Laplante

Femme d'affaires.



OÙ EST LE SANG NEUF?



Je n'arrive pas encore à croire que les gens seraient prêts à mettre Gilles Duceppe au pouvoir! Malgré tout le respect que j'ai pour cet homme, nous devons passer à une autre étape! Changer pour changer, garder toujours les mêmes gens, ce n'est que mettre un diachylon sur le bobo! Nous avons besoin de sang nouveau, mais encore là, est-ce que François Legault répond à cette soif de changement? Comme dirait ma défunte mère, faute de pain, on mange la galette! Désabusée, la madame? Un peu, oui! Et pourquoi pas un retour de Mario Dumont, je fantasme bien sûr!

Antonin-Xavier Fournier

Professeur de sciences politiques au cégep de Sherbrooke.



UN PHÉNOMÈNE INQUIÉTANT



Difficile de parler de changement lorsqu'on regarde l'expérience politique de François Legault et de Gilles Duceppe. En effet, les deux hommes politiques cumulent près de 32 ans d'expérience en politique active. Heureusement pour eux, dans un contexte de désabusement et de cynisme envers l'ensemble de la classe politique, les politiciens n'ont plus nécessairement à présenter de nouvelles idées mais doivent plutôt «incarner» le changement, ce que réussit à merveille François Legault et la CAQ. Ce nouveau phénomène a certes des limites, ce qu'ont très bien démontré récemment les élections législatives en Ontario et au Royaume-Uni. Il faudra voir si François Legault pourra maintenir ses appuis et comment il se comportera à l'occasion d'une campagne électorale. Pour Gilles Duceppe, le défi est ailleurs. Il s'agit dans son cas de démontrer qu'il est en mesure de gouverner, ce qu'il n'a jamais fait à Ottawa. En outre, il devra refaire l'image d'un parti actuellement en lambeaux. Sur le fond cependant, le fait que deux politiciens avec autant d'expérience puissent incarner le changement est révélateur d'un autre phénomène plus inquiétant: le manque de relève et l'absence de politiciens avec un leadership fort à l'instar d'un Pierre E. Trudeau ou d'un René Lévesque.