Registre d'armes à feu éliminé, peines de prison plus sévères, une armée «royale», participation à l'offensive libyenne... Les gestes que le gouvernement Harper a posés depuis qu'il est devenu majoritaire, il y a 6 mois, vous portent-ils à croire que le Canada est en train d'effectuer un virage à l'américaine?



LES COMMENTAIRES DOIVENT ÊTRE SIGNÉS. MAXIMUM DE 150 MOTS.



Justin Massie

Professeur adjoint à l'École supérieure d'affaires publiques et internationales de l'Université d'Ottawa.

UN VIRAGE CONSERVATEUR 

Le gouvernement conservateur a pour principale ambition politique de déloger le Parti libéral comme gouvernement «naturel» du Canada. Pour ce faire, il ne s'agit pas seulement de remporter une majorité de députés à la Chambre des communes, mais bien de transformer la culture politique canadienne de manière à assurer la popularité et la pérennité des valeurs conservatrices à long terme, d'un océan à l'autre. C'est dans ce contexte qu'il faut comprendre les tentatives du gouvernement Harper de mettre l'accent sur des symboles typiquement conservateurs, comme la royauté britannique ou encore la loi et l'ordre, ainsi que de redéfinir le passé mythique du Canada en insistant sur l'indépendance et le militarisme du pays vis-à-vis des États-Unis en 1812. Les Canadiens pourront ainsi facilement distinguer les valeurs conservatrices de celles des libéraux et, ultimement, s'identifier et s'attacher à elles. Nous n'assistons donc pas à une américanisation de la société canadienne, mais bien à une transformation de celle-ci sur la base de symboles identitaires distinctement conservateurs. Par exemple, la ligne dure adoptée à l'égard de la Palestine ne représente pas un alignement sur la politique américaine, mais traduit plutôt une prise de position nette et sans ambages en faveur d'Israël.



Justin Massie

Richard Vigneault

Consultant en communication et membre de l'Idée fédérale

LE CANADA DE L'OUEST

Personne ne devrait être surpris de constater l'application que met Stephen Harper à imprimer à l'image du Canada l'idéologie conservatrice de son parti, surtout depuis qu'il est majoritaire. Les gens de l'Ouest sont au pouvoir et c'est la réponse à des décennies de domination de l'establishment de l'Est sur la politique canadienne. Les racines alliancistes du Parti conservateur nourrissent les branches de l'arbre. Il existe aux États-Unis comme au Canada, deux pays de la taille d'un continent, un clivage culturel  entre l'Est et l'Ouest. Pour l'instant, un vent d'ouest souffle sur la politique canadienne. Je crois cependant Stephen Harper assez intelligent pour comprendre l'importance qu'accordent les Canadiens dans leur ensemble à leurs différences et à leur indépendance par rapport aux États-Unis.  Si M. Harper a l'intention de redessiner les symboles et l'image du Canada en copiant le modèle américain, surtout celui du Sud, il suscitera très vite les oppositions. Pourtant, s'il voulait vraiment le faire, il serait moins empressé à démontrer son attachement à la restauration et au maintien de l'image de la monarchie britannique. Quant au tour de vis qu'il donne à ses lois sur la criminalité, il y a fort à parier que beaucoup de Canadiens le souhaitent, et cela d'un océan à l'autre.



Raymond Gravel

Prêtre du diocèse de Joliette

LE CANADA À L'ÈRE BUSH 

Avec le gouvernement majoritaire de Stephen Harper, le Canada ne fait pas simplement s'américaniser; s'inspirant de George W. Bush, il poursuit ce que ce président despote n'a pu achever. Quand on sait que seulement 40% de Canadiens et moins que 20% de Québécois ont voté pour le Parti conservateur aux dernières élections fédérales, il me semble que M. Harper pourrait avoir la décence de consulter la population avant de prendre des décisions aussi graves qui auront des répercussions négatives dans l'ensemble du pays, pour longtemps. En durcissant les règles, en augmentant les peines de prison, en éliminant le registre des armes à feu, en cessant d'appuyer financièrement l'UNESCO parce que la Palestine vient d'y adhérer, en nommant au poste de vérificateur général un unilingue anglophone et un juge unilingue anglophone aussi à la Cour suprême du Canada, en retirant les oeuvres d'art de peintres québécois de réputation mondiale pour les remplacer par des portraits de la reine, je me demande si ce gouvernement est au service de tous les Canadiens, y compris celles et ceux, et ils sont majoritaires à ne pas avoir voté pour eux. Il y a pire encore... Au sein du Parti conservateur, il y a des ministres qui viennent du Québec et qui sont encore capables de défendre leur gouvernement. Il n'y a pas pire aveugle que celui qui ne veut pas voir et pire sourd que celui qui ne veut rien entendre. Stephen Harper n'a aucun respect des Québécois et même des Canadiens. Ce pays dans lequel on m'oblige de faire partie, me répugne au plus haut point. Comme Québécois, il est grand temps qu'on obtienne une majorité pour affirmer notre souveraineté.

Raymond Gravel

Léo Bureau-Blouin

Président de la Fédération étudiante collégiale du Québec

LA RECETTE HARPER

Les décisions prises par le gouvernement Harper en matière de justice et d'armée suscitent bien des questions, mais peu de réponses. Pourquoi miser sur la répression alors que les experts s'entendent pour dire que c'est dans la prévention qu'il faut investir? Pourquoi abolir le registre des armes à feu quand celui-ci est consulté quotidiennement par les policiers à 6000 reprises? Pourquoi valoriser la royauté, un régime dépassé synonyme d'oppression, pendant que le monde aspire à davantage de démocratie? Or, le gouvernement Harper ne répond pas à ces questions, il s'en fiche. Sa recette est simple. Son gouvernement a été élu par une minorité et il gouverne pour cette minorité. La réforme du système de justice suscite une volée de bois vert. Et puis après, doit-il se dire. Ce qui est bon pour la base conservatrice est bon pour le Canada... Virage à l'américaine? Disons plutôt que nous voyons le véritable visage des conservateurs. La démocratie version Harper met en lumière la division du vote progressiste, mais également les lacunes de notre système parlementaire. Il faudra tôt ou tard apporter des réformes à notre démocratie, car la recette Harper devient de plus en plus indigeste.



Photothèque Le Soleil, Carl Thériault

Le président de la Fédération étudiante collégiale du Québec, Léo Bureau-Blouin.

Pierre Simard

Professeur à l'ENAP

LA COMPLAINTE DU PHOQUE EN ALASKA

Ah! Les blues d'automne! On nous remâche encore la complainte du phoque en Alaska: cré moé, cré moé pas, quéqu'part à Ottawa, y'a un clown... qui fait copain-copain avec les Américains. Des Américains qui n'aspireraient qu'à une chose: renverser notre culture et nos traditions locales pour mieux nous envahir. Il suffit qu'une position canadienne s'arrime à une position américaine pour qu'on compte les jours avant que le Canada ne devienne partie intégrante des États-Unis. Lorsqu'on en aura terminé avec ces clichés, il faudra admettre que le libre-échange avec nos voisins n'a pas qu'amélioré notre niveau de vie, il a aussi limité la capacité de nos politiciens à prendre des décisions arbitraires qui nous pénalisent économiquement. Pourquoi? Parce que dans une économie ouverte, ce sont toujours les citoyens locaux qui sont les premières victimes des mesures protectionnistes et règlementaires revendiquées par nos différents groupes d'intérêt. Chaque fois, c'est vous et moi qui en payons le prix via des produits de consommation plus chers. En somme, il ne revient pas aux politiciens de décider si les «hotdoguistes» de La Belle Province doivent supplanter les McDonalds américains... mais plutôt aux consommateurs. Même chose en ce qui a trait à l'abolition du registre des armes à feu et à l'adoption de peines de prison plus sévères pour les contrevenants. Il s'agit de la mise en oeuvre du programme électoral pour lequel les conservateurs ont été élus démocratiquement par une majorité de Canadiens. Vous n'en avez pas assez de ces politiciens et groupes d'intérêt qui, sous le couvert d'un «nationalisme désintéressé», savent toujours mieux que vous ce qui est bon pour... vous?

Pierre Simard

Alain Vadeboncoeur

Urgentologue

IDÉOLOGIE OU INTÉRÊT?

Bien sûr que nous nous américanisons, mais il faut surtout tâcher de voir ce que ça signifie. D'abord en se méfiant de l'étiquette «idéologique» dont on affuble trop aisément des choix politiques en apparence irrationnels: il s'agit plus souvent de défendre les intérêts directs ou indirects de ceux qui biaisent le jeu politique, dans une relation incestueuse où l'élu, appuyé, favorise en retour des orientations qui vont rejoindre l'intérêt du «commanditaire». Cela explique une part certaine des orientations de la politique américaine, par exemple vis-à-vis l'industrie de l'armement. C'est probablement tout aussi vrai de notre côté de la frontière, même si les liens sont ici plus difficiles à démontrer, entre autres grâce à des règles de financement plus étanches. Les choix actuels du gouvernement conservateur, visant de manière irrationnelle à réprimer et à faire exemple, sont-ils pour autant purement idéologiques? Dans un pays où la criminalité est sous contrôle et où la réhabilitation à fait ses preuves, en particulier chez les jeunes, pourquoi donc faire de la lutte au crime un enjeu si fondamental? Certes, on pourrait aussi taxer ces choix de populistes, mais on risque ainsi de prendre la proie pour l'ombre. Ce qu'il faudrait plutôt, c'est approfondir les analyses et mieux comprendre quels intérêts seront directement servis: au-delà des députés conservateurs eux-mêmes, visant la réélection en flattant les préjugés d'une frange de la population, à qui donc profiteront directement ces choix absurdes? La clef est dans la réponse à cette question.

Dr Alain Vadeboncoeur