Des manifestations contre les dérives du capitalisme financier ont eu lieu dans plus de 1000 villes du monde en fin de semaine. Selon plusieurs observateurs, le mouvement Occupy Wall Street risque de s'essouffler si ses organisateurs ne s'entendent pas sur des revendications spécifiques. Est-ce votre avis? Quelles devraient être ces revendications, selon vous?

LES COMMENTAIRES DOIVENT ÊTRE SIGNÉS. MAXIMUM DE 150 MOTS.

Antonin-Xavier Fournier

Professeur de science politique

DÉPASSER L'ANARCHISME

Le mouvement Occupy Wall Street est en soi une initiative fascinante et révélatrice de la rapidité avec laquelle les nouvelles formes de contestation peuvent s'organiser. À l'image du printemps arabe, le mouvement Occupy Wall Street, en s'appuyant sur les nouvelles technologies héritées de la mondialisation, a réussi à cristalliser une grogne populaire, avouons-le, plutôt justifiée. En effet, comment expliquer autrement que par les abus du capitalisme qu'aux États-Unis, en Espagne ou en Grèce, des milliers de citoyens perdent leur maison et que, parallèlement, des quartiers résidentiels soient vides faute de propriétaires pouvant payer leur hypothèque?

Le défi d'humaniser le capitalisme n'est pas nouveau. John Maynard Keynes le proposait aussi après le krach de 1929. D'ailleurs, la situation actuelle rappelle étrangement celle de la grande dépression : produits financiers dangereux, spéculation et perte de confiance... un cocktail pour le moins explosif et générateur de tensions sociales. Au-delà du constat, le mouvement Occupy Wall Street devra trouver des solutions concrètes. Bref, les contestataires doivent s'appuyer sur le rapport de forces qu'ils bâtissent actuellement et dépasser l'anarchisme en proposant une réflexion qui s'incarne dans l'action. On peut penser, entre autres, à la taxe sur les transactions financières.

Philippe Faucher

Professeur au département de science politique et chercheur associé au Centre d'études et recherches internationales de l'Université de Montréal

NE PAS FAIRE DE BRUIT



Nous assistons aujourd'hui à une vague de ras-le-bol. Les motifs de contestation, malgré des effets évidents de contagion dans la forme, sont avant tout domestiques. Difficile d'affirmer que les revendications de Séoul, Buenos Aires et New York forment un mouvement semblable aux altermondialistes des années 2000.

Autrefois, il revenait aux syndicats d'opposer, par des grèves et des manifestations, leurs revendications aux abus du patronat et des gouvernements. Il y a déjà longtemps que les partis de gauche ont rompu avec les «classes dangereuses» qu'ils étaient censés représenter. Aujourd'hui, les syndicats et les partis politiques, trop compromis dans la connivence du pouvoir, ne savent plus comment surmonter les intérêts corporatistes qui les asservissent. Pour les autres, reste l'indignation! L'appel de Stéphane Hessel aurait-il été entendu?

Sortir de l'indifférence, dénoncer les inégalités, exiger la justice, affirmer publiquement ses convictions sont des étapes essentielles; un apprentissage. Pour que l'Alternative s'impose, il faudra canaliser l'indignation, lui donner un nom, une organisation, des représentantes, reconnaître les amis et identifier l'ennemi; alors il n'y aura pas le choix, les tambours devront résonner toute la nuit.

Philippe Faucher

Daniel Landry

Professeur de sociologie au Collège Laflèche

L'AMÉRIQUE OCCUPÉE

La spontanéité du mouvement Occupy Wall Street pourrait laisser présager son rapide essoufflement. Pour discréditer cet élan populaire, plusieurs soulignent son absence d'unité ou de revendications précises. Mais à y regarder de plus près, une idée générale semble émerger: le capitalisme financier doit être remplacé.

Occupy Wall Street représente le symptôme d'un ras-le-bol généralisé face au système en place. On manifeste contre des maux connus et reconnus de tous : fortunes indécentes d'une faible minorité de la population, corruption des classes dirigeantes et paradis fiscaux, augmentation incessante des inégalités sociales. En un sens, Occupy Wall Street possède déjà des racines profondes. Il s'alimente de la crise hypothécaire et financière de 2008  et il s'inspire directement du printemps arabe, du mouvement espagnol «Indignez-vous» ou des révoltes sociales en Grèce et en Israël. Derrière chacun de ces soulèvements se cache un désir de donner une voix à l'ensemble de la population (aux 99 %!) et de mettre fin au règne d'une ploutocratie.

L'essoufflement du mouvement d'occupation dans sa forme actuelle est bien possible. Mais la contestation du système dans son ensemble, elle, ne fait que commencer. Qui plus est, il faut espérer que l'Amérique demeure sous cette occupation populaire tant qu'une volonté radicale de changements ne se manifestera pas.

Guy Ferland

Professeur de philosophie au Collège Lionel-Groulx de Sainte-Thérèse

UNE CONTESTATION SANS GOUVERNAIL

Une partie de la population en a assez de la corruption sous toutes ses formes et elle semble décidée à contester la mainmise d'une poignée d'individus sur les richesses mondiales. Elle ne veut vraisemblablement pas se laisser enrégimenter au sein d'une idéologie ou d'un mouvement organisé autour de revendications communes. Elle en a assez du pain et des jeux et elle réclame plus de justice sociale et d'équité tant de la part des partis politiques que de la haute finance. Finies les spéculations boursières et la concentration de la richesse entre les mains de quelques-uns. Occupons l'espace public et médiatique. Une poignée d'irréductibles peuvent faire la différence, comme on l'a vu au Québec avec les contestations contre la centrale du Suroît et la privatisation d'une partie du mont Orford. Le mouvement des indignés ou des 99 % ratisse large. Les protestataires ne proviennent pas d'un parti unique. Voilà toute leur « richesse » qui s'étale maintenant dans la rue devant les gens de pouvoir et d'argent qui les regardent médusés. Jusqu'où va aller cette contestation sans gouvernail? Le vent de la colère va-t-il s'essouffler? Nous assistons peut-être à la naissance d'une nouvelle forme de pouvoir de contestation populaire non organisée qui sème à tout vent.

Pierre Simard

Professeur à l'École nationale d'administration publique

KARL MARX NE FERAIT PAS LE POIDS!

Occupy Wall Street est un mouvement de contestation qui dénonce les abus du capitalisme financier. Ce mouvement dit s'inspirer du printemps arabe et prétend représenter les 99 % de citoyens qui ne tolèrent plus la cupidité de l'autre 1%, les Wall Street Boys. Jusque-là, pas de problème! Mais que veulent les manifestants au juste? Sur le site internet de l'organisation, on peut prendre connaissance de la liste des demandes proposées par l'un d'entre eux: augmenter le salaire minimum, mettre en place un revenu minimum garanti, instaurer un système de santé publique universel, instaurer la gratuité des collèges et, tenez-vous bien, éliminer immédiatement les dettes individuelles (de tout le monde!). Dès maintenant, il faut accorder un pardon sur les prêts commerciaux, les prêts hypothécaires, les dettes sur les cartes de crédit, les prêts étudiants, etc. Et comme si ce n'était pas assez, il faudrait aussi éliminer les dettes contractées par tous les pays de la planète. Bref, si j'ai bien compris, c'est l'opération grand ménage : on efface et on recommence. En matière de socialisme, Karl Marx lui-même ne ferait pas le poids ! Par hasard, vous n'auriez pas un Wesfalia à vendre?

Pierre Simard

Marc Simard

Professeur d'histoire au Collège François-Xavier-Garneau de Québec

LES INDIGNÉS:  MESSAGE ANCIEN, PROJET ABSENT

Bien que le message des indignés soit multiple et qu'il recouvre vraisemblablement d'innombrables réalités peu conciliables dans la perspective de la création d'un véritable mouvement politique, un élément semble faire consensus parmi les manifestants: l'opposition entre 99% des citoyens (les gens ordinaires) et le 1% restant (les nababs enrichis par la finance et les affaires en général). En somme, le dénominateur commun des indignés paraît être une répartition inéquitable des richesses, constat fondé sur des statistiques largement publicisées.

Mais il appert que ce consensus même est trompeur. D'abord, parce que ces inégalités ne proviennent pas toutes de la même source : dans notre société de libre entreprise, les causes de la pauvreté sont multiples et ne peuvent être éradiquées par quelques mesures simplistes comme le crédit social ou le vote d'une loi pour l'abolir; de même, les raisons de l'enrichissement sont plurielles, depuis le banditisme pur et simple jusqu'au génie créatif en passant par l'investissement sagace, le travail acharné ou le copinage à la limite de la légalité. Qui songerait à dénoncer l'enrichissement des Steve Jobs, Bill Gates ou Céline Dion de ce monde au même titre que celui des entrepreneurs crapuleux ou des aigrefins de la finance? Ils font pourtant tous partie du 1% honni!

En fait, la dénonciation des inégalités par les indignés n'est que la nouvelle mouture d'un phénomène pluriséculaire, soit la haine des petits à l'endroit des riches et même de la richesse. Elle existait chez les plébéiens romains, les jacques médiévaux, les levellers anglais, les prolétaires du XIXe siècle, les moujiks russes, etc. Elle ne constitue pas un mouvement, mais un lit de braises inextinguibles d'où sourd de temps à autre une colère désorganisée de type feu de paille. Elle fait la joie de cette partie de la population qui méprise l'argent et hait le capitalisme, puis s'étiole suite soit à la répression soit au désabusement des protestataires, qui constatent tôt ou tard qu'elle ne mène nulle part et qu'elle est récupérée par des agitateurs professionnels.

Adrien Pouliot

Président de Draco Capital Inc., société d'investissement privée

LE MANQUE DE CAPITALISME

Sans le savoir, les indignés de Wall Street demandent plus de capitalisme.  La vrai raison qui justifie leur manifestation n'est pas le capitalisme, mais plutôt le manque de capitalisme. Les plans de sauvetage des banques, ce n'est pas du capitalisme, c'est du bien-être social pour les entreprises, c'est du capitalisme de ti-namis, c'est du corporatisme, de l'étatisme, du socialisme, du fascisme et peut-être d'autres «ismes», mais ce n'est pas du capitalisme.  Si on était dans une société vraiment capitaliste, les banques de Wall Street auraient fait faillite, les banquiers auraient perdu leur boulot, les investisseurs auraient perdu leur mise et le système aurait été nettoyé.  Dans une vraie société capitaliste, il n'y aurait pas eu de bulle immobilière, car il n'y aurait pas eu de dirigisme gouvernemental abaissant artificiellement les taux d'intérêt pour favoriser la propriété immobilière et il n'y aurait pas eu de prêts garantis par l'État à des emprunteurs insolvables.  Et donc, il n'y aurait pas eu de crise financière dont font les frais la classe moyenne.  Au lieu de protester contre Wall Street, les indignés devraient plutôt déménager leurs cliques et leurs claques sur Pennsylvania Avenue et protester contre la Maison-Blanche pour demander plus de capitalisme.

Adrien Pouliot

Gaétan Frigon

Président exécutif de Publipage inc. et ancien président-directeur général de la Société des alcools du Québec et de Loto-Québec

LE BALANCIER

Il y a, heureusement, dans le système capitaliste, un balancier qui remet toujours un peu d'ordre lorsqu'il y a dérives. D'habitude, ce sont les gouvernements qui agissent comme balancier, mais, cette fois-ci, ce sont des citoyens qui ont décidé de prendre les choses en main face non seulement aux dérives, mais aussi aux illégalités de Wall Street depuis déjà plusieurs années. Et les citoyens en question ne sont pas les fauteurs de trouble habituels, mais plutôt des citoyens instruits avec des iPhone et des iPad, qui en ont assez du laissez-faire des gouvernements. De toute évidence. Ils n'ont pas et n'auront pas de revendications précises, si ce n'est d'être contre les abus du capitalisme. Et c'est probablement ce qui leur donne de la crédibilité. Ils ne veulent pas détruire le système. Ils veulent simplement que le système soit plus équitable, que le capitalisme sauvage laisse sa place à un capitalisme où la richesse est mieux partagée. Selon moi, le mouvement Occupy Wall Street ne s'essoufflera pas avant que les géants de la finance s'autoréglementent eux-mêmes ou que les gouvernements le fassent à leur place. Il s'agit en fait d'un mouvement populaire qui, aux États-Unis, devrait être repris sous peu, autant par les républicains que par les démocrates, pour des raisons purement politiques, étant donné les élections de 2012.

Gaétan Frigon

Richard Vigneault

Consultant en communication et membre de l'Idée fédérale.

DE L'INDIGNATION À L'INDIGNATION

La mondialisation de la contestation traduit en partie le sentiment que la nouvelle génération estime, à tort ou à raison, que ceux qui les ont précédés sont partis avec la caisse. La frustration aussi de voir les gouvernements n'être plus en mesure de répondre à toutes les demandes. La mobilisation par les nouvelles technologies et les réseaux sociaux favorise la prolifération de l'indignation, mais aussi, la confusion des genres. Assimiler les manifestations de New York ou Montréal aux divers printemps arabes relève tout simplement de la fumisterie. Comparer la situation de démocraties libérales gorgées de droits et de libertés à des dictatures ne tient pas la route. Affirmer représenter 99% de la population est une prétention démentie par le fait qu'en ce lundi matin d'octobre, 99% de la population active est retournée au travail, et non pas planter sa tente au Square Victoria.  On peut vouloir jeter le capitalisme par la fenêtre, mais il faudra reconnaître que ce système, lorsqu'il est installé dans un cadre démocratique, accroît les chances d'améliorer son sort. Tous les autres systèmes ont échoué. Oui, le capitalisme génère ses propres abus comme les parachutes dorés des financiers de Wall Street. Peut-être faut-il humaniser le capitalisme pour le faire évoluer avec son temps? Peut-être faut-il individuellement sortir du cercle vicieux de la surconsommation? Mais l'indignation qui n'est pas assortie de propositions concrètes et réalistes ne mène qu'à... l'indignation.

Caroline Moreno

Écrivain

FEU DE PAILLE OU FEU AUX POUDRES?

Un mouvement s'éteint rapidement quand il n'est pas porté par des revendications claires. En ce sens, Occupons Wall Street paraît obéir à une mode. Il ne propose pas de solutions de rechange. Au Québec, la population semble avoir démissionné de toutes formes de lutte. Qu'il s'agisse de revendications sociales, politiques, culturelles, écologiques, linguistiques, rien ne vient à bout de vaincre l'état de léthargie qui, depuis quelques années, s'est emparé des Québécois, les privant de cette foi qui soulève les montagnes. Les gens se sont réfugiés dans un «à quoi bon», qui laisse place aux abus qu'ils dénoncent à coups de pétitions. Rares sont ceux qui ont de la suite dans les idées. C'est bien trop fatigant...

Léo Bureau-Blouin

Président la Fédération étudiante collégiale du Québec

UN MOUVEMENT INSPIRANT QUI MÉRITE DE SE PRÉCISER

Deux volontés ressortent du mouvement Occupy Wall Street: une meilleure répartition de la richesse ainsi qu'une démocratie au service du plus grand nombre. Ces revendications sont nobles, mais elles mériteraient d'être précisées. Quels changements attendons-nous suite à ces protestations? Qui peut effectuer ces changements? Tout mouvement de pression doit répondre à ces questions s'il désire obtenir des avancées. Autrement, plusieurs décideurs vont se contenter de dire qu'ils sympathisent avec les protestataires sans toutefois modifier leur comportement. Le ministre fédéral des Finances a d'ailleurs déjà réagi de la sorte. Il s'agit d'un piège à éviter. Sans tomber dans les revendications comptables ou technocratiques, les protestataires québécois auraient donc avantage à cibler des élus et à exiger des changements précis. Tentons l'exercice. Une meilleure répartition de la richesse peut passer par une foule de mesures sociales comme des services d'éducation et de santé abordables ou une fiscalité plus progressive. Quant aux problèmes qui affligent notre démocratie, les allégations de corruption y sont certainement pour quelque chose. Le premier ministre québécois semble, quant à lui, une cible logique. Une fois l'exercice complété, il faut interpeller la cible sur ses demandes et la talonner. Ce simple exercice permettrait de transformer la couverture médiatique dont bénéficie ce mouvement inspirant en véritable pression politique.

Jean Gouin

Directeur général, Fédération des médecins résidents du Québec

À LA CLASSE POLITIQUE D'AGIR

Depuis deux décennies, le monde a radicalement changé. Le protectionnisme a fait place à la mondialisation. Les acquisitions des uns par les autres ne se comptent plus sur les seuls doigts de la main. Elles sont devenues monnaie courante. Les délocalisations de compagnies sont légion. Les médias ont subi une cure de rajeunissement avec l'infiltration des médias sociaux dans notre quotidien. Mais, nos politiciens n'ont pas su adapter leur discours et leurs politiques à la population qu'ils représentent. Le lobby de la classe aisée a ses entrées partout où elle le désire dans le capharnaüm politique et, pendant ce temps, la population se sent laissée pour compte. Son avis n'est requis que tous les quatre ans en général. Je ne suis aucunement surpris par le mouvement Occupons Wall Street, qui s'est étendu dans près de 100 pays dans le monde. Trop longtemps, les grands de la finance s'en sont mis plein les poches, parfois avec la complicité de certains de nos politiciens qui n'osent pas... de crainte de... Le ras-le-bol populaire auquel nous assistons n'est, à mon avis, qu'un début. Il s'amplifiera, car rien n'est fait pour le stopper. À l'heure présente, la seule revendication de ce mouvement s'il en est une, c'est: «Faites les choses différemment; mettez en place des politiques qui respecteront la classe moyenne et celle des plus démunis d'entre nous». Si d'aventure, ce cri du coeur n'était pas entendu, le mouvement Occupation Wall Street s'intensifiera. C'est à la classe politique de prendre ses responsabilités et d'agir. Nul besoin d'un carnet de revendications pour comprendre ce simple message.

Jean Gouin