La faillite de la Grèce est-elle inévitable? La survie même de l'euro est-elle menacée? Les pays les plus endettés de l'Union européenne risquent-ils d'être largués?

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Laurent Desbois

Président de Fjord Capital, une firme de gestion de fonds institutionnels en devises.

INÉVITABLE

La faillite de la Grèce est inévitable. Sa dette est d'une taille qui la rend insoutenable. De plus, la Grèce a beaucoup de difficultés à remplir les conditions de financement de l'Europe - au point où la zone euro travaille peut-être déjà à un plan de « faillite bien ordonnée ». Ce plan devra notamment recapitaliser les banques européennes et limiter les risques de contagion aux grands pays comme l'Italie. Contrairement à la Grèce, l'Italie est solvable, mais fait face à une crise de confiance. Toutefois, un prêteur de dernier ressort comme le Fonds monétaire international (FMI) ou même la Chine, aurait sans doute les ressources d'acheter de la dette Italienne, ce qui éviterait ainsi une contagion majeure de la crise. L'euro pourrait survivre à la faillite de la Grèce ou même d'un autre pays membre. Économiquement, la zone euro n'a pas d'intérêts à larguer un pays, puisque ses banques détiendraient toujours les dettes dévaluées du pays sortant. L'aspect politique est plus complexe : les Grecs voudront-ils demeurer dans l'euro malgré une dépression économique qui suivrait  une faillite? Il faudra donc un plan  pour aider la Grèce à rebâtir l'économie tout en demeurant dans l'euro.

Jean-Pierre Aubry

Économiste et fellow associé au CIRANO

LE POINT DE NON-RETOUR

Le haut niveau d'évasion fiscale, la difficulté de la réduire de façon importante à moyen terme et le manque de flexibilité de l'économie grecque, notamment au niveau de l'ajustement des prix et des salaires, font en sorte que le retour à l'équilibre budgétaire et à des surplus budgétaires pour repayer les emprunts faits auprès d'autres pays membres de la zone euro sera au mieux très long.  Je doute que plusieurs pays prêteurs, lesquels ont présentement beaucoup de difficultés à gérer leur propre retour à l'équilibre budgétaire, accepteront d'accroître autant et pendant si longtemps leur dette nationale.  À toute cette incertitude s'ajoute une probabilité non négligeable de l'émergence de troubles politiques et sociaux en Grèce. La situation serait fort différente si plusieurs grands pays de la zone euro, la Grande-Bretagne et les États-Unis étaient dans une bonne situation économique et financière. Malheureusement, ce n'est pas le cas. Il est donc fort probable que la Grèce ne puisse honorer ses engagements face à ses prêteurs étrangers.  De plus, le manque de flexibilité de l'économie grecque fait en sorte qu'un retour à une situation financière stable puisse se faire sans une forte dépréciation de sa monnaie, d'où le besoin de sortir de la zone euro. Le risque d'effets de dominos est déjà là.  Je pense que le risque de la disparition de l'euro est encore plus grand si on essaie de vouloir sauver tous les membres qui sont en difficulté.  Une zone monétaire forte et bien gérée ne peut pas offrir à ses pays participants une protection illimitée contre la faillite.

Jean-Pierre Aubry

Adrien Pouliot

Président de Draco Capital Inc., société d'investissement privée

RAS-LE-BOL DE LA GRÈCE

Quand on dépense plus que ce qu'on gagne et que les prêteurs ne veulent plus financer nos déficits parce qu'ils ne pensent pas pouvoir être remboursés, on appelle ça être insolvable.  Ce n'est pas différent pour un pays.  Les pays européens en ont ras-le-bol de la Grèce.  Ils ne veulent plus prêter.  Les contribuables européens ne sont pas prêts à verser plus d'impôts pour renflouer les Grecs qui se paient des programmes sociaux que personne d'autres n'a en Europe.  Ici, le compteur de la dette du Québec de l'Institut économique de Montréal dépassera bientôt les 240 milliards de $ et nous sommes la 5e nation la plus endettée au monde.  Nous avons des programmes sociaux plus généreux que partout ailleurs au Canada.  Est-ce que ceux qui nous financent (par exemple, les autres contribuables canadiens via la péréquation) pourraient un jour nous dire la même chose que les Européens disent aux Grecs : « Assez, c'est assez »?

Adrien Pouliot

Richard Vigneault

Consultant en communication et membre de l'Idée fédérale

TEST DE SOLIDARITÉ

Plusieurs experts affirment qu'une faillite ordonnée de la Grèce représente le meilleur scénario.  Un bon scénario pour les banques, mais pas nécessairement pour les Grecs ! On parle beaucoup des impacts sur le système financier international, mais peu des conséquences catastrophiques pour la population hellénique : pertes d'emplois massives, privatisations à rabais, chute des investissements et hausses substantielles d'impôts et de tarifs.  Et derrière le cas grec se profilent ceux de l'Italie, de l'Espagne, du Portugal. Ces mauvais exemples de gestion des fonds publics et de gonflement de la dette sont une leçon pour tous les États. Le surendettement collectif conduit inévitablement à l'appauvrissement général. Les citoyens allemands et français se demandent pourquoi ils devraient faire des sacrifices et vivre une situation plus précaire pour éponger les dettes de pays qui ne seront jamais en mesure de leur rendre la pareille ?  Comme il n'existe pas dans cette zone de structure fédérale dotée d'un mécanisme comme la péréquation, plusieurs pensent qu'ils affaibliront leur propre économie s'ils viennent en aide aux plus mal pris. Nous sommes en plein test de solidarité d'un ensemble de pays qui s'est doté d'une monnaie commune sans jeter les bases d'institutions capables de la supporter.

Pierre Simard

Professeur à l'ENAP, à Québec

UN GRAND SERVICE

Aujourd'hui, on s'inquiète pour la Grèce, et demain, on s'inquiétera pour l'Espagne, le Portugal et l'Italie... Le problème? L'endettement démesuré de ces pays et leur difficulté à faire face à leurs obligations financières. De plus en plus d'observateurs croient qu'on devrait laisser la Grèce faire faillite, qu'on lui rendrait un grand service si on l'obligeait à respecter ses engagements en quittant la zone euro et en dévaluant sa monnaie. En réalité, peu d'économistes croient qu'une nouvelle aide financière sera un jour remboursée par la Grèce. La «solidarité» de l'UE viserait seulement à protéger les banques européennes très engagées dans l'économie grecque; une fuite en avant qui aura pour seule conséquence d'endetter encore davantage la Grèce et les pays de l'UE. La faillite ne serait évidemment pas facile pour les Grecs. Mais mettons-nous à leur place : quels choix ont-ils réellement? Soit ils acceptent l'aide européenne et se font dicter un plan de redressement venant de l'extérieur du pays, soit ils font faillite, larguent une partie de leur dette et se chargent eux-mêmes de mettre en place les mesures d'austérité qui ramènera le pays sur le chemin de la santé financière. Souvenons-nous de l'Argentine : ce pays avait préféré faire faillite plutôt que de se soumettre aux diktats du FMI. Qui mettra ses culottes le premier?

Pierre Simard

Françoise Bertrand

PDG de la Fédération des chambres de commerce du Québec

IMPACT MAJEUR SUR LE QUÉBEC

La question posée nous rapporte à un aspect primordial de l'économie : l'incertitude. Le Québec étant un grand exportateur, la situation économique et financière de nos partenaires commerciaux est étroitement liée à la santé de notre économie. La FCCQ s'inquiète davantage des répercussions possibles pour le Québec de cette situation. Avec le ralentissement économique aux États-Unis en plus, le Québec devra jongler avec cette épineuse question. Même si la Grèce peut paraître bien loin, une crise européenne encore plus importante pourrait avoir un impact majeur sur le Québec. Il faut penser aux manufacturiers québécois qui pourraient connaître des difficultés. En période d'instabilité ou de faiblesse des principales devises, c'est l'or qui devient la valeur refuge par excellence. Et à ce chapitre, c'est un avantage dont le Québec peut tirer profit.  Nous sommes dotés d'un sous-sol riche en minéraux et plusieurs pays sont à la recherche de ressources naturelles. Avec le Plan Nord, nous avons une occasion unique de diversifier nos exportations, tout en contrôlant la manière dont nos ressources sont exploitées. Nous devons aller de l'avant avec ces grands projets créateurs d'emplois. Cette avenue pourrait devenir la planche de salut du Québec, nous protégeant davantage contre une éventuelle crise européenne.

Imacom, Frédéric Côté

Françoise Bertrand