Le départ de la ministre Nathalie Normandeau, un pilier du cabinet Charest, est-il une mauvaise nouvelle pour le gouvernement? Quel bilan faites-vous de ses réalisations comme ministre?

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Antonin-Xavier Fournier

Professeur de science politique au cégep de Sherbrooke

L'USURE DU POUVOIR

Depuis les années 1960, aucun gouvernement n'a réussi à obtenir plus de deux mandats majoritaires. La démission surprise de la vice-première ministre est peut-être le signe que le gouvernement libéral de Jean Charest a peu de chance d'être réélu à l'occasion de la prochaine campagne électorale. Après tout, l'usure du pouvoir favorise inlassablement l'alternance à la tête de l'État de partis et d'acteurs politiques différents. Avec un taux de satisfaction au plus bas et l'arrivée possible de François Legault sur la scène politique provinciale, la ministre Normandeau fait une lecture réaliste des conjonctures politiques actuelles. En outre, la prochaine campagne s'annonce particulièrement imprévisible au niveau du comportement électoral, ce que confirment les résultats du 2 mai dernier. S'agit-il d'un repli stratégique ou d'une véritable fin de carrière politique? Difficile à dire, la politique étant par nature instable et imprévisible. Chose certaine, à 43 ans, la ministre des Ressources naturelles a encore beaucoup à offrir. En ce sens, il est inopportun de faire une comparaison avec d'autres départs récents. Contrairement à Jacques Dupuis et Monique Jérôme-Forget, Nathalie Normandeau a le temps d'être en réserve et de revenir aux affaires une fois la tempête terminée.

Robert Asselin

Directeur associé de l'École supérieure d'affaires publiques et internationales à l'Université d'Ottawa

UN PARCOURS TRÈS RÉUSSI

De nos jours, le succès d'un ministre est intimement lié à trois facteurs : la confiance et la loyauté du premier ministre, la gestion (ou l'absence) de crise médiatique et la conjoncture politique.  Ministre compétente, communicatrice aguerrie et femme de défis, Nathalie Normandeau a été un atout indéniable pour le gouvernement Charest.  Ayant piloté des dossiers délicats et assumé des responsabilités ministérielles considérables et variées, elle a eu parcours somme toute très réussi. Sa démission soulève deux questionnements. Le premier, c'est celui de la relève de la classe politique québécoise. Dans la quarantaine, on l'imaginait facilement devenir un jour première ministre du Québec, à tout le moins faire partie d'un groupe sélect de ministres influents durant un règne libéral. Avec Line Beauchamp et Claude Béchard, elle représentait la relève au Parti libéral du Québec, mais aussi celle de la classe politique québécoise.  Il est d'ailleurs possible qu'elle soit partie pour un jour mieux revenir. Peu importe, la politique intéresse encore trop d'hommes et femmes de talent qui seront un jour capables de prendre le flambeau. Mme Normandeau appartenait à cette catégorie. Le deuxième questionnement, c'est celui lié aux immenses sacrifices personnels de l'engagement et du service publics.  Les gens oublient souvent que les ministres sont des êtres humains comme tout le monde, avec des familles, des conjointes et des enfants. Ils peuvent tomber malades, avoir des problèmes de couple et avoir des enfants qui souffrent de maladies graves. Ils doivent payer leurs impôts et payer leurs factures quand ils vont au restaurant.  Dans un univers médiatique qui carbure au sensationnalisme et à la nouvelle qui vend, tous les gestes et déclarations de nos élus sont épiés, commentés et analysés.  Quand la vie privée de ces gens est exposée au grand jour, ca ne fait que contribuer à rendre la politique encore moins attrayante.

Jana Havrankova

Endocrinologue

LES POLITICIENS SONT DES ÊTRES HUMAINS

La population et les médias semblent parfois oublier que les politiciens sont des humains et qu'ils devraient être traités avec un certain respect. Non pas qu'il soit inapproprié de les critiquer, mais il faudrait conserver une certaine décence et, pourquoi pas, une politesse. Toutes les bévues de politiciens sont scrutées avec une loupe, sinon avec un microscope. Le millage que les médias ont réussi à faire avec la comparaison du « pet de vache » aux gaz de schiste par Mme Normandeau en est un exemple. Aucune erreur n'est permise et toute phrase déviant de la langue politicienne standard sera disséquée ad nauseam. Les politiciens savent qu'ils doivent développer une carapace, mais il est possible qu'à un moment donné, ils craquent. Plusieurs ingrédients sont réunis pour un épuisement professionnel : absence quasi totale de reconnaissance de «bons coups», dénigrement systématique du travail du politicien, plus encore celui d'un ministre, limites sévères à la gestion personnelle de l'emploi du temps. Qui voudra se lancer en politique ou y demeurer dans de telles conditions?