Un juge de la Cour supérieure a libéré mardi 31 membres et associés des Hell's Angels. Le magistrat estimait que la Couronne n'a pas tenu compte des années qu'il faudrait pour traduire devant les tribunaux les 155 présumés motards arrêtés dans le cadre de l'Opération SharQc. Selon vous, cette décision démontre-t-elle l'incapacité de l'État québécois de lutter contre le crime organisé? Que devrait faire le gouvernement Charest, outre porter ce jugement en appel?

LES COMMENTAIRES DOIVENT ÊTRE SIGNÉS. MAXIMUM DE 150 MOTS.

Louis Bernard

Consultant

UN COUP DE SEMONCE OPPORTUN

Je ne sais pas si, sur le fond, la décision du juge Brunton est la bonne ou non, et si elle sera maintenue en appel. Mais une chose est certaine: la justice, en tant que pouvoir indépendant, existe au Québec. Les juges ne craignent pas d'intervenir dans la marche des choses et de changer le cours des événements. Le pouvoir judiciaire est autonome et quiconque peut s'y adresser pour faire valoir ses droits. C'est dans ce sens que le Québec est véritablement un État de droit dont nous pouvons être fiers. Cela ne veut pas dire, par contre, que l'organisation de la justice, chez nous, ne requiert pas des modifications profondes pour répondre à l'évolution de notre société. Au contraire, et c'est le sens profond du jugement: notre ministère de la Justice n'a pas réussi à adapter ses façons de faire aux nouvelles réalités de la lutte au crime organisé. Ce n'est pas tout d'arrêter les criminels, il faut encore les juger en respectant les prescriptions de notre droit. La pratique d'empiler les accusations sur chacun des prévenus et de regrouper toutes les poursuites dans un petit nombre de méga-procès simplifie peut-être la tâche des procureurs de la Couronne, mais elle rend quasiment impossible la tâche des jurys, des avocats de la défense et des tribunaux. Il faudra donc revoir nos façons de procéder si on veut éviter que la population comprenne mal le sens des difficultés actuelles et perde confiance dans la justice. La solution ne sera pas nécessairement facile, mais on peut déjà prévoir qu'il faudra des accusations plus ciblées et un plus grand nombre de procès distincts. Ce qui exigera des ressources accrues.

Mélanie Dugré

Avocate

UN COUP DE MASSUE

Bien sûr que j'ai confiance en notre justice. Mais son système est-il pour autant parfait? Certainement pas. Tout comme la santé et l'éducation, le système de justice québécois est confronté à plusieurs problèmes, notamment ses délais interminables, ses coûts astronomiques et son criant manque de ressources. Toutes ces brèches ont affaibli le dossier de la poursuite dans l'affaire SharQc au point où le juge Brunton a estimé que les droits fondamentaux des accusés étaient en péril. Si cette décision ne signifie pas que le Québec est incapable de lutter adéquatement contre le crime organisé, elle démontre néanmoins clairement qu'il y a un noeud sur la chaîne de montage: des moyens extraordinaires ont été fournis aux services d'enquêtes policières sans que soient proportionnellement adaptées les ressources judiciaires, négligeant ainsi le fait qu'en définitive, c'est à la justice qu'est confiée l'ultime tâche de décider du sort des accusés.

Sans l'avoir lu en détails, ce jugement m'apparaît dur et impitoyable pour la poursuite. Le message envoyé a toutefois le mérite d'être clair et espérons que si la Cour d'appel maintient les conclusions du juge Brunton, ce sera le coup de massue nécessaire pour que soient apportés les changements que commande une justice fonctionnelle et efficace.

Caroline Moreno

Écrivaine

FILET OUVERT

Peur ou retour d'ascenseur? Quelques coups de filet de temps à autre ne parviennent pas à dissiper l'impression que l'État québécois est, dans une certaine mesure, de mèche avec les groupes de motards criminalisés ainsi qu'avec des membres de la mafia. Il revient à la population de réagir mais, que peut-on espérer de la part de boycotteurs d'élections et de signataires de pétition en ligne?