Dans une lettre publiée lundi dans La Presse («Je n'y crois plus»), Marie-Claude Abran déplore que la société québécoise ne reconnaisse pas l'importance du rôle que jouent les parents choisissant de rester à la maison pour élever leurs enfants. Ces parents, dit-elle, sont hypothéqués par une fiscalité défavorable et par un milieu du travail qui ne reconnaît pas la valeur de l'expérience. Êtes-vous d'accord avec cette façon de voir les choses? Que pourrait faire l'État pour mieux soutenir les parents qui choisissent de rester à la maison?

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Caroline Moreno

Écrivain

UN CHOIX PERSONNEL

L'État québécois ne peut à lui seul assumer les choix de tous les parents. Combien d'entre eux préféreraient demeurer auprès de leurs enfants plutôt que de les confier à des éducatrices et éducateurs aussi spécialisés soient-ils? Les personnes travaillant à forfait, sur appel, à la pige, de nuit, à horaire variable, rencontrent elles aussi d'énormes difficultés organisationnelles. Des emplois à temps partiel, la semaine de travail de quatre jours, de plus longs congés de maternité et de paternité seraient certes bienvenus de même que l'augmentation du nombre de places en garderie.

Pierre-Yves McSween

Comptable agréé, chargé de cours à HEC Montréal

LAISSONS LE LIBRE CHOIX

La question soulevée est fort intéressante. Dans un premier temps, il faut savoir que le conjoint ou la conjointe qui travaille à l'extérieur de la maison bénéficie d'un crédit d'impôt pour compenser, bien que partiellement, le fait qu'il a une personne (conjoint ou conjointe) à charge. Il y a moyens de faire différemment. Prenons le cas des garderies subventionnées et des CPE: ce service, subventionné par tous les Québécois, tient pour acquis que les deux parents travaillent et qu'ils veulent sous-traiter la tâche de s'occuper de leurs enfants durant le jour. Cette logique, bien qu'intéressante monétairement (surtout pour un futur papa comme moi), ne laisse pas le libre-choix aux parents. De plus, elle augmente l'interventionnisme de l'État et crée des structures supplémentaires à supporter. À la place de tout ce système, nous devrions peut-être simplement verser des allocations généreuses aux parents, équivalentes à ce qui est versé aux garderies subventionnées et aux CPE. Ces derniers auraient le libre-choix d'élever leurs enfants eux-mêmes à la maison ou de travailler à l'extérieur en payant la garderie avec leur portion de subvention. Une autre possibilité serait de permettre le fractionnement partiel de revenus pour les parents dont au moins un enfant est âgé de moins de 5 ans. Ainsi, la personne qui travaille pourrait diminuer son imposition pour transférer une partie de son salaire à la personne qui a fait le choix de demeurer à la maison. Évidemment, cela semble crée une injustice pour les célibataires et les couples sans enfants. Toutefois, notre société subventionne déjà les parents, la solution proposée ne fait que donner le libre-choix à ces derniers, tout en permettant à l'État de diminuer ses responsabilités. Cette solution propose donc un alliage entre la liberté de choix et la responsabilisation du citoyen, tout en nous permettant de nous assurer de ne pas pénaliser ceux qui font le choix de supporter notre démographie.

Mathieu Bock-Côté

Chargé de cours en sociologie à l'UQAM

S'OUVRIR À TOUT, MÊME À LA TRADITION?

La famille est certainement une des institutions les plus problématiques qui existe dans notre société. Tous s'en réclament et la valorisent, même si plus personne ne sait à quoi elle réfère exactement. Ne répète-t-on pas d'ailleurs que la famille n'existe qu'au pluriel, qu'il faut moins parler de sa dislocation que de sa mutation pluraliste, de sa recomposition? Pourtant, on constate qu'ils sont de plus en plus nombreux à tâtonner pour redécouvrir certains fondements culturels tenus pour négligeables depuis une quarantaine d'années. Des hommes et des femmes se mettent à regarder avec une sympathie de moins en moins clandestine le modèle familial de leurs parents, plus exactement de leurs grands-parents. Pour le reproduire? Bien sûr que non. Qui contesterait aujourd'hui les vertus de l'émancipation féminine, la révolution égalitaire entre les sexes? Mais certains se demandent pourquoi ne pas récupérer de ce vieux modèle la part de bon sens qu'il contenait: un certain sens de la stabilité, de la durée. On nous invite à nous ouvrir à tous les modèles familiaux. Pourquoi ne pas s'ouvrir aussi à ce qui peut rester de la famille traditionnelle, à tout le moins à ceux qui y tiennent, sans les tenir pour des galeux?

Mélanie Dugré

Avocate

LE LOISIR DE CHOISIR

Des études publiées récemment ont confirmé que le réseau des CPE avait permis à de nombreuses femmes, autrement condamnées à la pauvreté et à l'isolement, d'atteindre le marché du travail et l'autonomie financière. Tant mieux. Pendant ce temps, qu'a-t-on fait pour soutenir les parents, majoritairement des mères, souhaitant plutôt rester à la maison pour élever leurs enfants? Bien peu. Lors de la dernière campagne électorale provinciale, il y a eu cette proposition adéquiste, pas folle du tout, d'offrir un salaire aux parents au foyer. Depuis, plus rien. Le problème se pose à deux niveaux: le vide fiscal et juridique dans lequel le parent à la maison se retrouve et le manque de soutien de l'État à son égard. Entre le néant actuel et le Club Med redouté par certains, il existe certainement des mesures financières, légales et fiscales qui pourraient aider les parents qui choisissent de rester temporairement auprès de leurs enfants. Quant à l'absence de reconnaissance et de valorisation du rôle de parent à la maison, elle est malheureusement symptomatique de la société d'avoir et de paraître dans laquelle nous vivons et dont l'échelle de valeurs est parfois douteuse. En attendant d'avoir la liberté de choisir entre boulot et marmots, certaines mamans, à l'issue du congé de maternité, reprendront le chemin du travail avec motivation et enthousiasme alors que d'autres le feront la larme à l'oeil et le coeur en miettes.

François Bonnardel

Député adéquiste de Shefford

MIEUX RESPECTER LA LIBERTÉ DE CHOIX DES PARENTS

Même si cela est plus rare qu'auparavant, demeurer à domicile pour élever ses enfants constitue une liberté qu'on ne doit d'aucune manière décourager par la fiscalité ou par un programme social. Les parents qui font ce choix ont au contraire besoin de plus de support, car le retour sur le marché du travail peut s'avérer difficile, comme l'illustre si bien Marie-Claude Abaran dans sa lettre ouverte. Malheureusement, le système dans lequel nous évoluons ne tient pas compte des cas comme le sien. Les papas et les mamans qui décident de demeurer à la maison sont effectivement désavantagés par un programme de garderies contraignant pour tous les parents. Ainsi, ils contribuent à la même hauteur que les autres au financement de ces coûteuses garderies subventionnées, via les taxes et les impôts qu'ils paient au gouvernement. Or, ils n'utiliseront jamais ces établissements et ont même fait le choix difficile - mais tout à fait légitime - de faire passer leur famille avant leur carrière professionnelle, ce qui comporte déjà un lot considérable de difficultés. La meilleure solution pour remédier à cette injustice est d'introduire, en complémentarité avec le système actuel, le remboursement d'un montant hebdomadaire de 100$ pour tous les enfants d'âge préscolaire qui ne fréquentent pas de garderie subventionnée. L'Action démocratique du Québec propose cette solution depuis plusieurs années, mais le gouvernement libéral a préféré suivre Pauline Marois dans ce dossier et ignorer la cause des parents qui décident de rester à la maison. Pour des raisons d'équité et de respect de la liberté de choix, cette injustice doit être corrigée au plus vite.

Pierre Simard

Professeur à l'École nationale d'administration publique

DONNONS LES MOYENS AUX MÈRES

Les enfants québécois sont devenus des «biens publics». Les mères québécoises sont assujetties à une énorme bureaucratie qui décide des services qui leur seront offerts. Une bureaucratie qui s'est arrogé le droit de décider à la place des familles ce qui est bon pour leurs enfants. Une bureaucratie qui détermine et subventionne les services qu'elle juge souhaitables, et ce, sans égard à la responsabilité des parents. Des parents qu'on juge irresponsables et incompétents finalement. Présentement, nos impôts alimentent une énorme bureaucratie qui, après les avoir ponctionnés de «frais généraux», les convertit en un éparpillement de services à la famille; des services assujettis à un contingentement, une liste d'attente, une restriction, une condition particulière ou... une convention collective. Des services à l'enfance qui ont surtout comme caractéristique de coïncider avec la préservation des privilèges aux syndiqués ou aux corporations professionnelles. Si on veut véritablement aider les mères aux foyers, on n'a qu'à prendre les milliards éparpillés ici et là et les retourner directement à toutes les mamans. Elles choisiront alors que faire de cet argent: le garder pour elles ou s'offrir les services dont elles ont besoin. Pourquoi ne pas offrir aux mères le moyen de se responsabiliser plutôt que de laisser le gouvernement décider ce qui est bon pour leurs enfants?

Francine Laplante

Femme d'affaires

L'IDÉAL N'EXISTE PAS

Est-ce que l'État doit verser un salaire décent aux parents qui décident de rester à la maison avec leur enfant? Est-ce que l'État devrait ajuster ce salaire en fonction de chacun des enfants? Est-ce que c'est plus de travail de s'occuper de deux, trois enfants plutôt qu'un seul? Si la réponse est oui à toutes ces questions, comment s'assurer que ces parents feront un travail adéquat? Comment être certains qu'ils s'occuperont des tâches que l'État s'attendra d'eux en tant «qu'employeur»? Qui aura droit à ce salaire, le père ou la mère? Pourquoi le père et non la mère, pourquoi la mère et non le père? Pourquoi pas tous les deux? Ne réclame-t-on pas plus de place pour les pères? N'est-il pas essentiel dans la vie d'un enfant d'avoir la présence de ses deux parents? Malheureusement, l'idéal n'existe pas et même si personne n'est contre la vertu, il faut également être réaliste. Nous devons vivre avec nos choix et les conséquences à long terme de ces choix. Tout le monde rêve de rester à la maison avec ses enfants, d'assister en direct à leur évolution année après année. On rêve tous d'avoir le temps, en plus d'entretenir la maison, de fleurir le jardin, de cuisiner des plats santé, d'éviter le trafic le matin... Mais comme disait ma défunte mère, on ne peut avoir le beurre et l'argent du beurre. Lorsque nous décidons de mettre des enfants au monde, nous devons être conscients de toutes les conséquences qui viennent avec nos petits chérubins et nous devons assumer nos choix sur toute la ligne et arrêter de blâmer l'État et la société.