Le temps d'attente moyen est de 17heures 36 minutes dans les urgences des hôpitaux québécois. Le ministre de la Santé, Yves Bolduc, maintient qu'il est possible de le réduire à moins de 12 heures. Y croyez-vous encore? Est-ce un objectif réaliste, compte tenu du vieillissement de la population?

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Alain Vadeboncoeur

Urgentologue

QUEL PROBLÈME DES URGENCES?

Est-ce que j'y crois encore, qu'on peut régler le «problème des urgences»? En 1985, la ministre Thérèse Lavoie-Roux investissait des centaines de millions pour régler définitivement «le problème des urgences». Depuis, tous les ministres de la Santé y sont allés de leurs solutions, sans influencer tellement les séjours aux urgences, bien que plusieurs hôpitaux aient au moins temporairement réussi à améliorer les choses. Et pourtant, si le «problème» qu'on souhaite si ardemment régler... n'existait pas? Curieuse question. Pourtant, le «problème des urgences», tel qu'on le présente généralement, comme dans le «palmarès des urgences», c'est au mieux une déformation de la réalité, qui malheureusement envahit le discours public et influence conséquemment les actions, ce qui est probablement nuisible et renforce en passant les perceptions erronées. Les urgences ne débordent tout simplement pas: c'est l'hôpital qui déborde! Ces patients attendent leur lit d'hôpital qui tarde à se libérer. Ils auraient d'ailleurs pu attendre ailleurs, mais les corder à l'urgence plutôt qu'ailleurs dans l'hôpital est devenu un réflexe, un choix «normal», permettant de simplifier le problème en le concentrant plutôt que de le répartir dans tout l'hôpital. Alors, commençons par utiliser le bon terme, «débordement de l'hôpital», et plaçons ensuite en toute logique ces patients qui attendent à la bonne place: «dans l'hôpital», que ce soit en débordement ou non des lits disponibles, et cessons de les concentrer à l'urgence, dont ce n'est pas la mission! Ça s'appelle un protocole de surcapacité, ça existe, et certains l'appliquent maintenant. Ensuite, prenons un peu de recul: on aura beau examiner durant encore 25 ans les microprocessus hospitaliers, ça ne nous éclairera pas beaucoup plus sur le fait que notre système de santé engendre tout naturellement le «problème» qu'il prétend vouloir résoudre: quand une première ligne, fragmentée, mal coordonnée, s'occupe mal et avec trop peu de moyens de ses malades chroniques; quand de grands malades se retrouvent ensuite malheureusement à l'urgence, endroit conçu pour soigner les urgences vitales,mais mal fort adapté pour remettre une personne âgée sur pieds; quand, par manque d'alternatives et insuffisance de soins à domicile, ils doivent ensuite être hospitalisés sur unité de soins aigus alors que souvent leurs besoins sont bien différents; et quand, une fois ces soins «aigus» complétés, ils ne peuvent récupérer à domicile ou dans un autre milieu approprié, par manque de ressources et de personnel. Et pourtant, rien d'utopique: tout ceci est réalisable et même déjà appliqué dans certaines régions, avec des résultats probants. On verra bien en 2036 si nous aurons eu, d'ici là, l'intelligence de nous poser ces questions différemment ou bien si nous aurons plutôt continué à pagayer encore plus vite, sans remarquer que nous avons depuis longtemps choisi la mauvaise direction. J'y croirai peut-être quand j'aurai constaté que nous posons les questions autrement et agissons en conséquence.

Pierre Simard

Professeur à l'École nationale d'administration publique à Québec

L'ILLUSION

Réduire le temps d'attente moyen de 18 à 12 heures dans les urgences est devenu le leitmotiv de notre ministre de la Santé. Il a le droit de rêver. L'achalandage dans les salles d'urgence s'apparente à la congestion routière. Or, un des phénomènes observables dans le secteur routier, c'est que chaque fois qu'on inaugure une nouvelle route ou un nouveau pont, il ne se passe guère de temps avant que la congestion se réinstalle à nouveau. Pourquoi? Parce que l'attente représente un coût pour les usagers et que si vous diminuez ce coût, les quantités vont augmenter. C'est-à-dire que les gens vont se précipiter dans leur véhicule pour profiter de cette nouvelle fluidité. Même chose pour les urgences. À mesure que vous améliorerez la qualité du service, et que vous diminuerez le temps d'attente aux urgences, on peut s'attendre à ce que les gens rappliquent aussitôt. Pour les économistes, l'allocation des ressources d'un service gratuit se fait par la congestion. C'est comme ça. Peut-être serait-il temps de cesser d'espérer des miracles d'un système de santé étatisé, monopolistique et gratuit.

Jana Havrankova

Endocrinologue

PROBLÈMES À L'AMONT ET À L'AVAL

L'engorgement des urgences n'est qu'un symptôme des problèmes fondamentaux de notre système de santé. Connus depuis des lustres, ceux-ci ne semblent pas évoluer vers une solution. L'afflux des patients vers les urgences s'explique en partie par le fait que souvent les gens n'ont pas d'autres endroits de soins où se tourner. Les cliniques sans rendez-vous ont des horaires et des capacités d'accueil insuffisants; leurs localisations et fonctions ne sont pas bien connues de la population. Autre malaise: les 20% de Québécois qui n'ont pas d'omnipraticien ne bénéficient pas d'une prise en charge de leurs problèmes de santé jusqu'à ce que la situation se détériore. Par ailleurs, les patients restent sur les civières aux urgences en attendant l'hospitalisation parce qu'il n'y a pas de lits disponibles à l'étage. Ces lits sont souvent occupés par des patients en perte d'autonomie qui attendent le transfert vers les soins de longue durée. En présentant les statistiques sur des délais aux urgences, il serait utile de distinguer l'attente pour voir le médecin de celle pour obtenir un lit, les solutions n'étant évidemment pas les mêmes. Il est illusoire de vouloir régler le problème des urgences sans améliorer les soins de santé dans leur ensemble.

Jean Bottari

Préposé aux bénéficiaires

MOI, JE N'Y CROIS PLUS

Campagne électorale provinciale de 2003, Jean Charest disait: «Au lendemain de l'élection d'un gouvernement du PLQ, nous réglerons les problèmes du réseau de la santé.» Nous voilà donc huit ans plus tard et le temps d'attente moyen dans nos salles d'urgence est de plus de 17 heures. Fautes de soins et de suivi adéquats, nos personnes âgées sont contraintes de se présenter à l'urgence. Elles sont triées, selon la gravité de leurs symptômes, couchées sur une civière et parquées le long d'un mur des heures, sinon des jours durant. Pourquoi devrions-nous croire Yves Bolduc, ministre de la Santé, qui affirme vouloir réduire ce temps d'attente à un maximum de 12 heures? Qu'a-t-il donc fait depuis qu'il est en poste? N'avait-il pas, lui aussi, fait la promesse de régler ce problème? Sait-il que le personnel de nos salles d'urgences fait les frais de son incompétence? Les malades, las d'attendre, s'en prennent verbalement et quelques fois même physiquement au personnel soignant qui ne fait que travailler pour le bien-être de ses semblables dans un dédale administratif qui est mal géré et qui est devenu au fil du temps inhumain et indigne de notre société. Y a-t-il une seule personne, outre M. Bolduc lui-même, qui croit toutes ses belles promesses? Moi, je n'y crois plus depuis belle lurette. Les bâtisseurs de notre société méritent plus de respect de la part de nos élus, ne croyez-vous pas? Ma femme et moi, tous deux employés du réseau, sommes inquiets pour l'avenir et, contrairement au gouvernement Charest, pouvons affirmer que nous ne sommes pas prêts...

Raymond Gravel

Prêtre dans le diocèse de Joliette

UNE ATTENTE DÉMESURÉE

Lorsque le ministre de la Santé dit vouloir diminuer le temps d'attente dans les urgences des hôpitaux québécois, en passant de 17 heures à 12 heures, c'est d'un ridicule inimaginable. Comment peut-on accepter une telle réalité? Y voit-on véritablement un progrès? Attendre 12 heures dans une urgence d'hôpital lorsqu'on est malade, c'est inacceptable! Imaginez alors 17 heures! C'est presque honteux qu'on en soit rendu là! C'est un mépris de l'être humain qui souffre et qui a besoin d'être soigné. Le ministre Bolduc doit modifier ce système inhumain: il faut questionner le Collège des médecins, partager les responsabilités avec le personnel soignant, diriger les patients selon la gravité de leur situation, afin de donner aux malades des soins appropriés dans des délais raisonnables. Les hôpitaux au Québec sont dirigés par des administrateurs qui oublient que le malade est prioritaire. Leur façon de gérer les urgences porte atteinte à l'intégrité et à la dignité de la personne humaine. Avec le vieillissement de la population, l'avenir me fait peur. Nous sommes dans une situation que je qualifierais de pathétique. Que de souffrances endurées par certains qui démontrent l'incapacité, l'incohérence et l'incompétence de nos dirigeants. Y a-t-il un ministre de la Santé qui pourrait faire le ménage?

Mathieu Bock-Côté

Chargé de cours en sociologie à l'UQAM

L'INERTIE BUREAUCRATIQUE

Soyons clairs: critiquer le système de santé ne consiste pas à faire le procès de ses milliers d'artisans, infirmières, techniciens ou médecins. Tous ceux qui s'y sont retrouvés connaissent les trésors d'humanité qui se trouvent chez ceux qui sont en contact avec l'homme dans toute sa vulnérabilité. Pourtant, le système de santé va mal. Les données publicisées par La Presse sont bouleversantes: plus de 17heures d'attente aux urgences! Les ressources sont mal distribuées et confisquées en bonne partie par une bureaucratie surtout occupée à gérer les conditions de sa propre croissance. Le ministre a beau promettre une réduction plus ou moins significative du nombre d'heures d'attente, qui le croit? Peut-il sérieusement imposer des réformes majeures à un système qui incarne de manière caricaturale l'inertie bureaucratique du modèle social québécois? Le vieillissement de la population radicalisera cette crise. Un virage majeur s'impose, qui ne pourra être seulement celui d'une meilleure efficacité gestionnaire. Il faudra sortir du paradigme bureaucratique qui entrave toute initiative réformatrice sérieuse. Personne, sauf les charlatans idéologiques qui croient avoir la solution à tous les problèmes, ne peut croire un seul instant que cela sera simple. Une immense volonté politique devra néanmoins être mobilisée pour débureaucratiser le système de santé, surtout, pour l'humaniser.

Francine Laplante

Femmes d'affaires et présidente de la fondation des Gouverneurs de l'Espoir

UN CANCER GÉNÉRALISÉ

Je suis profondément convaincue que la même question nous sera posée l'an prochain et que nous n'aurons rien amélioré. Arrêtons d'espérer et soyons réalistes: un Québécois sur trois n'a pas de médecin de famille! Nous n'avons aucune ressource vers laquelle nous tourner, le problème est beaucoup plus profond que le simple temps d'attente dans les urgences. Il est temps de faire un ménage en profondeur dans le système de santé et de revoir la gestion bureaucratique imposée aux médecins et aux infirmières. Nos professionnels de la santé ont été formés pour soigner et non pour rédiger des rapports à n'en plus finir qui ne servent à rien d'autre qu'à satisfaire les fonctionnaires et à justifier les budgets. Le ministre de la Santé, Yves Bolduc, a un sérieux problème de crédibilité, mais nous devons également être réalistes. M. Bolduc traîne une grosse machine rendue quasi impossible à gérer adéquatement, il est la malheureuse vitrine d'une structure elle-même très malade, voire même rongée par un cancer généralisé!

François Bonnardel

Député de Shefford

UN ÉCHEC TOTAL

En 2003, le Parti libéral faisait de la santé «la priorité des  priorités» et ne proposait rien de moins que de «mettre fin aux  listes d'attente et à la médecine de corridor». Huit ans plus tard, les chiffres ne mentent pas et témoignent de ce qu'est le bilan du gouvernement libéral en matière de santé: un échec total. On ne peut qualifier autrement la moyenne de 17heures 36 minutes que doivent attendre les patients dans les urgences du Québec. Non seulement la situation ne s'est-elle pas améliorée depuis 2003, elle s'est détériorée: le temps d'attente moyen a continué d'augmenter lors de chacune des années de gouverne libérale. Au-delà de ces statistiques, il y a surtout une grande détresse humaine et des Québécois qui paient des impôts disproportionnés face aux services qu'ils reçoivent, quand ils ne décident pas de tout simplement retourner chez eux pour endurer leur souffrance. Devant un bilan aussi lamentable et dans un contexte de vieillissement de la population, comment pouvons-nous croire un ministre libéral qui promet de réduire l'attente moyenne à 12 heures? Tant et aussi longtemps qu'un gouvernement n'aura pas le courage de faire de véritables réformes ambitieuses afin de réorganiser le système de santé, d'ouvrir à la pratique mixte, de mieux impliquer les pharmaciens et les superinfirmières dans les services de première ligne et d'améliorer le mode de financement et la performance de nos hôpitaux, les mêmes problèmes vont se reproduire.

Adrien Pouliot

Président de Draco Capital Inc., société d'investissement privée

SYSTÈME DE SANTÉ SOVIÉTIQUE

L'objectif du ministre est certes atteignable, mais pas dans un système de santé soviétique comme nous avons au Québec. Dans un système où il y a des prix aux biens et services, les prix indiquent où il y a une pénurie. Les prix montent ou baissent à la suite des décisions de milliers de consommateurs et producteurs de consommer ou de produire les services.  Si les prix montent, le marché libre alloue automatiquement plus de ressources pour combler la demande puisqu'il y a une plus grande opportunité de faire un profit. L'offre augmente, la demande est comblée et les prix rebaissent. Dans un système à planification soviétique centralisée où il n'y a pas de mécanisme de prix, il n'y a pas d'indication donnée aux producteurs et aux consommateurs quant à la rareté des ressources. Si c'est «gratuit», la demande des consommateurs est sans fin. Tant qu'on aura un système de santé où les fonctionnaires tentent de remplacer ce mécanisme de prix établi par suite à des milliers de décisions individuelles par des plans d'allocation de ressources décidés au complexe G à Québec, on aura un déséquilibre entre l'offre et la demande et donc du rationnement (que l'on retrouve sous forme de queue aux urgences).

Agnès Maltais

Députée péquiste de Taschereau

URGENCE D'AGIR

La cible de 12 heures d'attente aux urgences existe depuis 2005 et n'a jamais été atteinte parce que le gouvernement libéral n'a pas mis en oeuvre des mesures efficaces. La conséquence est qu'il faudra agir avec encore plus de force pour atteindre cet objectif. Plus le gouvernement attend, plus la cible s'éloigne. Parmi les mesures que nous devons prendre, il y a d'accroître substantiellement l'offre de soins à domicile, notamment pour les personnes en perte d'autonomie et les personnes souffrant de maladies chroniques ainsi que davantage de places d'hébergement. À cela, nous devons ajouter l'urgence d'améliorer l'accès à un médecin de famille afin que le suivi médical soit plus adéquat et éviter ainsi que l'état de santé du patient se détériore. Il y a également d'autres mesures telles que l'élargissement du rôle du pharmacien et la mise en place de la ligne info-médicament promise il y a quatre ans. Rappelons qu'un grand nombre d'hospitalisations est lié à un problème de médication. Enfin, soulignons l'importance d'attirer encore davantage d'infirmières dans le réseau public de santé. Nous avons besoin d'elles pour ouvrir plus de lits pour libérer les urgences. En terminant, il est possible d'améliorer la situation vécue dans nos urgences, mais nous devons agir dès maintenant.

Charles Dussault

Président de la Fédération des médecins résidents du Québec

AU CHEVET DE L'URGENCE

Vouloir réduire le temps d'attente dans les urgences est fort louable. On note une augmentation de la clientèle âgée qui se retrouve aux urgences. La chronicité et la lourdeur des cas de ces personnes exigent plus d'attention et de soins de la part du personnel des urgences et les établissements auraient intérêt à développer des façons de faire pour s'assurer que ces personnes soient prises en charge le plus rapidement possible. Il n'appartient pas aux urgentologues de faire des démarches administratives, mais bien à du personnel d'appoint qui doit être constamment à pied d'oeuvre dans les salles d'urgence. Dans un autre ordre d'idées, les objectifs fixés pour un établissement universitaire ne peuvent être les mêmes que ceux fixés pour un établissement de soins généraux. Leurs missions respectives diffèrent et les objectifs que l'on fixe doivent être modulés en conséquence. Enfin, malgré toutes les solutions avancées, les délais d'attente à l'urgence ne pourront être réduits de façon significative, tant qu'une prise en charge longitudinale des pathologies chroniques ne pourra être assumée par une première ligne forte au Québec. Nous devons quand même demeurer optimistes face au temps d'attente dans les urgences. C'est la seule façon de s'assurer que nous finirons un jour par juguler le problème.

Diane Lamarre

Présidente de l'Ordre des pharmaciens du Québec



DES PISTES DE SOLUTIONS

Oui. Pour ce faire, la personne malade doit être au bon endroit, au bon moment. Sans être exhaustives, voici quelques pistes de solutions. Offrir un service de garde depuis certains GMF tous les soirs et les fins de semaine. Prévoir un professionnel de référence avec lequel les personnes atteintes de maladies chroniques les plus à risque de décompensation peuvent communiquer rapidement. Comme c'est le cas en Colombie-Britannique, reconnaître  aux médecins de famille le fait de communiquer par téléphone ou par courriel avec leurs patients. Obtenir du pharmacien un historique de la médication du patient qui tienne compte des médicaments récemment cessés ou modifiés pouvant expliquer la visite à l'urgence. Accélérer le transfert des patients stabilisés vers des établissements de soins prolongés, avec la possibilité éventuelle de retour à domicile. Pour prévenir les complications liées aux médicaments qui sont à l'origine d'une visite à l'urgence (5 à 20 % des visites), prévoir une révision annuelle de la thérapie médicamenteuse des personnes vulnérables par le pharmacien traitant. Permettre à d'autres professionnels de la santé d'initier certaines mesures qui accéléreront l'évaluation du patient par le médecin à l'urgence. Développer des services dans certains GMF pour les patients avec blessures mineures. Permettre aux pharmaciens d'offrir un traitement efficace lors de problèmes de santé mineurs.