Le ministre fédéral de l'Industrie, Tony Clement, a demandé qu'un comité de la Chambre des communes convoque les acteurs de l'industrie pétrolière afin que ceux-ci expliquent pourquoi les prix de l'essence sont si élevés. Croyez-vous que cette mesure sera utile? Pensez-vous que les gouvernements sont en mesure de contrôler le prix des carburants? Comment devraient-ils s'y prendre?

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Jean-Martin Aussant

Député de Nicolet-Yamaska (PQ)

UN PRODUIT COMME UN AUTRE

Il y a un problème certain avec le prix de l'essence quand la presque totalité des gens ne peut s'expliquer ses variations, aussi subites que spectaculaires. Ces variations vont parfois même à l'inverse de ce que d'autres facteurs pourraient indiquer (notamment, le prix du brut), ajoutant à la confusion. Le fait que les hausses paraissent plus rapides que les baisses laisse aussi perplexe quant au bien-fondé économique de chaque variation. Ce problème qui perdure demande une analyse de fond. Le comité de la Chambre des communes, entre autres, pourrait constituer un outil utile en ce sens s'il obtient la pleine collaboration des acteurs de l'industrie. Quant à savoir si les gouvernements sont en mesure de contrôler le prix de l'essence à la pompe, il faut traiter ce produit comme tout autre, c'est à dire en regard de son importance socio-économique et des lois applicables. S'il y a lieu de modifier ou d'ajouter certaines lois pour s'assurer d'un marché plus fonctionnel et mieux arrimé aux mouvements des prix des intrants sur toute la chaîne de production, les gouvernements ont certes tout le pouvoir de le faire. Les multinationales, quel que soit leur domaine d'activité, doivent se soumettre aux lois et non l'inverse.

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François Bonnardel

Député de Shefford (ADQ)

GARE AUX TAXES!

L'industrie pétrolière a une responsabilité sociale de répondre aux questions des citoyens et des élus, qui se demandent pourquoi le prix de l'essence augmente alors que celui du baril de pétrole diminue. Dans un souci d'information, il s'agit d'une bonne idée de convoquer les principaux acteurs de l'industrie devant les parlementaires. Par contre, nous devons demeurer prudents face à l'intervention gouvernementale. Rappelons-nous qu'au Québec, nous sommes la province qui taxe le plus l'essence. Le budget 2010-2011 du gouvernement libéral a d'ailleurs confirmé cette tendance avec une forte augmentation de la taxe sur l'essence. Dans un tel contexte, il est compréhensible que la classe moyenne, écrasée par un fardeau fiscal de plus en plus lourd, s'inquiète de la flambée des prix à la pompe. Je crois qu'il faut évaluer toutes les options pour diminuer la pression qu'exerce une augmentation drastique du prix de l'essence sur les contribuables. Si le gouvernement peut intervenir de façon responsable, sans causer préjudice au libre marché et aux entreprises du Québec, il ne doit pas hésiter à le faire.

Sadia Groguhé

Députée fédérale élue de Saint-Lambert (NPD)

LE GOUVERNEMENT JETTE L'ÉPONGE

La réponse du gouvernement conservateur devant la montée fulgurante des prix à la pompe est nettement insuffisante. Inviter l'industrie pétrolière à venir expliquer comment les prix sont établis, c'est bien, mais les familles et les petites entreprises qui souffrent des fluctuations incontrôlées demandent et méritent de l'action de la part du gouvernement. Ce gouvernement, au lieu de continuer à subventionner les compagnies pétrolières, doit travailler avec l'opposition officielle pour venir en aide aux citoyens. En campagne électorale, le NPD a proposé des mesures concrètes: nommer un ombudsman avec de véritables pouvoirs afin de s'assurer que les citoyens ne soient plus étouffés par les prix de l'essence et pour qu'ils aient quelqu'un qui défendra leurs intérêts; et demander à ce que le Bureau de la concurrence lance immédiatement une enquête sur toute fixation des prix ou collusion entre les compagnies pétrolières. À un moment où les différents gouvernements provinciaux prennent des mesures pour venir en aide aux consommateurs, il est déplorable de voir le gouvernement conservateur jeter l'éponge avant même d'essayer. Les familles du Québec, qui ont de plus en plus de mal à joindre les deux bouts, méritent mieux. Le NPD sera là pour eux.

Pierre-Olivier Pineau

Professeur à HEC Montréal

DES RELATIONS PUBLIQUES

Convoquer les acteurs de l'industrie est inutile. Ce n'est qu'un acte de relations publiques de la part du gouvernement, pour donner l'impression qu'il agit face à une situation que beaucoup de consommateurs déplorent. Si le gouvernement était vraiment inquiet du bon fonctionnement du marché, c'est le Bureau de la concurrence qu'il appellerait, pour mener une enquête sur la possible collusion des pétrolières dans la fixation des prix. Pour en arriver à un contrôle direct des prix, le gouvernement devrait changer radicalement sa politique de libre concurrence - chose tout à fait improbable de la part des conservateurs. Même le NPD ne propose pas une telle chose. Ce ne serait de toute manière pas souhaitable, parce que cela ne ferait que protéger notre consommation trop grande de pétrole. Comme le constatait Georges Bush, c'est la dépendance au pétrole qui est problématique. Cette dépendance qui nous coûte cher: pas seulement à la pompe, mais en congestion, accidents, pollution de l'air et émissions de GES. Les solutions sont simples: conduire moins vite, plus en douceur, réduire les déplacements non essentiels, plus de covoiturage, opter pour une voiture plus écoénergétique (par ailleurs, moins chère à l'achat), et enfin, utiliser davantage les transports en commun et la bicyclette. Ces solutions sont à portée de tous. Les gouvernements devraient rapidement les favoriser, pour réduire considérablement notre consommation de pétrole.

Jean-Pierre Aubry

Économiste et Fellow associé du CIRANO

DONNER L'IMPRESSION DE FAIRE QUELQUE CHOSE

De telles rencontres sont peu utiles. Je pense que le gouvernement devrait déjà savoir, surtout après cinq ans de pouvoir, comment fonctionnent les pétrolières, quel est le niveau de concurrence et quel est le niveau de la rente que tirent les producteurs, les raffineurs et les détaillants. D'ailleurs, comment le gouvernement peut-il décider de donner des subventions ou des baisses de taux d'imposition sans cette information? Il est temps que le gouvernement fasse véritablement de la recherche pour acquérir cette information. Il en a les moyens. Mais en a-t-il le désir? C'est une perte de temps de tenter de comprendre, en détail, la fixation du prix à la pompe au Canada. Par contre, c'est une excellente stratégie pour les pétrolières de complexifier leur modèle de fixation des prix pour mieux cacher ses règles de base et pour attirer le gouvernement et les associations de consommateurs dans un dédale inextricable. Le gouvernement ne doit pas contrôler le prix à la pompe, mais il doit encourager la concurrence et, s'il n'y a pas suffisamment de concurrence, il doit trouver des façons de capturer cette rente, sauf si elle est utilisée clairement pour accroître les capacités de production. Jusqu'à maintenant, le gouvernement s'est activé à accroître cette rente, rendant les pétrolières plus téméraires dans leur quête d'une rente encore plus élevée.

Philippe Faucher

Professeur de science politique à l'Université de Montréal

PUREMENT SYMBOLIQUE

L'essence est chère, la population gronde, il faut trouver un bouc émissaire. Les compagnies distributrices sont des candidates parfaites. Le «surplus pétrolier», la différence entre le prix du brut transformé et le prix de détail, augmente avec chaque hausse du pétrole. Le surplus comprend, dans les pays producteurs, les taxes et redevances versées aux gouvernements au cours de la phase de production. S'ajoutent les revenus du transport et de la distribution, les taxes payées par les consommateurs, le profit des pétrolières, sans oublier les gains réalisés sur les marchés boursiers (la spéculation). Contrairement à une croyance répandue, les taxes sur les produits pétroliers rapportent davantage à nos gouvernements que les revenus d'exportation nets pour les pays producteurs; a fortiori davantage que les profits des distributrices. Le CAA met sa crédibilité en jeu en affichant quotidiennement un «prix réaliste» (www.caaquebec.com/infoessence/fr). On constate que celui-ci ne diffère habituellement que de quelques sous du prix de détail affiché. Ceci laisse supposer que les profits des entreprises sont raisonnables. La capacité de contrôle des prix du gouvernement est purement symbolique. Il s'agit tout au plus de prévenir les abus. L'après-pétrole passe par le pétrole cher. L'escalade est commencée.