Jusqu'à quel point le gouvernement doit-il indemniser les sinistrés du Richelieu? Doit-on se limiter aux biens essentiels? Doit-on inclure les résidences secondaires? Les propriétaires riverains doivent-ils assumer une partie de la responsabilité des inondations?

LES COMMENTAIRES DOIVENT ÊTRE SIGNÉS. MAXIMUM DE 150 MOTS.

Gaétan Frigon

Président exécutif de Publipage inc. et ancien président-directeur général de la Société des alcools du Québec et de Loto-Québec

UN CAS D'EXCEPTION

Dans tout pays (ou province), il y a des programmes existants pour l'indemnisation de sinistrés. Généralement, ces programmes suffisent. Mais il y a aussi des cas d'exception où le gouvernement se doit de mettre en place un programme spécial et, de toute évidence, le cas des inondations causées par le débordement de la rivière Richelieu constitue un cas d'exception. Personne ne pouvait prévoir que le niveau du lac Champlain pouvait augmenter d'autant. Il sera cependant difficile d'établir la limite des indemnisations, car tout le monde et son voisin vont exiger une indemnisation complète. D'une part, les propriétaires riverains devront assumer une partie de la responsabilité des inondations. Dans la plupart des cas, ils ont en toute connaissance de cause construit leur résidence dans un secteur à risque d'inondations. Ils devront ainsi assumer eux-mêmes une partie des coûts alors que le gouvernement devra se limiter aux biens essentiels. D'autre part, les résidences secondaires ne devraient pas être incluses dans un programme spécial. L'indemnité devrait alors se limiter aux programmes existants, si leur cas s'applique. Finalement, il faudra prévoir une indemnisation spéciale pour les agriculteurs dont les terres ont été inondées et qui perdront fort probablement leurs récoltes. Dans leur cas, il serait surprenant que l'assurance récolte couvre l'ensemble des dégâts.

François Bonnardel

Député adéquiste de Shefford

AIDE BONIFIÉE

Face à des catastrophes naturelles aussi dévastatrices que celle causée par le débordement de la rivière Richelieu, nous avons le devoir de soutenir autant que possible les personnes sinistrées. Dans le cas présent, le caractère plus qu'exceptionnel des événements justifie une aide considérable de la part du gouvernement. Non seulement les dommages matériels et les pertes financières sont-ils énormes, mais ce sont aussi des drames humains qui se vivent aux abords de la rivière Richelieu. C'est tout un milieu de vie qui se voit bouleversé par des événements dont on ne peut certainement pas imputer la responsabilité aux citoyens touchés. En août 2007, les résidants de Rivière-au-Renard avaient pu compter sur une aide spéciale du gouvernement lors des inondations survenues en Gaspésie. Les sinistrés du Richelieu, touchés par une catastrophe similaire, mais dont l'ampleur est encore plus grande, doivent être soutenus par une aide financière bonifiée comme ce fut le cas en Gaspésie. Je fais appel au devoir d'État du gouvernement pour que les sinistrés du Richelieu, qui vivent une situation difficile et exceptionnelle, soient soutenus par tous les moyens nécessaires à rebâtir leur communauté.

Jana Havrankova

Endocrinologue

LA SOLIDARITÉ SOCIALE A-T-ELLE DES LIMITES?

Sans doute, pour les personnes qui résident dans les zones qui normalement ne devraient pas subir la crue des eaux, l'aide semble aller de soi. Elles sont des victimes innocentes de la dame nature déchaînée. Par contre, celles qui ont bâti dans des zones inondables savaient qu'elles prenaient un risque. On pourrait être tenté de leur dire qu'elles ont contribué à leur propre malheur et qu'elles devraient se débrouiller toutes seules. C'est là que la question de solidarité sociale se pose de façon la plus aiguë: la société doit-elle aider les gens qui ont subi des dégâts dont ils sont en partie ou en totalité responsables? Pour les malades, nous ne posons pas ce genre de questions. Les soins de santé sont administrés aux automobilistes, victimes d'un accident parce qu'ils roulaient trop vite. On n'exclut pas des soins gratuits les gens blessés dans des sports à risque élevé. Pourquoi? Entre autres, parce que l'on ne saurait pas où tracer la ligne. Devrait-on soigner gratuitement les gens qui deviennent malades parce qu'ils fument? Ceux qui sont obèses? La ligne serait-elle plus simple pour départager les zones inondables de celles qui ne devraient pas l'être?

Pierre-Yves McSween

Comptable agréé et chargé de cours à HEC Montréal

SOLIDARITÉ ET RESPONSABILITÉ

Les assurances habitation ne couvrent habituellement pas ce genre de débordement. Ainsi, suis-je offusqué de voir le gouvernement aider la population dans le besoin? Pas du tout, ce n'est qu'une question de solidarité sociale. D'ailleurs, on ne propose pas de rendre les citoyens millionnaires, mais bien «d'éponger» une partie des dégâts. N'oublions pas que les ressources de l'État ne tombent pas du ciel, elles proviennent des contribuables. Ainsi, ce dédommagement viendra créer un trou dans un autre poste de dépense. À l'avenir, une politique claire au niveau des zones inondables devrait être dressée: c'est-à-dire que si un citoyen décide de se porter acquéreur d'une résidence aux abords d'un cours d'eau, il court potentiellement un risque et devrait assumer une partie de ce dernier si le secteur était identifié comme inondable au moment de l'acquisition. Si la même situation devait se produire à Laval, où plusieurs maisons sont situées dans des zones inondables, devrait-on dédommager des gens qui se sont construits volontairement dans des zones clairement identifiées? Aurait-on dû permettre ces constructions à l'origine? Évidemment, dans le cas présent de la Montérégie, nous nous trouvons devant une situation exceptionnelle, où la population touchée mérite notre support collectif, car les crues outrepassent l'entendement: elles nous rappellent les inondations du Saguenay. Mais le phénomène porte à réflexion. Au niveau de la couverture, on veut empêcher les citoyens de se retrouver sans ressource. Donc, on doit dédommager les citoyens pour les dommages touchant les résidences principales et les biens de première nécessité.

Jean-Pierre Aubry

Économiste

UN PROGRAMME D'INDEMNISATION BIEN DÉFINI?

La taille des indemnisations versées par le gouvernement aux victimes de catastrophes est une décision de société comme les questions de répartition de la richesse collective. Les économistes ont peu à dire sur ces questions. Il faut se demander jusqu'où on peut aller sans déclencher des comportements pervers, comme la prise de plus grands risques parce qu'on est couvert par une assurance gouvernementale. Il faut se demander quels types de catastrophes on veut inclure et ne pas inclure dans un tel programme et quelles pertes on veut couvrir et ne pas couvrir. Il faut se demander quelles dépenses annuelles moyennes on est prêt à encourir comme société pour un tel programme national d'indemnisation et si on est capable d'abreuver à même les revenus courants du gouvernement un fonds spécial pour financer un tel programme. Il faut également définir la contribution des deux ordres de gouvernement à un tel programme. Rappelons-nous que le gouvernement fédéral et le gouvernement du Québec ont beaucoup de difficulté à mettre une provision explicite pour des imprévus dans leur plan budgétaire. Il faut enfin éviter de fonctionner le plus possible de façon ad hoc, redéfinissant de nouvelles normes à chaque catastrophe. Cette façon de faire peut mener à de nombreuses incohérences (ou injustices) et à un programme trop ambitieux.

Paul Daniel Muller

Économiste



UNE DERNIÈRE CHANCE

Lorsque survient un sinistre, on peut habituellement attribuer une part de responsabilité à la malchance et une part à l'imprudence de la victime. Sur beaucoup de rivières, les débordements ne sont pas rarissimes. En principe, un propriétaire prudent devrait s'assurer contre ce risque. Or, la plupart des polices d'assurance habitation ne couvrent pas les dommages attribuables à une crue saisonnière. Cette exclusion devrait être un signal qu'il ne faut pas acheter une propriété exposée à un débordement (du moins sans escompte suffisant sur le prix). Sur le Richelieu, la présente crue résulte d'une conjonction exceptionnelle de facteurs. Elle est d'une ampleur qui n'a apparemment jamais encore été observé. Pour cette raison, le gouvernement devrait indemniser les propriétaires, surtout ceux situés loin des berges qui ne pouvaient se douter du risque. En même temps, maintenant qu'il y a eu un précédent, il devrait déclarer qu'il n'indemnisera pas si une crue d'égale ou moindre importance se reproduit. De même, il devrait déclarer qu'il n'indemnisera pas les riverains sur toutes les rivières qui ont déjà débordé.  L'état est notre assureur de dernier recours, mais il nous incombe aussi, dans nos décisions individuelles, de prendre acte des risques connus.



Paul-Daniel Muller

Daniel Gill

Professeur agrégé à l'Institut d'urbanisme de l'Université de Montréal



PETIT TSUNAMI IMPRÉVISIBLE

La construction en zone riveraine, zone humide et d'autant plus en zone inondable demeure une problématique importante en aménagement et en urbanisme. Ces zones sont essentielles au maintien du fragile équilibre écologique, mais elles sont aussi grandement convoitées par les individus qui y voient là des lieux d'habitation privilégiés. Ceux qui s'y aventurent devraient le faire cependant à leur risque. Dans le cas de la rivière Richelieu, nous sommes confrontés à une situation exceptionnelle qui va bien au-delà de la simple inondation récurrente engendrée par les crues printanières.  Nous sommes ici face à un cas de catastrophe naturelle qui s'apparente autant aux tristement célèbres épisodes du verglas, de la tempête du Saguenay et du glissement de terrain de Saint-Jean Vianney. Même si les échelles sont différentes et les conséquences moins dévastatrices, la situation actuelle se compare à un petit tsunami intérieur imprévisible. Dans un contexte de changements climatiques extrêmes, il faut être bien prudent quant à notre acceptation du risque. Des tornades ici, des pluies torrentielles là, du verglas par ici, plus personnes ne peut prétendre être à l'abri d'une telle tragédie, peu importe l'endroit où on habite. Ceci étant, on devrait assumer pleinement et collectivement les conséquences de grands désastres naturels comme à Saint-Jean sur Richelieu.





Daniel Gill