Bertrand Cantat viendra chanter à Montréal dans un spectacle présenté par le TNM. Devrait-on aller applaudir un chanteur qui a battu sa conjointe à mort mais qui a purgé sa peine? Le TNM aurait-il dû ou non s'abstenir de mettre à l'affiche une pièce de théâtre dans laquelle Bertrand Cantat jouera un rôle central?

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Micheline Lanctôt

Cinéaste, scénariste et comédienne



IL FAUT LUI PARDONNER



Il faut faire une distinction entre justice et pardon. La justice n'a pas de sentiment. Elle condamne et punit selon la faute. Le pardon, lui, appartient à l'être humain, à sa conscience, à son humanité. En ce qui concerne Bertrand Cantat, il a commis une faute grave, il a été condamné, il a purgé sa peine. Les comptes sont à zéro pour la société des hommes. C'est un peu plus compliqué en ce qui concerne le pardon. Le geste de Cantat a été lourd de conséquences. Pour sa compagne, pour toutes les femmes victimes de violence, son comportement a été inacceptable. Mais quelle cause cela servirait-il de le stigmatiser à vie? La vengeance? Ce n'est pas le plus glorieux des sentiments humains. Il est, a toujours été, générateur de barbarie. Le pardon, si difficile soit-il, si controversé, est la seule alternative possible. Par lui, on renonce aux bas instincts et à la forme insidieuse de violence  que constitue la rancune. La violence, sous quelque forme que ce soit, n'a jamais été une solution. Il faut également faire une distinction entre pardonner et oublier. Le pardon permet précisément de ne pas oublier, car c'est un sentiment qu'il faut gagner de haute lutte. Aussi, lorsqu'on offre à Cantat la possibilité de tourner la lourde page de sa condamnation, il faut voir là, je crois, les premiers témoignages d'une humanité qu'il devient de plus en plus difficile, dans un monde qui s'ensauvage, d'honorer. Voilà.

Francine Laplante

Femme d'affaires et présidente de la fondation des Gouverneurs de L'Espoir 



UN TUEUR TOUTE SA VIE



Il a purgé sa peine! Il a payé sa dette à la société! Maintenant il faut le laisser vivre et s'exprimer. Non, mais êtes-vous vraiment sérieux? Comment peut-on considérer, ne serait-ce qu'un instant, que ce tueur vienne nous livrer ses talents théâtraux? Il a été reconnu coupable, donc il a tué, on ne parle pas ici d'un vol au dépanneur, d'une transaction de drogue. NON. Nous parlons du meurtre de sa conjointe et M. Cantat est et restera toute sa vie « un tueur ». C'est malheureux comme destin, mais il doit assumer ses gestes et ses actes. Il a le droit de vivre certes, mais pas de s'afficher librement, aux yeux de tous, comme si de rien n'était. Nous déployons une panoplie d'efforts pour transmettre le message que la violence conjugale est inacceptable, et ce, sous toutes ses formes, et maintenant, on nous demande de venir applaudir haut et fort un tueur repenti? Désolée, c'est vraiment trop demander!

Guy Ferland

Enseignant de philosophie au collège Lionel-Groulx de Sainte-Thérèse



CONDAMNÉS AU PARDON 



Si Bertrand Cantat avait tué ma fille en la battant à mort, je ne lui pardonnerais pas. Irais-je jusqu'à commettre des gestes irréparables de vengeance ou serais-je capable de miséricorde? Je ne le sais pas. Les sentiments jouent un grand rôle dans des drames aussi violents. Une chose est sûre, je n'irais pas l'applaudir où que ce soit. S'il avait trompé ma fille qui ne s'en remettait pas, je lui en voudrais aussi. Je le traiterais de salaud, parce qu'il m'a heurté personnellement par ses gestes. « OEil pour oeil, dent pour dent », nous dicte la loi de la jungle. Cependant, dans une société de droits comme la nôtre, la justice commande de croire à la réhabilitation de l'être humain qui ne se définit pas uniquement par un geste aussi insensé que celui commis par Bertrand Cantat à l'endroit de Marie Trintignant. On est condamnés au pardon si on veut que l'humanité transcende les gestes injustifiables des êtres humains. J'ai applaudi Incendies qui traitait du même dilemme moral. Par cohérence, je devrais réagir de la même manière maintenant que la réalité rejoint la fiction. À tout péché miséricorde?

Caroline Moreno

Écrivain



PAS UN VOL À L'ÉTALAGE!

Cet homme n'a pas tué une mais deux femmes, la mère de ses enfants s'étant, à la suite des événements, enlevé la vie. Notre société a le pardon facile. Un assassinat n'est pas un vol à l'étalage. Marie Trintignant est notre soeur, notre voisine, notre amie, notre fille. Ne l'oublions pas.

Gaétan Frigon

Président exécutif de Publipage Inc et ancien président-directeur général de la Société des alcools du Québec et de Loto-Québec



N'ALLEZ PAS LE VOIR, C'EST TOUT



Je suis toujours mal à l'aise de répondre à des questions qui ont l'émotivité comme fondement. C'est le cas de ceux qui ont tué quelqu'un alors qu'ils étaient en état d'ébriété. Et c'est évidemment le cas lorsqu'il s'agit de violence conjugale comme dans le cas de Marie Trintignant. Il n'y a tout simplement pas de réponse magique. Certains diront que, si justice a été rendue, la personne qui a commis le crime devrait pouvoir reprendre sa vie normalement. D'autres diront que la justice rendue ne devrait d'aucune façon permettre à celui qui a commis le crime de reprendre sa vie comme si rien ne s'était passé. Cette façon de voir les choses s'applique évidemment à Bertrand Cantat. Il a purgé la peine imposée par la justice. Doit-il alors se cacher le restant de ses jours ou peut-il refaire sa vie? La réponse finalement est simple : n'allez pas le voir au TNM si vous êtes de ceux qui jugent qu'il a tort de revenir sur scène. Si personne ne va le voir, il sera puni au centuple.

Gaétan Frigon

Mathieu Bock-Côté

Chargé de cours en sociologie à l'UQAM



ARTISTE ET SALAUD



On peut être un parfait salaud et un artiste génial. Louis-Ferdinand Céline en a fait la preuve. De grands philosophes, comme Martin Heidegger ou Jean-Paul Sartre, ont aussi soutenu des régimes politiques odieux. L'homme est une sale bête, quelquefois lumineuse, d'autres fois odieuse, souvent médiocre. Bertrand Cantat est un grand artiste. Un salaud. Il faut ajouter: un meurtrier. S'il a payé sa dette légale en purgeant une peine de prison (trop courte), il ne payera jamais sa dette morale à la victime et sa famille. Le public est en droit de ne pas vouloir fréquenter un tel personnage, non plus que de le voir sur scène. Inversement, le TNM était en droit d'inviter Cantat à se joindre à lui. Il faut ici comme ailleurs se garder des réflexes de lynchage, de censure. Était-ce pour autant un choix avisé? N'était-ce pas plutôt une provocation un peu stupide? Il n'y a pas de réponse facile. Ce n'est pas en se traitant mutuellement de «réactionnaire» ou «d'hypocrite-pardonnant-le-pire-à-un-criminel-parce-qu'il-est-un-artiste-de-gauche» qu'on tranchera. Mon avis? Sans jouer au justicier, et sans passion, je dirais: le TNM aurait pu se garder une petite gêne.

Mathieu Bock-Côté