Un médecin est-il généralement en mesure de poser de bons diagnostics lors d'une simple consultation au téléphone? Devrait-on encourager cette pratique, compte tenu de la difficulté qu'éprouvent beaucoup de Québécois à se trouver un médecin de famille?

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Denis Soulières

Hémato-oncologue

UNE INFO-SANTÉ MÉDICALE

Le Québec a investi dans la mise en place d'Info-Santé. Cette activité, bien qu'imparfaite, se veut une première ligne de service. Info-Santé fonctionne par téléphone selon des protocoles établis et est géré par du personnel infirmier principalement. Il y a donc preuve que la consultation téléphonique est reconnue par le système de santé québécois et par la population québécoise. La consultation médicale au téléphone dont il est nouvellement question a certainement le même niveau d'imperfection qu'Info-Santé. Qui plus est, la consultation médicale téléphonique est déjà pratiquée par les médecins entre eux ou avec des patients en suivi. Cependant, pratiquée isolément, cette pratique n'a pas de valeur ajoutée. Spécifiquement dans le cas exposé dernièrement, elle ne permet pas d'enregistrer des données qui suivent le patient ou qui assurent un suivi médical approprié. Le Québec s'est doté d'un réseau de la santé, et il faudrait bien se souvenir du fait que la valeur d'un réseau est d'assurer l'accès à l'information générée ailleurs. Un système de consultation médicale privé, hors du réseau, aide peut-être ponctuellement certains patients, mais n'ajoute pas à la valeur du système de santé. Il vaudrait beaucoup mieux avoir une composante médicale à Info-Santé en complément du service actuel pour permettre de faire naviguer information et patients plus adéquatement dans le réseau de la santé.

Charles Dussault

Président de la Fédération des médecins résidents du Québec

CE N'EST PAS DE LA BONNE MÉDECINE

Qu'un patient ait recours à une consultation téléphonique pour régler son problème quand il ne peut trouver de médecin est compréhensible. Mais offrir une consultation téléphonique à un patient qu'on ne connaît pas va à l'encontre des règles de l'art en médecine. Une telle façon de pratiquer la médecine, sous prétexte de dépanner et sous le couvert de l'efficacité, est contraire à mon avis à notre code de déontologie. Mais, au-delà des considérations légales et déontologiques, il reste que rien ne peut remplacer la relation médecin-patient. Le médecin a le devoir de s'assurer de la nature et de l'ampleur des symptômes et, pour ce faire, d'évaluer le patient en personne, pour convenir d'examens additionnels et du traitement, le cas échéant. Même si le médecin est compétent, et même s'il avait accès au dossier informatisé du patient, il serait hasardeux, s'il ne connaît pas le patient de même renouveler une prescription. La médecine n'est pas une science exacte. L'examen physique et l'écoute du médecin permettent de déceler les subtilités qui ne peuvent être obtenues par téléphone. Par ailleurs, l'émergence d'un tel service remet en lumière la pénurie de médecins au Québec. Mais la solution ne réside certainement pas dans des consultations téléphoniques payantes. Ce n'est pas de la bonne médecine.

Alain Vadeboncoeur

Urgentologue

POUR LE SUIVI DU DIAGNOSTIC

Le coeur de la médecine est le diagnostic, puis le choix d'un traitement approprié, le cas échéant. Je connais fort peu de conditions médicales où un simple contact téléphonique permet vraiment de poser un bon diagnostic, sans l'avoir en face de soi. Peut-être pour des conditions mineures, sans plus, pour lesquelles il existe déjà des services comme Info-Santé et qui bien souvent ne requièrent pas l'opinion d'un médecin, mais bien celle d'un autre professionnel. Par contre, pour le suivi des patients déjà connu ou des conditions déjà diagnostiquées, le téléphone est un outil intéressant, que j'utilise par exemple dans les jours qui suivent la visite à l'urgence; j'imagine que bien d'autres médecins font de même. La vraie question n'est donc pas de favoriser l'utilisation du téléphone pour le diagnostic, mais bien de mieux s'organiser pour que des personnes puissent avoir accès à des professionnels pouvant leur fournir des conseils appropriés, effectuer certains tests de base et les orienter adéquatement. Par exemple, des infirmières praticiennes, des pharmaciens, d'autres professionnels, oeuvrant généralement en équipe multidisciplinaire où le médecin joue un rôle essentiel, mais n'est pas responsable de l'ensemble de la prestation des soins. Or, au Québec, bien que des projets intéressants voient le jour ici et là et que nous ayons de plus en plus de Groupes de médecine de famille, nous sommes encore bien loin de ce qui ailleurs, au Canada ou dans le monde, permet de favoriser l'accès aux soins sans nécessairement monopoliser les médecins: c'est ce qu'on appelle la hiérarchisation des soins, une question à laquelle nous réfléchissons fort peu, mais qui pourrait permettre aux médecins de se concentrer sur des tâches plus pertinentes que le suivi des enfants en bonne santé, les dépistages courants, les visites de routine ou la vaccination. Une aberration dans un contexte de difficulté d'accès que nous connaissons.

Jana Havrankova

Endocrinologue

DANGEREUX POUR LE PATIENT ET LE MÉDECIN

Les problèmes associés aux consultations téléphoniques par un médecin qui ne connaît pas le patient dépassent largement les bénéfices escomptés. Bien entendu, si la patiente en est à sa énième infection urinaire, connaît le médicament qui fonctionne, le médecin au téléphone ne fait que contresigner la prescription que la patiente s'est faite elle-même. Toutefois, rapidement, le médecin aura besoin de pratiquer un examen physique, même sommaire. Un mal de gorge: s'agit-il d'une infection virale, qui passera toute seule, ou s'agit-il d'une amygdalite bactérienne, nécessitant des antibiotiques? Avant de prescrire des décongestionnants, il serait opportun de prendre la tension artérielle. Comment procède-t-on par téléphone? Par ailleurs, qu'en est-il de la responsabilité du médecin? Quand tout va bien, aucun problème. Si le patient présente un effet secondaire grave, comment le médecin prouvera-t-il qu'il a utilisé tous les moyens pour arriver à un bon diagnostic et pour prescrire le traitement approprié? Je doute que les assureurs veuillent couvrir une pratique médicale par téléphone. Souhaitons que le gouvernement et les fédérations des médecins trouvent des solutions pour pallier la pénurie des médecins et éviter ainsi la prolifération d'expédients dangereux.

Agnès Maltais

Députée péquiste de Taschereau et porte-parole de l'opposition officielle en santé

PAS UNE BONNE AVENUE

Il est très difficile d'être en mesure de poser de bons diagnostics lors d'une simple consultation au téléphone. Cela soulève deux problèmes importants. Premièrement, le fait qu'il est fort possible que le médecin ne connaisse pas le patient qui est au bout du fil et qu'il n'ait donc jamais pris connaissance de son dossier médical. Cet élément est fondamental. D'autre part, il peut être hasardeux de poser un diagnostic au téléphone sans avoir vu et ausculté un patient qui est inconnu du médecin. Une douleur peut rapidement dégénérer si un mauvais diagnostic est posé. En conséquence, on ne devrait pas encourager cette pratique. Au Parti québécois, la voie privilégiée est celle de permettre aux pharmaciens, à l'intérieur d'un cadre bien balisé, de prescrire, de prolonger et de renouveler les prescriptions de médicaments pour certaines infections bénignes, ainsi que pour certaines maladies chroniques stables. De plus, il faut mieux soutenir les médecins de famille, notamment en facilitant l'accès à d'autres professionnels de la santé, tels que des psychologues, nutritionnistes, inhalothérapeutes et infirmières dans les Groupes de médecine de famille. Avec l'aide de ces professionnels de la santé, le médecin pourra voir davantage de patients et ainsi favoriser l'accès à des soins de qualité en première ligne.

Francine Laplante

Femme d'affaires et présidente de la fondation des Gouverneurs de L'Espoir

UN PROJET RIDICULE

Ouf! Le seul fait d'avoir pensé implanter un tel système nous prouve formellement à quel point notre système de santé est lui-même très malade. Il est purement utopique d'oser même croire qu'une telle pratique puisse remplacer la visite chez le médecin. Tant qu'à y être, à quand la visite au guichet automatique pour obtenir l'avis d'un médecin de façon virtuelle?! Implanter ce système vient ridiculiser la réputation des médecins et le sérieux de leur profession. Il est temps de rétablir clairement les limites que nous ne pouvons pas franchir. Le Collège des médecins doit sortir les boucliers et s'opposer. Le ministre Yves Bolduc a pour sa part le devoir de mettre fin immédiatement à ce projet aussi ridicule que dangereux.

Mélanie Dugré

Avocate

DÉNATURER LA PROFESSION

Je condamne sans hésitation une telle pratique. Le problème du manque de médecins est une chose, mais dénaturer la pratique de la médecine en la commercialisant de cette façon est inacceptable. La médecine est une science qui, loin d'être exacte, se nourrit de la relation thérapeutique qu'entretiennent le médecin et son patient. Au coeur de ce lien professionnel, il existe une certaine proximité, tant au niveau du questionnaire médical que de l'examen physique, proximité qui permet au médecin d'évaluer, d'examiner, de diagnostiquer et éventuellement de soigner. Permettre que des actes médicaux soient posés via un entretien téléphonique est une insulte pour tous les professionnels de la santé qui, chaque jour, consacrent temps et énergie à leurs patients sans penser au montant que leur rapporteront leurs consultations en vertu du tarif de la Régie de l'assurance maladie du Québec. Une telle pratique est dangereuse au plan médical et éthique, et soulève de sérieuses questions d'imputabilité. Il existe certainement d'autres solutions au problème actuel sans qu'il soit nécessaire de mettre en péril la santé des gens et l'intégrité professionnelle des médecins.