Des lecteurs nous racontent comment la pire attaque terroriste de l’histoire a touché leur vie.

Des répercussions immédiates

Quand la première tour a été frappée, j’en étais à ma première matinée d’enseignement dans une école de Gatineau. Les conséquences à l’école, fréquentée par une clientèle multiethnique, ont été immédiates. Dès l’heure du dîner, les enfants d’origine arabe étaient la cible de commentaires désobligeants de la part des autres enfants qui revenaient de dîner à la maison, et qui avaient de toute évidence entendu des commentaires d’adultes… Nous avons même dû intervenir pour arrêter des agressions physiques.

Christian Dufresne, Boisbriand

Un rituel

Nous habitons à 700 m de la frontière canado-américaine. Le jour du 11 septembre 2001, je suis allée porter une couronne de fleurs que j’ai accrochée sur un passage d’entrée aux douanes américaines avec un drapeau américain et un drapeau canadien. Depuis, tous les 11 septembre, je vais aux douanes américaines, sur le parterre gazonné, avec les drapeaux en berne et je porte un bouquet. À 9 h 03, la sirène des douanes retentit et nous observons une minute de silence.

Marie-Hélène Guillemin Batchelor

Bouc émissaire

Je travaillais à Transports Canada à Dorval. Ce matin-là, ma boss m’a convoqué dans son bureau fermé pour me lancer en pleine figure : « Pourquoi vous autres, Arabes, avez fait ça ? » J’étais éberlué et choqué qu’elle me pose cette question. Les jours suivants, j’ai subi les blagues déplacées, on me traitait de terroriste. On m’a fait sentir que je devais subir l’opprobre simplement à cause de mes origines ! J’ai vécu une double peine : celle de voir des milliers d’innocents assassinés dans un attentat abject, mais aussi celle de subir les moqueries et les accusations de collègues. Peu de temps après, on m’a annoncé ne pas renouveler mon contrat alors que j’étais classé premier candidat dans un concours. J’en ai pleuré devant le conseiller du programme d’aide aux employés et j’en ai longtemps souffert.

Fethi Boutaleb

Changement de carrière forcé

À l’époque, je terminais ma dernière session au cégep pour devenir mécanicien d’avion, dans une période où cette industrie était en plein essor et souffrait d’une pénurie de main-d’œuvre. J’ai étudié pendant trois ans avec la certitude que mon chemin était déjà tracé. L’effondrement brutal de l’industrie aéronautique qui a suivi a tout chamboulé. Vingt ans plus tard, je suis professeur de français, une matière dans laquelle j’éprouvais à l’époque plusieurs difficultés.

Stephen Coderre, Montréal

La naissance d’une vocation

Le 11 septembre 2001, j’avais 22 ans et mon ambition était de travailler dans l’industrie de la musique. Soudainement, la musique n’avait plus de sens. Quelque part dans le monde, des gens s’entretuaient au nom d’une religion. Je ne voulais plus entendre parler des conflits à travers un poste de radio, je voulais y être. J’ai postulé pour le service extérieur canadien : être diplomate me semblait un moyen confortable de découvrir le monde. Et j’ai été recrutée par le ministère de l’Immigration, moi qui suis fille d’immigré. J’ai été en poste au Kirghizistan, en Chine, à Paris, en Tunisie et au Sénégal. Depuis 2018, je suis de retour au Québec et j’étudie en travail social. Dans ma tête, j’ai à nouveau 22 ans et je me demande parfois ce qui s’est produit au cours de ces 20 dernières années. Je cherche à nouveau. Parfois, je pense reprendre la musique, mais à quoi bon. Ce sera peut-être au tour de mes enfants de connaître ce plaisir insouciant. Dans mon parcours de jeune adulte, il y a eu le 11-Septembre, puis une tangente.

Emmanuelle Gentile

Du tourisme aux Forces armées

J’étudiais en tourisme. Les télévisions de la salle commune passaient en boucle les images des avions percutant les tours. J’ai fait une courte carrière dans le domaine, puis j’ai rejoint les Forces armées. J’ai passé au total 14 mois en Afghanistan. Cet évènement a forgé le sens de ma vie. Sans le 11-Septembre, je serais sûrement aujourd’hui un micro à la main dans un autocar bondé de touristes.

Étienne Leprohon

Ma fille ouverte sur le monde

Le matin de l’attentat, j’allaitais tendrement ma fille de 2 mois, Juliette. Les yeux rivés sur le téléviseur, mon bébé lové dans mes bras, j’ai tout à coup senti une onde d’anxiété me traverser le corps. Peu à peu, j’ai aussi senti la culpabilité m’envahir ; je venais de donner naissance à un petit être auquel je devrais apprendre que la vie peut être cruelle. Cette tragédie m’a plongée dans une période de questionnement profonde. Si vous saviez combien de kilomètres j’ai marché en longeant la piste cyclable de LaSalle, la petite dans la poussette, le regard sur l’horizon en me demandant quel serait son destin. Elle a maintenant 20 ans. Elle fera son entrée à l’université. Elle a une ouverture sur le monde, les individus de toutes origines, elle est l’avenir !

Josée-Anne Mallette

La promesse de mon frère

Le 11 septembre 2001, mon frère Charles était au début de sa carrière militaire, ayant rejoint le 2bataillon du Royal 22Régiment l’année précédente. Passant rapidement au rang de caporal, et peu après au rang de caporal-chef, Charles aimait son travail de soldat. Ses commandants ont noté qu’il était un coéquipier hors du commun et qu’il montrait un énorme potentiel de leadership dans les Forces armées. En avril 2009, Charles est parti pour l’Afghanistan avec ses frères d’armes de la section 3 du 2bataillon. Sachant que la mission serait dangereuse, il a fait la promesse de revenir vivant. Le 23 juin 2009, lors d’une patrouille dans le district de Panjwai, près de Kandahar, Charles a été grièvement blessé. Cinq jours plus tard, il a tenu promesse. Par avion militaire, il a été transporté, dans un coma, jusqu’à l’hôpital de l’Enfant-Jésus à Québec. Charles est décédé le 4 juillet 2009 à l’âge de 28 ans. Il avait promis de revenir. Il a tenu promesse. Il est parti entouré de ses parents et de son frère.

Denis Michaud, frère du caporal-chef Charles-Philippe Michaud (1981-2009)

La fin de l’enfance

Le 11 septembre 2001, j’étais en 6e année du primaire. Sans pouvoir dire que je suis devenue une adulte ce jour-là, j’ai senti que je n’étais plus une enfant.

Noémie Ouellette