À la suite de notre invitation de jeudi dernier à se prononcer sur la liberté universitaire, quelques étudiants, moins d’une vingtaine, ont tenu à exprimer leur point de vue. Voici un aperçu des courriels reçus.

Perspectives de toutes les époques

Le débat sur la présence de certains mots dans des ouvrages à l’étude (ou encore sur l’enseignement théorique autour des mêmes termes) me paraît plutôt absurde. Je pense que le phénomène est encore marginal au Québec, mais c’est peut-être parce que j’étudie dans un domaine – l’histoire – où il est fréquent de discuter d’idées ou de pratiques qui peuvent choquer. De plus, l’usage de termes vieillis est assez commun et les occulter peut parfois friser l’anachronisme. Doit-on se priver de lire les relations des Jésuites au Canada parce le mot « sauvage » y abonde ? Par le fait même, on occulterait des textes qui nous en apprennent, plus que tout autres, sur les Autochtones qui vivaient ici au XVIIe siècle et sur le point de vue des missionnaires à leur égard. Il m’apparaît clair qu’un professeur doit avoir la liberté de choisir les sujets abordés et les textes à l’étude. S’il doit y avoir débat là-dessus, ça doit être sur la pertinence des textes par rapport au sujet du cours (je comprendrais un étudiant de questionner l’intérêt de lire Plutarque dans un cours sur l’Angleterre du XIVe siècle) et non pas sur le caractère potentiellement offensant de l’œuvre. Les études universitaires sont confrontantes. On y rencontre des idées nouvelles, des points de vue étrangers au nôtre. Certains de ces points de vue peuvent être détestables. Refuser de s’y confronter, c’est se fermer au savoir et refuser une mise en perspective du point de vue humain de toutes les époques. Refuser de lire un livre parce que cela heurte nos sensibilités, cela va à l’encontre de la démarche universitaire elle-même.

— Marc-Antoine Labonté, étudiant à la maîtrise en histoire, Université de Montréal

La considération, pas l’intimidation

J’aimerais commencer par dire que je ne suis pas d’accord avec la culture du bannissement. S’il y a bien quelque chose qui doit être banni dans tout ce que j’ai lu dans vos articles sur la liberté universitaire, c’est l’intimidation que la professeure a vécue dans sa classe. Ce n’est pas avec ce genre de violence qu’on fait avancer une cause. Ces agissements servent plutôt à la stigmatisation du mouvement et des gens qui l’habitent. Par contre, il est vrai que le corps professoral des institutions scolaires se doit d’être conscient de la portée de ce qu’il dit. Dans une société comme la nôtre, nous avons la chance d’avoir une diversité en éclosion qui détruit le moule emprisonnant des construits sociaux pour laisser à toute personne la liberté d’être qui iels souhaitent vraiment devenir. Il est donc primordial de s’imprégner d’un vocabulaire qui reflète et soutient les réalités actuelles. L’important ce n’est pas d’avoir les mots parfaits, mais plutôt de parler de façon conscientisée. Qu’on le veuille ou non, les mots ont leur histoire et sont remplis de sens, c’est pourquoi on doit les choisir en connaissance de cause. On ne peut plus continuer de vivre dans l’ignorance de ce qui peut blesser. Les mots submergent notre quotidien. Choisissons-les avec délicatesse et considération ! C’est un beau défi que de vouloir améliorer notre vocabulaire en ce sens, mais n’est-ce pas un objectif noble ?

— Rosalie (elle) Lacasse, finissante en psychologie, Université de Montréal

Condamnation improvisée

Je suis un étudiant à l’Université McGill. Personnellement, je pense que le débat entourant la liberté académique ces jours-ci est en majeure partie dû à la nature trop sensible des nouvelles générations. Avec la lourde médiatisation d’actes d’injustice partout dans le monde et l’extraordinaire puissance des médias sociaux, beaucoup de jeunes s’élancent dans des croisades visant le changement et la justice sociale. Le problème est que ces jeunes voient le mal partout. Que ce soit le cas de Mme Lieutenant-Duval à l’Université d’Ottawa en 2020 ou cette professeure à l’UQAM qui a été intimidée par ses élèves pour avoir utilisé les termes « homme » et « femme » en 2018, on ne peut pas se permettre de réécrire l’histoire pour réconforter une poignée d’individus qui ont l’estomac sensible. Bien sûr que certains termes ramènent des souvenirs douloureux de notre passé ou nous rappellent l’injustice que plusieurs vivent aujourd’hui, mais c’est bien en prenant conscience de leur signification que l’on peut espérer aboutir à un meilleur monde, et non simplement en niant leur existence ou en les remplaçant par un ton neutre. Les cas récents ne démontrent aucune intention haineuse de la part des professeurs visés par cette « justice improvisée », mais pendant que ces jeunes révolutionnaires s’entêtent à refuser ce qu’ils ont décidé d’étudier, nos profs hésitent à déterminer quel savoir ils peuvent ou ne peuvent pas transmettre à leurs étudiants sous peur d’être condamnés pour avoir fait leur boulot. C’est inacceptable.

— Alexandre Poirier, Université McGill

Comment évoluer dans la contrainte ?

Oui, je suis préoccupé par l’état de la liberté universitaire. Elle me semble à la dérive et ce n’est pas ce que je veux pour moi, pour ma société. Comme étudiant des cycles supérieurs, il m’apparaît essentiel que tous les professeurs et tous les étudiants puissent s’exprimer librement avec les mots qu’ils souhaitent. La culture du bannissement et des mots « sensibles » soulèvent l’ire d’étudiants, de professeurs et des directions. Mais ce débat m’amène à me poser les questions suivantes : comment faire évoluer le savoir si nous sommes contraints dans cette liberté ? Comment débattre dans un séminaire de deuxième cycle (comme je le vivais avant la pandémie) si on craint des représailles, voire des sanctions pour les mots qu’on emploie ? Comment faire la promotion des études supérieures si les étudiants se sentent prisonniers d’un mode de pensée uniforme ? Pourquoi faire attention aux mots que l’on utilise dans un contexte académique dans une société aussi démocratique que le Québec et le Canada ? Je crois sincèrement que les universités sont des lieux où la culture du bannissement ne doit pas exister. Pour le bien-être de la vocation de nos universités, soyons libres, ouverts et tolérants.

— Félix Bhérer-Magnan, étudiant à la maîtrise en affaires publiques, Université Laval

Le devoir d’apprendre, le pouvoir de comprendre

Je suis étudiante à l’Université Laurentienne, à Sudbury, Ontario. Je trouve vraiment dommage que certains étudiants radicaux démontrent une fermeture d’esprit et veulent faire taire les professeurs concernant le contenu de cours pouvant être offensant pour eux. Que le sujet soit sur la couleur de la peau ou l’orientation sexuelle, je considère que notre travail, en tant qu’étudiant, est justement de s’ouvrir l’esprit et de pouvoir comprendre l’évolution des mentalités au fil des époques. Ce n’est pas en ayant une position fermée et agressive que les choses peuvent changer dans le passé. Justement, hier est passé et demain commence aujourd’hui. Ce que j’aime de l’université, c’est la possibilité de partager mes idées avec les autres et non pas de vouloir imposer les miennes à tout prix. C’est ça le respect ! Et c’est ça, le pouvoir de l’argumentation ! Je comprends que certains étudiants ont subi de la violence, un traumatisme et de la discrimination, j’ai de l’empathie à leur égard, car ce qu’ils vivent n’est pas facile. Mais cela ne leur donne pas le droit de harceler le corps professoral et de propager, à leur tour, la haine et la violence. Des fois, avant d’exploser face à un sujet, il vaut mieux prendre un peu de recul afin de changer notre regard. Et cela, en ayant une vue d’ensemble du sujet selon un angle différent. C’est ça, le moteur de la réflexion !

— Sandy Pratte, Université Laurentienne, Sudbury

L’exception ne fait pas la règle

À lire certains chroniqueurs, on croirait que nous sommes victimes d’un dogme quasi séculaire dans nos universités. Elles seraient remplies de professeurs qui partagent des opinions discriminatoires et d’étudiants « woke » militants. Un climat généralisé de peur mutuelle serait le pain quotidien. C’est un sophisme de généralisation hâtive. On prend quelques évènements choquants et on exagère l’ampleur du phénomène à l’institution entière.

Or, après six années universitaires, ce n’est pas ce que j’ai pu constater. Au contraire, les échanges au sein des classes étaient encouragés et respectueux. Je n’ai aucune expérience semblable à ce qu’on voit dans les médias. Pourtant, on discutait dans mes cours de sujets sensibles qui se prêtent bien aux débats houleux comme la morale, la condition féminine ou encore le racisme systémique. Prenons collectivement un pas de recul sur la portée réelle du phénomène.

Ceci dit, l’argumentaire de certains étudiants qui voudraient voir disparaître l’utilisation de mots offensants sans considération pour leur contexte apparaît comme un faux débat. Qui songe sérieusement à bannir des œuvres classiques ou certains mots pour accommoder les sensibilités de quelques individus ? Si certains sont trop sensibles pour confronter leurs idées, l’université n’est peut-être pas pour eux. C’est la même chose pour les défenseurs invétérés de la liberté d’expression. Donner raison à ces opinions minoritaires extrêmement polarisées serait un accommodement déraisonnable et sans fin. Simplifier à outrance n’est pas la solution, il faut regarder les nuances. Les mots ne sont pas intrinsèquement discriminatoires, c’est le contexte et l’intention derrière leur utilisation qui peut l’être.

— Alexis Robert-Lacroix, étudiant universitaire