Le texte de Pierre Desjardins publié le 29 octobre sur le meurtre de l’enseignant français Samuel Paty, « Quand la liberté de penser devient un vaste foutoir… », a suscité de nombreuses réactions, une majorité des lecteurs ne partageant pas le point de vue de l’auteur. Voici un aperçu des courriels reçus.

Dérives extrémistes

Il ne s’agit pas ici de brimer la liberté de religion, mais de refuser les dérives extrémistes d’une religion qui ne tolère aucune critique.

Pierre Hétu, Joliette

Curieuse défense de l’islamisme radical

Curieuse, cette défense de l’islamisme radical ! Une nouvelle théorie est née dans la bouche d’un philosophe inconnu : ce serait la France qui serait coupable, le déclencheur de la fureur de ces fous d’Allah ! Et montrer les caricatures de Mahomet serait une invective ? Ce philosophe est gonflé ! C’est sans doute parce que la France se veut laïque que des villages français sont contrôlés par des islamistes radicaux, comme à Birmingham en Angleterre. Oui, monsieur, la religion est permise en France ; toutefois, ce ne sont pas les musulmans ordinaires qui font sauter des bombes ou qui égorgent des gens. Non, monsieur, ce sont des fanatiques religieux d’un islamisme radical contrôlé et encouragé de l’extérieur. Votre papier brille par son absence de connaissance du mouvement salafiste et autres branches du radicalisme islamiste.

Réjean Guay

Mêler ce qu’il y a de plus simple

Le vaste foutoir est dans ce texte qui mêle tout ce qu’il y a de plus simple. La France ne met pas d’obstacles aux musulmans ni à leur religion ; elle prend les moyens d’empêcher la montée insensée des intégristes qui veulent s’imposer par des tueries d’innocents, par le bâillonnement, par la menace et la violence.

Linda Daoust

Placer son dieu au-dessus de l’État

Il y a ici un point de vue qui mérite d’être souligné. Tout ce que vous dites est bien, sauf quand une religion place son dieu au-dessus de l’État. Se prendre pour l’interprète de Dieu est bien assez offensant comme ça ! Et faire passer son dieu avant les lois d’un pays qui nous accueille peut poser des problèmes. C’est justement là que le bât blesse.

Francine Desrochers, Montréal

Mauvaise foi

Vous faites preuve de mauvaise foi en choisissant de confondre musulman et islamisme radical, erreur que le président Macron n’a pas commise. Votre a priori a eu préséance sur votre jugement rationnel. Dommage !

Danielle Bergeron

Critique fielleuse

Il est étonnant que la décapitation de l’enseignant Samuel Paty ne vous inspire que cette critique fielleuse de la société française. Un peu de pudeur, peut-être ?

Guy Bouchard, Alma

Obscurantisme moyenâgeux

L’obscurantisme moyenâgeux est en train de faire craquer l’armure de la libre-expression. Des caricatures du pape, de Bouddha ou d’autres symboles religieux ne provoquent pas de telles tueries. Ce philosophe adhère tout simplement à la « doctrine Trudeau », qui n’a jamais prononcé les deux mots : terrorisme islamique.

Pierre Forest

Respecter les valeurs des musulmans

Bien d’accord, M. Desjardins. Je pense que ces caricatures ont déjà fait beaucoup de victimes. Les musulmans ont droit au respect de leurs valeurs.

Françoise Martin Lebrun

La philosophie dans le foutoir

La liberté de pensée « devient un vaste foutoir », s’alarmait récemment dans ces écrans un philosophe indépendant avant d’y contribuer lui-même avec vigueur.

Je ne discuterai pas des convictions généreuses qui guident – ou canalisent – sa pensée. J’en partage certaines… dans une certaine mesure, mais les convictions, comme les goûts et les couleurs, se soustraient par nature au débat. Et souvent à la pensée elle-même, comme on a pu le voir ces derniers temps dans les réseaux sociaux.

En revanche, puisque c’est de la liberté de pensée qu’il s’agit, on ne peut sans étonnement la voir ravaler au rang de « privilège », mais aussi d’« enfant de notre insatiable curiosité ». Ne se justifierait-elle donc que comme une sorte de distraction au même titre que d’autres « enfants de notre curiosité » tels que le tourisme de masse et les potins sur les célébrités ? Ou n’est-elle pas plutôt cette condition de l’émancipation des peuples et des individus que les Lumières, après d’autres, brandissaient contre la tutelle des dogmes politiques… et religieux ?

Cette liberté-là, cependant, reste dérisoire si elle ne s’exerce pas d’abord contre elle-même : trop intime pour être sérieusement contrôlable par un quelconque pouvoir institué, elle est en revanche tragiquement vulnérable aux convictions que l’on croit personnelles. C’est pourquoi le doute autoréflexif est seul garant d’une liberté de penser digne de ce nom ; sans lui, un critère aussi capital que le « respect élémentaire de l’autre » ne serait guère plus qu’un autre dogme prêt à l’assujettir.

Puisque le texte dénonçait à très juste titre le « vaste foutoir » qui entoure ces questions, peut-être aurait-il été bon de commencer par ranger un peu les poupées russes que sont la liberté de penser, la liberté d’expression et les libertés de la presse et de l’enseignement, pour ne citer qu’elles. La première ne peut avoir de limites (si ce n’est celle des faits). La seconde ne saurait avoir, à l’échelle collective, que celles que lui impose le législateur avec un discernement dangereusement variable dans le temps et d’un pays à l’autre. Les suivantes y ajoutent les modulations que ceux qui les exercent peuvent leur apporter au terme de la réflexion qui s’impose en pareille matière.

Si les principes sont intangibles, on sait en effet à quel point leur mise en pratique est délicate. Confrontés à des apories éthiques, les étudiants en journalisme voient généralement leurs convictions spontanées s’émietter en doutes et en nuances (les autres se sont trompés de métier). Nul, s’il n’est le pantin de ses opinions, n’est à l’abri de tels flottements : la polémique de ces dernières semaines m’a par exemple porté comme beaucoup – et pourtant pas assez – à empoigner l’étendard de la liberté académique. Il n’y avait pas matière à hésitation en l’espèce, mais une petite voix intérieure me rappelait tout de même, juste pour mémoire, que ce principe crucial ne m’avait pas semblé si absolu lorsque des enseignants avaient été sanctionnés pour avoir excrété des affabulations complotistes ou négationnistes. Pas de quoi m’ébranler cette fois-ci, tant ces cas étaient différents, mais assez pour me perturber un peu.

La nuance, la défiance envers ses propres convictions… On n’en décèle pas la moindre trace dans l’assurance avec laquelle Pierre Desjardins aborde une question qui les réclamerait plus que nulle autre. Sans vouloir démêler les amalgames et les raccourcis qu’il accumule avec emphase pour, au bout du compte, appeler à un nouveau resserrement de la liberté d’expression, convenons néanmoins avec lui que la liberté qu’il dénonce est bel est bien « nue ». Nue comme l’est, selon l’allégorie traditionnelle, la vérité sortant du puits.

Bertrand Labasse, professeur à l’Université d’Ottawa

> Lisez le texte de Pierre Desjardins « Quand la liberté de penser devient un vaste foutoir… »