L’éditorial d’Agnès Gruda sur le réseau de la santé publié mercredi, « Dompter le monstre », a suscité des dizaines de réactions. Voici un aperçu des courriels reçus.

La CAQ et l'éducation

Si le gouvernement actuel critique la réforme Barrette, pourquoi avoir fait la même chose avec l’éducation ?

— Denise Melançon

J’ai perdu mes repères

Je suis médecin depuis plus de 40 ans. Je connaissais le système comme le fond de ma poche ; je savais à quelle porte frapper pour résoudre un problème.

Aujourd’hui, j’ai perdu tous mes repères : les décideurs sont loin autant physiquement qu’administrativement, coupés de la réalité du terrain. Les quelques instances consultatives qui existaient ne représentent plus personne. Il s’en suit, en plus des cafouillages administratifs, un désintéressement de la base qui se sent de plus en plus isolée et loin du processus décisionnel, donc démotivée. Et je crois que c’est le pire problème. Le CIUSS, ce n’est personne : comment m’y identifier ?

— Marcel Fortin, médecin

C’est malheureux

Les cadres ont continuellement tenu à bout de bras avec leurs équipes dévouées le réseau de la santé. Nous avons géré la décroissance quasi constante depuis les années 80. Combien de réorganisations et de restructurations successives avons-nous tenté de faire atterrir avec succès, et ce, souvent à notre propre détriment ? C’est tout à fait malheureux qu’aujourd’hui, cette crise que nous vivons collectivement fasse ressortir les conséquences désastreuses de toutes ces mises en garde et ces cris d’alerte que nous avons lancés au long de ces années.

— Michel Legros, professionnel et cadre du réseau de la santé de 1969 à 2008 

La question des syndicats

C’est tellement facile de blâmer M. Barrette et les 21 autres ministres précédents, tous partis politiques confondus, qui se sont fait « péter la gueule » par les grands syndicats et les médias, tentant d’améliorer les choses pour le payeur de taxes. La divine comédie !

Permettez-moi de vous mettre sur une autre piste : 1,2 milliard de dollars d’argent net d’impôts collectés annuellement par les grands syndicats provenant de la formule Rand, soit 1,75 % du salaire des syndiqués. Il y a deux façons d’augmenter ces entrées de fonds dans les coffres des syndicats, exigées par les conseils d’administration : 1- Augmenter le nombre d’employés syndiqués ; 2- Augmenter les salaires de ses employés.

Tous les ministres ont tenté d’améliorer la gestion du personnel, du matériel et des services, tous ont tenté d’augmenter l’efficacité en rendant les travailleurs plus heureux, sans ajout de personnel. Tous ont subi une opposition farouche de ces syndicats, qui perçoivent tout correctif en matière de gestion comme un arrêt de croissance dans leur business ! 

— Lino Bramucci

Centralisation

Le monstre bureaucratique a envahi toutes les sphères de l’appareil gouvernemental : en santé, en éducation, aux urgences, dans les CHSLD, la DPJ, les garderies, etc. La crise actuelle fait ressortir les limites de la centralisation qui nous a tous déresponsabilisés. 

— Yvon Robert

Des changements à apporter

J’ai été gestionnaire dans le réseau de la santé. J’y ai travaillé de 1979 à 2015. J’ai donc vu beaucoup de changements. Certains plus heureux que d’autres. Évidemment, j’ai pris ma retraite juste au moment de la plus récente réforme. Mais je crois que oui, des changements peuvent et doivent être apportés sans tout vouloir changer, sans revenir à ce que c’était. Parce que c’était loin d’être idéal avant.

Avant de faire quoi que ce soit, assurons-nous de quatre choses : toujours définir où est le patient dans ce changement ; la loi du GBS (gros bon sens) ; y aller par étapes, ne pas vouloir tout faire en même temps. Finalement, mettre les bonnes personnes aux bons endroits. Tout ça manque cruellement présentement. Et, évidemment, se donner le temps que ça prendra. Je crois sincèrement que M. Legault veut beaucoup que ça aille mieux. C’est à lui et à ses ministres de donner l’exemple.

— Charles Auger, ex-cadre du CHU de Sherbrooke

Ras-le-bol de l’administration

J’ai quitté le réseau de la santé il y a trois ans : un ras-le-bol de l’administration. J’étais coordonnatrice en angio-intervention dans un centre hospitalier de Québec. Je travaillais sur le plancher et je devais me battre tous les jours avec l’administration pour avoir le matériel nécessaire pour les interventions. Il y avait toujours une raison pour refuser l’achat ; tout devait être justifié. Perte de temps, patients qui attendent plus longtemps leur intervention et une guérison, et que de temps perdu à débattre pour avoir ce dont avait besoin ! 

L’administration, oui, mais elle est trop loin des gens qui travaillent auprès des patients. Le comble : je me suis inscrite à « Je contribue » et j’ai eu comme réponse du Ministère que je n’avais pas de connaissances médicales. Quarante ans en milieu hospitalier ! La personne qui m’a répondu était administratrice : elle ne savait pas ce que faisait une technologue en radiologie spécialisée en angio-intervention. Elle était bien assise sur sa chaise. Ils peuvent bien chercher du monde… 

— Lili Lavoie, Québec

Gestion à un niveau humain

Je crois que ce qui fait le plus mal au système, c’est l’abolition des gestionnaires de terrain. Avant, il y avait une infirmière-chef dans chaque département qui pouvait gérer au quotidien, régler rapidement les problèmes et rapporter aux autorités supérieures les problèmes devant être réglés à un autre niveau et assurer un suivi. Ces postes ont été abolis par le Dr Barrette.

Maintenant, nous avons affaire à un gestionnaire de programme qui est responsable de plusieurs unités, et ce, dans plusieurs établissements du CIUSSS, qui doit se promener d’un endroit à l’autre. Aussi bien dire qu’il est inexistant ! Il est temps de ramener la gestion à un niveau humain ! 

— Claude Marcil, Montréal

Et le système d’éducation ?

L’hypercentralisation a eu des effets délétères sur notre système de santé. Le gouvernement caquiste n’est-il pas en train de faire la même chose avec notre système d’éducation en éliminant les commissions scolaires ? Les différents gouvernements n’ont-ils pas coupé au cours des ans les budgets de l’éducation ? N’a-t-on pas des difficultés à recruter du personnel et à le garder à cause des mauvaises conditions de travail ? Quelle tragédie faudra-t-il pour réaliser qu’il faut là aussi des changements en profondeur ? 

— Ginette Morrier

Pas fini de compter les morts

Le Dr Barrette, c’est la pire chose qui soit arrivée au Québec depuis très longtemps. Sous la gouverne de Philippe Couillard, il a engraissé les médecins spécialistes et dépourvu le réseau de la santé des moyens de base pour fonctionner. Bien sûr, les libéraux ont sauvé de l’argent, mais au prix de tous les services de base en santé et en éducation.

Ça prend du culot pour s’en prendre à la ministre responsable des Aînés après avoir été la cause des coupes qui n’ont jamais été réparées ! On doit récolter ce qui a été semé, et c’est de la mauvaise herbe. Au point où on ne sait plus comment réparer le système parce qu’il est trop gros. Ce qui est surprenant et prévisible, c’est que ce ne sera la faute de personne. Les ratés du système, personne n’en prendra vraiment la responsabilité.

La crise était imprévisible et, comme toujours, les plus délaissés sans parole auront été pénalisés sans que personne n’en paie le prix sinon les aînés et les travailleurs de la santé. Et voilà que s’annonce la réouverture des écoles, et ce sont les enseignants qui seront en première ligne après le personnel de la santé. On n’a pas fini de compter les morts…

— Pierre Châtelain

Arrêtez de donner une tribune au Dr Barrette

Tout à fait d’accord que M. Barrette devrait se garder une petite gêne. Il y a beaucoup d’argent qui aurait pu être investi dans les soins au lieu d’enrichir certains déjà nantis. Maintenant, difficile de sortir la politique du personnage même s’il prétend vouloir agir comme vulgarisateur ; on entend ses sous-entendus, qui sont de moins en moins sous-entendus ! J’inviterais aussi vos journalistes à se garder la même petite gêne à l’encenser et à lui donner une belle tribune à heure de grande écoute à la radio. Laissez le bon peuple juger de sa pertinence, SVP !

— Claire Laferrière, Montréal

Repenser le réseau

Vous avez bien cerné la problématique du réseau. Je suis un retraité de ce réseau où j’ai travaillé pendant plus de 30 ans. La réforme Barrette est la pire des réformes et la plus dévastatrice. On nous a présenté cette réforme sous l’angle de l’économie et de l’efficacité. J’en doute, et je crois que les grandes universités (ENAP, McGill, HEC et Montréal) devraient faire une étude de cas avec leurs étudiants à la maîtrise sur cette réforme. Ils pourraient vérifier si, oui ou non, il y a eu les économies annoncées et faire l’analyse de la chaîne de commandement qui comporte trop d’ordres hiérarchiques.

Par ailleurs, le pire de la réforme, c’est ce qui se passe dans les CHSLD. J’ai été cadre supérieur à l’Institut universitaire de gériatrie de Montréal, la forteresse qui vient de s’écrouler. Cette institution reconnue pour son excellence est tombée au front, et je suis convaincu que cela aurait été différent si l’Institut avait gardé son autonomie. Nous avons toujours privilégié l’expertise du personnel, la formation continue et la recherche de l’excellence. Les employés avaient une très grande appartenance et une fierté de travailler à l’Institut.

Je vous raconte une petite histoire : l’an passé, j’ai rencontré par hasard une employée de 25 ans de service. Pour souligner ces 25 ans, elle a reçu dans le corridor une lettre de remerciement d’une gestionnaire qu’elle ne connaissait même pas. Ça en dit long sur la situation actuelle…

Je suis d’accord qu’il ne faut pas refaire les structures, mais il faut aplanir les niveaux hiérarchiques, valoriser le travail du personnel et sa formation, et doter les CHSLD de gestionnaires expérimentés sur place et ayant suffisamment d’autonomie pour agir.

— Denis Turgeon

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