La lettre s’adresse à la ministre responsable des Aînés et des Proches aidants, Marguerite Blais

Je sais combien, Madame la Ministre, vous avez à cœur le sort réservé aux aînés en perte d’autonomie et l’impact sur les proches aidants.

Mon expérience d’aidante qui s’échelonne sur maintenant 19 ans m’incite à de sombres pronostics si le passé est garant de l’avenir. Hélas, je ne partage pas votre optimisme.

Je suis entièrement de l’avis que l’idéal, c’est le maintien à domicile le plus longtemps possible. Je l’ai vu, vécu, y ai contribué corps et âme. Mais voilà, quand manquent les ressources voulues en temps opportun, par exemple, la prise en charge en première ligne, le recours en deuxième ligne pour une évaluation plus poussée de troubles comportementaux et psychologiques liés à la démence, que sont abolis des centres de jour, que diminue l’offre de services à domicile, vient la phase à craindre au plus haut point : l’inévitable demande de relocalisation. Un processus qui s’apparente au parcours du combattant.

Le proche aidant fait face à de longs délais en vue d’une évaluation psychosociale, arrivant difficilement à prévoir quel sera le temps d’attente en vue d’un hébergement vraiment adapté aux besoins de son parent, tout en craignant une hospitalisation soudaine, le risque d’une chute et d’une fracture, augmentant la fragilité de l’état physique et cognitif.

Comment tolérer que son père ou sa mère soit « placé » provisoirement dans un lieu où la qualité des soins et des services fait sérieusement défaut ? Et pourtant, c’est le cas.

Au moment où l’aîné plus dépendant a besoin de stabilité, de réconfort, il court le risque d’une telle déstabilisation que son état global se dégradera quasi à vue d’œil ! Et que fera-t-on pour l’aider à avaler l’amère pilule ? Le surmédicamenter. Et bon courage, quand on en est au énième omnipraticien avec qui il faudrait avoir un dialogue constructif sur ce seul sujet !

Le personnel en sous-effectif, le manque de stimulation, un milieu où dès que des membres de la famille se pointent, le personnel craint d’être pris en défaut. Nous devrions n’être que des alliés pour le mieux-être, nous nous regardons comme chiens de faïence.

J’ai accompagné des aînés soumis à des conditions de vie qui me fendaient le cœur. Du ballottage, rien de moins.

À la sortie de l’établissement, je fondais en larmes en pensant à cet être cher que je laissais derrière dans une chambre exiguë à partager à deux, à cette salle commune où la télé était branchée sur le canal météo à défaut d’activités ludiques, à l’odeur d’urine dans le corridor, au regard pessimiste de préposées exténuées. Des nuits blanches, j’en ai connu.

Un système à blâmer

Je sais ce qu’est la maltraitance systémique, organisationnelle, envers des aînés vulnérables aux prises avec la maladie de l’oubli au stade modéré à sévère. Une maladie incurable sans remède miracle afin d’atténuer, sans graves conséquences, sans risque d’AVC ou d’ischémie, l’agitation, le syndrome crépusculaire.

J’ai observé, en toute impuissance, l’impact du purgatoire qu’est le ballottage des aînés, et ce, des urgences aux soins aigus, en transition, en ressources intermédiaires (RI), en transition de nouveau, puis en CHSLD. 

J’ai encaissé la colère de proches parents déroutés, excédés, devenant hyper anxieux, l’ombre d’eux-mêmes. 

Le système doit être tenu responsable, le manque de prévoyance des décideurs au sein de ministères, des gestionnaires aussi, mais c’est moi, la fille, la bru, la nièce, qui étais condamnée à me sentir coupable d’avoir failli à mon devoir moral de sauvegarder la dignité de ces aînés qui méritaient mieux.

Alors, Madame la Ministre, il faut tout revoir. La prise en charge, la création essentielle de centres de jour, voire de soir pour donner un répit aux proches, le recours à la deuxième ligne dont à une équipe en psychogériatrie, la certification des CHSLD privés, mais n’oubliez pas le réseau de ressources intermédiaires où le nursing devrait être présent 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, et ne l’est pas. 

Comment est-ce acceptable de recommander l’hébergement en RI, par exemple dans une région comme Brome-Missisquoi, où des préposées sont unilingues anglophones, et ce, au vu et au su d’infirmières de CLSC déployées dans de tels établissements et des travailleurs sociaux ?

S’impose un tour d’horizon global de votre ministère sur tous les types d’établissements en prônant des mesures plus exigeantes et une politique de garantie de la qualité des soins et services. Les rapports d’évaluation du ministère de la Santé de la qualité du milieu de vie sont, à mon avis pour les avoir consultés, peu fiables quand vient le temps pour les familles de proposer un choix.

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