L’effroyable incendie qui a ravagé 850 ans d’histoire au cœur de Paris a mis en lumière la relation profonde, quoique tumultueuse, que la France entretient avec le catholicisme.

Dans la foule qui se pressait aux abords de Notre-Dame, tout comme ailleurs dans le monde où nous avons été des millions à fondre à larmes à la vue de ce trésor mondial en train de brûler vif, il était devenu bien difficile de distinguer les croyants des non-croyants.

Les premiers auront vu un miracle dans la lumineuse croix du chœur restée debout, intacte au fond de la nef dévastée. Les seconds s’émouvaient qu’on ait pu sauver des reliques… qu’hier encore ils auraient vues comme des objets d’archaïques superstitions. Devant le brasier, même un fier athée aurait pu se surprendre à faire le signe de la croix pour conjurer le sort.

Dans tous les cas, ce qui s’exprimait, c’était le sentiment que l’être humain tel qu’on le connaît au quotidien, avec ses petits besoins prosaïques et ses rêves étriqués, n’est pas la fin de tout ; qu’au-delà de notre indifférence moderne au rituel et au sacré, il existe quelque chose qui nous dépasse et nous transcende.

Ce peut être, selon ses croyances personnelles, un être suprême. Ou la bouleversante beauté de ces sublimes œuvres d’art que sont les cathédrales. Ou encore, le poids de l’histoire, que Notre-Dame incarne si magnifiquement. Une histoire à laquelle les Canadiens français sont d’ailleurs attachés de toutes leurs fibres au même titre que les Français, car les maçons et les charpentiers du temps des cathédrales sont nos ancêtres directs. Jusqu’au XVIIe siècle, notre histoire n’est-elle pas celle de la France ?

La transcendance, c’est aussi dans l’héroïsme des sapeurs-pompiers de Paris qu’on l’a trouvée.

L’héroïsme, voilà une valeur passée de mode au profit de concepts moelleux issus de la tradition féminine, comme la « compassion ». Mais ce n’est pas la compassion qui nous protège des grandes tragédies.

Ces si bien nommés « soldats du feu », astreints à une discipline militaire qui explique d’ailleurs l’extraordinaire efficacité de leur intervention, sont des jeunes de 20 à 30 ans qui ont mis sciemment leur vie en péril, exposés au plomb qui coulait dans la cathédrale, pour sauver un chef-d’œuvre du patrimoine. Tout comme ces pompiers de New York, le matin du 11-Septembre, qui ont sacrifié leur vie pour sauver leurs semblables. Tout comme ces jeunes tout aussi braves, dans nos propres casernes, qui rescapent des enfants de maisons en flammes.

Au-delà du drame de Paris, on voit apparaître une France bien différente de l’image artificielle d’une France dressée dans sa laïcité pure et dure. Les choses sont plus complexes.

Il y a la conscience, partagée par tous les Français, que leur histoire, jusqu’à la Révolution de 1789 et même au-delà, s’est bâtie dans la chrétienté, comme du reste celle de l’ensemble de l’Europe — une chrétienté inclusive qui a absorbé, avec le temps, mille et un nouveaux venus. Plus spécifiquement, c’est la France de culture catholique qui s’est révélée cette semaine au monde entier.

Les racines catholiques de « la fille aînée de l’Église » sont visibles partout, encore bien davantage qu’au Québec. 

Non seulement dans les abbayes romanes qui parsèment le paysage, mais dans les croix de pierre, les statues de la Vierge et les crucifix que l’on trouve aux carrefours des routes départementales et jusque dans les places centrales des villages.

En France, la Pentecôte, l’Ascension et l’Assomption (mots oubliés au Québec) sont des jours fériés. Dans les villages, la fête votive (celle du saint parrain du village) est célébrée avec plus de faste que le 14 juillet, et il n’y a pas de réjouissances collectives (qu’il s’agisse de la fête nationale ou de la fête du vin dans les régions viticoles) qui ne s’ouvrent par une grand-messe.

Les journaux régionaux affichent encore le saint du jour. Même dans les milieux réputés non croyants de Paris, on opte souvent pour des obsèques religieuses. Ce fut notamment le cas de Jacques Vergès, le brillant avocat provocateur qui défiait Dieu et les hommes.

Ceux qui l’ignoraient l’ont appris cette semaine : depuis 1907, l’État français est propriétaire des lieux de culte bâtis avant 1905, à la suite du grand compromis par lequel la République a mis fin aux conflits sanglants qui l’avaient opposée pendant plus d’un siècle à l’Église, principal soutien de l’Ancien Régime.

Contrairement au Québec où les églises appartiennent à des congrégations privées, Notre-Dame de Paris appartient donc à l’État soi-disant laïque qui supervisera sa reconstruction. C’est l’un des grands projets d’Emmanuel Macron : tout ancien élève des Jésuites soit-il, il agit ici conformément à la Constitution.

L’aide de l’État va bien plus loin. Ceux qui, au Québec, réclament l’élimination des subventions aux écoles privées au nom de la sacro-sainte laïcité dont ils ont fait leur nouvelle religion seront surpris d’apprendre qu’en France, l’État subventionne les écoles privées confessionnelles. Il participe à l’entretien de leurs bâtiments et défraie le salaire de leurs enseignants !

Les catholiques pratiquants sont une infime minorité en France (autour de 6 %). Ils sont toutefois beaucoup plus engagés que les catholiques québécois, qu’on n’entend jamais. La force de la minorité catholique s’est fait puissamment sentir en 2013-2014 contre le mariage homosexuel, avec des manifestations-fleuves motivées davantage, cependant, par le dilemme de la filiation que par l’homophobie.

C’est toutefois dans les mœurs et les réflexes que le catholicisme se fait sentir, bien au-delà des croyances individuelles.

Le catholicisme, sorti grand vainqueur des terribles guerres contre le protestantisme, a profondément imprégné les mentalités. Il est à la racine, par exemple, du rapport des Français à l’argent. Un rapport paradoxal et honteux, qui va du refus d’en parler ouvertement à l’hostilité latente (doublée d’une envie dévorante) envers les « riches »… et qui, sur le plan politique, débouche sur une méfiance instinctive du capitalisme et du libre marché.

Il est moins indiscret de demander à un Français combien de fois par semaine il fait l’amour que de l’interroger sur son salaire. L’hédonisme (la liberté sexuelle, le goût des plaisirs sensuels à table comme au lit) s’accommode bien du catholicisme grâce à la confession qui pardonne tous les excès, mais l’argent est une sale chose dans la tradition catholique (chacun en veut, mais on s’en cache), contrairement aux traditions protestantes et juives où l’argent n’a pas de connotation émotionnelle.

Par bien des côtés, les Français, à défaut d’être de confession catholique, sont encore de culture catholique. On pourrait certainement dire la même chose des Québécois…

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