Quels souvenirs les commémorations de la tuerie de Polytechnique font-elles remonter en vous ? C’est la question que nous vous avons posée plus tôt cette semaine. Voici un aperçu des courriels reçus.

En un clin d'œil

Assise en classe dans un pavillon voisin, j’ai réalisé ce soir-là qu’il aurait pu frapper chez nous. On n’oublie jamais un tel drame et à quel point la vie peut tourner en un clin d’œil.

— Francine Masson

Comme si c’était hier

Un carnage sur le flanc du mont Royal par une soirée glaciale de décembre. J’étais au travail et un collègue nous informait que le nombre de victimes n’arrêtait pas d’augmenter. On ne pouvait croire que cet acte insensé survienne dans notre ville, généralement exempte de ce type de violence. Notre ville était en état de choc et la douleur est devenue intenable, sachant que toutes les victimes étaient des femmes.

— Gilles Bourgeois

De justesse

J’ai de très mauvais souvenirs : ma sœur a échappé de près à ce drame. Elle était sur place, elle a vu le tueur et lui a échappé de justesse. Nous, sa famille angoissée, avons attendu pendant des heures de ses nouvelles. Étant moi-même étudiante à Polytechnique à cette époque, je devais aller la rejoindre à la cafétéria pour le souper de Noël… un contretemps m’a empêchée d’y aller. Je suis contente d’être en vie. Dommage que cela ait pris près de 30 ans avant de reconnaître que c’était un attentat contre les femmes. Il ne faut pas oublier pour que jamais une hécatombe comme celle-là ne se reproduise.

— Line Lecomte

Quelle tragédie…

J’avais 40 ans, j’étais devant la télé, j’attendais mon mari revenant d’Ottawa… et la nouvelle, en cette fin d’après-midi neigeuse, est tombée. J’ai tout de suite appelé près de moi mon fils de 16 ans, et ensemble, on a vu le chaos, l’incompréhension, les gyrophares, les gens courant partout. Sans vraiment savoir ce qui arrivait. Mais on savait toutefois ou on devinait que c’était « immense ».

— Suzanne Murray, Lac-Saint-Paul

Le combat des femmes

Ça aurait pu être moi. Ça aurait pu être ma fille ou ma petite-fille. Ces commémorations me rappellent chaque année que la partie n’est jamais vraiment gagnée pour les femmes, où qu’elles soient dans le monde.

— Francine Cadieux-Roy

Nécessaire féminisme

Une grande peine, un énorme chagrin, c’est ce que je ressens chaque année à pareille date depuis le jour de la tuerie. Le souvenir de cette haine ressentie envers les femmes. J’ai le souvenir de moi qui essaie d’expliquer, dans les bons mots à mes fils de 10 et 12 ans à l’époque, que, oui, être une femme peut être dangereux. Je me souviens de pleurer dans ma cuisine en pensant à elles, à leurs parents et me demandant comment éduquer mes enfants dans le respect des autres, dans la non-violence, dans l’égalité. 

Cet horrible évènement a fait en sorte que quatre enfants ont inculqué dans leur vie la notion de féminisme sans connotation négative, mais bien comme un mouvement nécessaire à notre société. 

— Ginette Létourneau

Je ne peux oublier

J’étais enceinte de mon deuxième enfant, je suivais un cours prénatal à la piscine du Collège de Bois-de-Boulogne. La rumeur se répandait qu’un drame horrible venait de se produire. Étant une femme et ancienne étudiante de l’Université de Montréal, c’était comme si l’on s’attaquait à ma famille. Toutes les femmes présentes au cours étaient remuées par cette nouvelle. Encore aujourd’hui lorsque l’on souligne la date anniversaire, j’ai une pensée pour ces femmes et leurs familles. En plus, ma première fille, née en 1987, a fait ses études à l’École polytechnique. Elle est ingénieure et je suis fière d’elle.

— Suzanne Phaneuf, Montréal

Le 7 décembre, j’ai remis mon jonc

J’étais étudiante en génie à Chicoutimi. À une époque où les réseaux sociaux n’existaient pas, je n’ai eu connaissance de la nouvelle que le lendemain matin. À mon réveil, à la radio, on parlait d’une tuerie de masse où 14 jeunes femmes, étudiantes en ingénierie, avaient été froidement abattues par un tireur fou. 

Les cinq premières minutes, aucun endroit n’avait été nommé. Je me disais que ça avait dû se passer dans un pays ne reconnaissant pas l’égalité entre les hommes et les femmes. Quand j’ai compris que c’était chez nous, je suis tombée en état de choc !

Quelques semaines auparavant, j’avais reçu mon jonc d’ingénieure lors de la collation des grades. J’avais rangé mon jonc dans une boîte, dans un tiroir. À ce moment, je trouvais futile le besoin d’exposer, par un artifice, ma profession.

Le 7 décembre 1989, j’ai remis mon jonc en me disant intérieurement qu’aucun homme, quel qu’il soit, ne m’empêcherait d’exercer la profession que je veux. Depuis, je le porte toujours, à la mémoire des 14 victimes.

— Suzanne Larouche, ingénieure

D’une rare violence

Je trouverai toujours aberrant d’avoir passé la soirée du 6 décembre 1989 au pavillon principal de l’Université de Montréal à suivre des cours comme si tout était normal, alors que tout près de là, à l’École Polytechnique, avec cette tuerie, tout basculait dans l’horreur. 

Mais on n’en savait rien… À mon arrivée en voiture, vers 18 h, j’ai entendu à la radio qu’un évènement semblait avoir eu lieu à polytechnique, mais aucun détail n’était connu.

De la même façon, que ce soit à la cafétéria ou plus tard dans les classes, aucune information de toute la soirée n’a circulé, ni parmi les étudiants ni même venant des autorités. Alors que les détails de ce drame devenaient au fil des heures de plus en plus connus du grand public, nous, ce soir-là, nous étions comme dans un bunker…

C’est donc passé 22 h, en m’en retournant chez moi, en compagnie d’amis que je raccompagnais, que nous avons appris la terrible nouvelle de cette tuerie… si proche. Quel choc ! Jusque tard dans la nuit et au cours des jours suivants, cette nouvelle a accaparé sans cesse mon esprit. Un peu comme le 11-Septembre plus tard.

Ces 14 jeunes femmes assassinées parce qu’elles étaient des femmes, c’est une histoire d’une rare violence qui génère toujours pour moi tristesse et incompréhension. Trente ans déjà ? C’était comme hier…

— Judith Duhamel, Montréal

Les visages des ambulanciers

Je travaillais aux urgences de l’hôpital Maisonneuve-Rosemont comme préposée à l’inscription des patients. Je me souviens clairement de l’inquiétude de certaines personnes qui avaient des sœurs, des amies étudiantes à Polytechnique. Les informations nous arrivaient par bribes ; c’était difficile de comprendre l’ampleur de la tragédie qui venait d’avoir lieu. Et les visages des ambulanciers qui avaient été sur place… des images gravées dans ma mémoire.

— Dominique Hardy

Un moment que je n’oublierai jamais

Au moment des événements, j’étais en voiture, revenant du travail. Ma fille de 21 ans étudiait à l’Université de Montréal en droit. Quand j’ai entendu à la radio ce qui se passait, j’ai senti un grand frisson d’horreur. Comme le cellulaire n’existait pas, j’ai dû attendre au retour à la maison pour avoir de ses nouvelles. Inutile de vous dire toute l’anxiété et la peur que j’ai vécues. Ma fille était saine et sauve, car la faculté de droit était plus loin. Par contre, j’ai pensé à tous ceux et celles qui vivaient la mort ou les blessures d’un proche – à ce moment-là, on ne savait pas encore que les victimes étaient des femmes. C’est un moment que je n’oublierai jamais. 

— Louise Michon, 76 ans, vieille féministe 

Honte d’être un homme

Je partageais un bureau avec deux femmes professionnelles. Le lendemain de la tuerie, nous avons échangé sur le drame. Pour la première fois de ma vie, j’ai eu honte d’être un homme. Les sentiments qui habitaient ces femmes intelligentes, éduquées, entrepreneures m’ont renversé. En tant qu’homme, je devais partager les torts que cet homme avait causés à toute la société. 

— Pierre Trudel

La haine contre les femmes

Je me souviens de tout, mais surtout de la réaction de mon conjoint, diplômé de l’École polytechnique en 1983, quand il a vu les photos des 14 femmes le lendemain dans le journal. Toutes des filles ! Et j’ai vu les larmes dans ses yeux. À Polytechnique, il préférait faire équipe avec des filles. Il les trouvait plus minutieuses. Nous attendions notre premier bébé : une fille… Je me souviens aussi de l’appel téléphonique de ma tante qui me rassurait sur le sort de mon cousin, étudiant à Polytechnique. Personne, dans notre famille, ne pouvait penser qu’en 1989, la haine contre les femmes pouvait exister au Québec.

— Micheline Brodeur

Naître dans un monde violent

Je suis devant la télé, ma petite fille de 1 an dans les bras, et je sanglote. Je n’arrive pas à croire ce que je vois et ce que j’entends : il a tué des femmes, il visait des femmes de manière délibérée. Je serre mon enfant contre moi et j’ai envie de m’excuser de l’avoir fait naître dans un monde violent où la haine envers les femmes se manifeste de manière aussi flagrante, dans un lieu où l’égalité entre les deux sexes paraissait acquise.

— Francine Vallée

Pourquoi Geneviève ?

Des images en boucle à la télévision, les gyrophares éclatants de dizaines de véhicules de police, de nombreuses ambulances devant l’Université de Montréal en ce début de nuit noire de décembre 1989.

Des nouvelles au compte-gouttes de journalistes abasourdis puis l’attente, cette interminable attente. L’incompréhension, l’aberration puis la confirmation, le soulagement pour les uns, mais la consternation et l’immense tristesse pour 14 familles qui ont perdu leur fille et des blessures qui marqueront 14 autres personnes à jamais.

Geneviève Bergeron, fille de la cousine de mon père, faisait partie des victimes. Ses grands-parents partis en Floride, impuissants, avaient un mauvais pressentiment, disaient-ils à mon père au téléphone. Je crois qu’ils sont morts de peine le 6 décembre 1989.

Pourquoi Geneviève, pourquoi pas moi ou l’autre étudiante ? C’était une première au Québec et toutes les femmes se sont senties concernées par ce massacre inexplicable. Ce soir-là, je n’ai pas trouvé le sommeil, comme beaucoup d’entre nous. Bien sûr, j’ai pensé à Geneviève, à sa sœur Catherine, à sa mère Thérèse et à ses grands-parents Lucille et Maurice, tous inconsolables, mais j’ai aussi pensé à la mère du tueur, cette grande oubliée de la tuerie de la Polytechnique.

Cette journée-là, cette femme a aussi perdu un enfant et elle est probablement devenue une morte-vivante. En espérant qu’elle ait réussi à pardonner à son fils. Je salue le courage de tous ceux et celles qui étaient proches des victimes, spécialement Catherine Bergeron. C’était il y a 30 ans, mais pour moi, c’était hier.

— Louise Saucier

PHOTO FOURNIE PAR LES ÉDITIONS LA PRESSE

Geneviève Bergeron

Souvenir de Barbara

Il n’y avait pas que des étudiantes en génie tuées le 6 décembre 1989 !

Il y avait Barbara Klucznik-Widajewicz, qui venait d’arriver de Pologne pour une vie de liberté. Elle travaillait chez moi, comme gardienne de mon bébé Pascale, pour me permettre de terminer ma maîtrise.

Le midi, autour de la table, je lui parlais du féminisme au Québec avec fierté. Et pour elle, c’était difficile d’admettre qu’une femme puisse avoir le même diplôme que son conjoint ! Elle avait choisi les sciences infirmières.

Le 6 décembre, elle attendait sagement son conjoint, qui donnait un cours à la Polytechnique, à la cafétéria lorsqu’elle a été atteinte par le tueur. 

Enfin, on reconnaît cette tragédie comme un acte antiféministe.

Barbara, je ne t’oublierai jamais.

— Johanne

PHOTO FOURNIE PAR LES ÉDITIONS LA PRESSE

Barbara Klucznik-Widajewicz