Dans une pharmacie. Il y a quelques jours.

On entre toujours par la section des cosmétiques. Sais pas pourquoi. Il doit y avoir un complot industriel et commercial dans ce design. Pour faire acheter. La femme de cette section portait trop de maquillage et trop de sarrau blanc. Une infirmière de soins beauté. J'aime et j'adore les femmes qui ne se maquillent pas. Elles sont mille fois plus belles avec leurs vies à vif, les rougeurs et le grain de leur peau, les pattes d'oie, leurs yeux nus, les lèvres roses. Mille fois plus belles quand les heures et les années sont teintées des vérités naturelles. Je tente aussi de comprendre pourquoi cette industrie ne veut pas accepter l'âge.

Il y a une partie de moi qui veut croire que Noël est une invention capitaliste, et une autre où le temps des Fêtes vient m'arracher des sentiments. J'aime beaucoup l'idée que seules les vieilles femmes devraient avoir le droit de porter du rouge à lèvres, mais uniquement le jour de leur mort. Mais c'est une autre histoire.

Je suis entré dans la pharmacie en même temps qu'un garçon d'à peu près 8 ans ; une tuque des Canadiens. Seul. Il venait de dire à sa mère d'attendre dehors, qu'il était capable d'y aller sans elle. Il s'est d'abord adressé à la fille trop maquillée en lui montrant sa petite main pleine de sous. J'ai tout de suite deviné et me suis poussé. Un cadeau pour sa maman. Peut-être venait-il d'apprendre que le père Noël n'existe pas. Déçu. J'ai une fois aussi eu 8 ans. Je sais qu'il n'y en a véritablement qu'un seul, mais il est incapable d'aller voir tous les enfants et toutes les mamans du monde la nuit du 25.

Le petit homme voulait faire un cadeau à sa mère. Et juste ça, ça m'arrache le coeur. J'ai préféré fuir.

Ces moments, il y en a trop, me poursuivent. Je venais chercher du Purell ; je voue un culte au Purell et je me fous que ça ne marche pas parce que je veux croire que si je ne suis pas malade, c'est parce que je me désinfecte les mains. Ainsi va la tête.

Donc rendu dans la rangée, en me penchant pour ramasser le truc, j'ai senti de l'eau sur mes joues. De grosses larmes douces et chaudes, qui tombaient sur le plancher, mêlées à l'eau de neige qui fondait de mes bottes. J'ai pris la bouteille d'une main et, de l'autre, avec mon foulard, je me suis essuyé les yeux. Parce qu'un homme, ça ne pleure pas. Pas en public. Et surtout pas dans une pharmacie. Les larmes d'hommes, c'est juste OK aux funérailles.

J'ai attendu quelques minutes qu'elles cessent de couler, devant une étagère où on vendait un costume de père Noël à côté des poinsettias. Fasciné par le rouge, comme celui du rouge à lèvres que j'imagine pour les vieilles dames qui vont mourir.

Malchance ou destin, le petit et moi sommes arrivés à la caisse en même temps.

La caissière lui a souri. Lui, il a mis toute sa poignée sur le comptoir. Fier. Trois ou quatre dollars, en petit change ; en sous noirs et en sous blancs. Un seul huard. Et pourtant un bel emballage plastique aussi gros qu'un ananas, avec un chou rouge et un ruban blanc. À travers le plastique transparent, j'ai deviné une grosse douzaine d'échantillons de produits cosmétiques en sachets et petites bouteilles. Des trucs gratuits, emballés par la jeune femme en blanc, que j'avais jugée parce qu'elle avait trop de couleurs sur la face.

Quand, à mon tour, j'ai déposé la bouteille de Purell sur le comptoir, la caissière a levé les yeux et m'a demandé si tout était OK. Ça coulait encore. Misère.

- Mes allergies, j'ai répondu en souriant doucement, vaincu par le sentiment.

On est en décembre. Je sais. Pas crédible.

- Dix et quarante-quatre, elle a dit.

Et j'ai rajouté deux grosses Kit Kat. À cause du rouge de l'emballage, je crois. C'est le plus beau cadeau du monde que je peux faire à la femme que j'aime. Je vais le lui donner simplement, et elle va sourire en silence de l'attention. Comme ça. Sans cérémonie. J'ai pensé à elle.

- Vingt et vingt-sept... euh, vingt et vingt-cinq.

- Merci.

- Joyeuses Fêtes, elle a dit en souriant.

Dehors, le petit marchait avec sa mère et tenait serré contre lui son paquet.

À partir de quand peut-on se souhaiter de belles Fêtes ? La veille, à la maison, on avait regardé Maman, j'ai raté l'avion pour une énième fois. Les enfants rient toujours aux mêmes scènes. À la fin, quand Kevin voit son vieux voisin renouer avec sa famille, y a une petite voix qui a dit : 

- Papa, tu pleures.

- Ben non, c'est mes allergies, j'ai dit, toujours en souriant.

Et je déteste en silence cet état sensible qui me fait brailler n'importe quand. On ne se refait pas.

- Heille, on est en décembre, y a plus de pollen... y a full neige dehors ! ! !

- OK, d'abord, c'est parce que j'ai une sinusite, j'ai encore dit en souriant.

Je ne peux plus raconter d'histoires aux enfants. Ils ne croient plus au père Noël. Ils commencent à croire aux sentiments. Et ça me réjouit. Éloigner les mensonges.

Dans la voiture, après la pharmacie : Happy Xmas (War Is Over). De John Lennon. Encore les yeux mouillés. Lui qui chante naïvement l'amour et les belles intentions comme si c'était vrai, alors qu'on passe le reste de l'année à être tout croche, à se taper dessus et à se décourager de la race. Il y a toujours plein de guerres. Et à travers tout ça, des fois, un peu de beauté sans fard. Mais pas assez.

Maudit Noël de crotte. On dirait qu'il reste un peu d'humanité. Et c'est presque beau.

Joyeuses Fêtes quand même.