Dans le chaos, aucun hôpital ne tient debout à Alep. Des civils se font impunément massacrer en tentant de fuir les combats. Un nombre sans précédent de travailleurs humanitaires, toutes origines confondues, ont été attaqués ou tués. Le droit humanitaire qui régit le comportement des belligérants dans la guerre ne tient plus. 2016, qui se termine, aura été l'annus horribilis pour la communauté humanitaire.

On a largement dépassé l'étape des excuses liées à des erreurs humaines ou à l'exercice futile des explications des dommages collatéraux. On lance désormais des missiles directement sur des hôpitaux remplis de blessés et de personnel médical, on lance des bombes sur des civils qui fuient les zones de conflit, on attaque les convois humanitaires qui acheminent des médicaments aux civils : ce n'est pas seulement Alep, c'est aussi Kunduz en Afghanistan, Malakal au Soudan du Sud, Abs au Yémen, Al Shifa à Gaza, etc.

Les pays signataires, incluant le Canada, ne semblent pas comprendre ni respecter leurs propres règles de la guerre. Ces règles, notamment établies dans les conventions de Genève, sont pourtant bien simples comme, par exemple, le devoir de protection des civils et des infrastructures médicales.

Dès lors, si les pays démocratiques ne respectent pas le droit humanitaire, on peut à peine imaginer le comportement des organisations non étatiques et des groupes terroristes en zones de conflit.

Plusieurs organisations et leaders humanitaires comme la Québécoise Joanne Liu, présidente de Médecins sans frontières, ont décrié énergiquement la situation. La Dre Liu a même lancé son appel directement au Conseil de sécurité des Nations unies, en vain. Le Comité international de la Croix-Rouge, dont le mandat principal est justement de veiller au respect du droit humanitaire par les pays signataires, a également été de tous les fronts cette année, négociant dans les hautes sphères diplomatiques jusqu'au front avec les États belligérants.

Malgré ces efforts sans précédent de la communauté humanitaire, le constat reste le même : les pays qui ont écrit et signé ces ententes internationales n'en tiennent plus compte. Alors que les civils sous les bombes se font massacrer, les populations du Nord restent stoïques devant les atrocités d'Alep, de Mossoul ou de Juba.

Ce qui est inacceptable est devenu routinier et banalisé : la recette parfaite de l'indifférence, cancer des démocraties occidentales.

Plus tard, cette indifférence confond les populations du Nord face au déferlement de réfugiés ou lorsqu'on leur demande d'ouvrir leurs frontières.

Ce qui est alarmant ne tient donc pas seulement à la tendance de la violation systématique du droit international de toutes les parties prenantes dans les conflits armés, mais à ce qui s'apparente à un nouveau consensus de guerre dans lequel « tout est permis » : on tue délibérément des civils, détruit volontairement les sites médicaux reconnus, attaque des organisations humanitaires et les convois civils. S'attaquer aux structures humanitaires, c'est détruire le dernier rempart d'humanité qu'il nous reste.

Les violations du droit humanitaire ont toujours eu lieu et les massacres de civils également. On peut d'ailleurs s'accorder qu'il s'agit du droit le moins respecté sur la planète et il serait naïf de croire que les belligérants ont à coeur les droits de l'homme.

Cependant, la tendance récente de violations systématiques et délibérées envers les infrastructures humanitaires nous confronte à l'échec et à l'incapacité de nos institutions à protéger les civils.

Comme le soulignait récemment Louise Arbour, l'échec des institutions internationales, comme celui du Conseil de sécurité des Nations unies, revient aux États membres. Mais il faut aussi ajouter que c'est aussi un peu notre propre échec à nous et à notre indifférence.

Le Canada a fait beaucoup cette année, notamment en ouvrant ses frontières aux réfugiés syriens. Mais s'il souhaite « rependre sa place » sur l'échiquier international et trouver sa valeur ajoutée, il doit sérieusement envisager de se faire le porte-parole du respect du droit humanitaire et tenter, même modestement, de remettre un peu d'humanité dans les écosystèmes des nouveaux conflits armés. Le Canada a des ressources et de l'expertise dans ce domaine : nous attendons à présent son leadership politique.

* Directeur de l'Observatoire canadien sur les crises et l'action humanitaire (OCCAH)