Chère Monique Lépine,

Le 6 décembre est une date que Montréal n'oubliera jamais.

Il y a plusieurs années, votre fils Marc a fait irruption dans les locaux de Polytechnique pour y abattre froidement des femmes. Quatorze coups de fusil trouvèrent une cible.

À ce moment, vous ne saviez pas encore que vous alliez vivre le pire jour du reste de votre vie.

Au premier jet, j'avais écrit ce texte en ne nommant pas votre fils. Parce qu'il faut taire les noms des méchants. Un certain sorcier nommé Harry vous le dira. Marc Lépine est pour moi l'un des (trop) nombreux Celui-Dont-Il-Ne-Faut-Pas-Prononcer-Le-Nom. Je ne voulais pas le nommer, car je m'arrêtais seulement au tueur qu'il est. Avant d'être un tueur, il est un fils. J'ai changé d'avis.

J'écris à la mère d'un homme. Je n'écris pas à la mère d'un vilain. J'écris à une mère qui vit le deuil de son fils. Je vous stigmatisais alors que je déplore que vous le soyez.

Votre fils s'appelle Marc Lépine. Il fait maintenant partie de l'histoire (triste) de Montréal. En revanche, il fait partie simplement de votre histoire. Pour plusieurs autres raisons.

Joyeuses par moments sûrement.

En dehors d'être un meurtrier de masse, Marc Lépine, était le bébé que vous avez bercé.

Le garçon dont vous attachiez les souliers. Il était l'adolescent que vous ne compreniez pas parfois et il était un homme troublé par ses démons.

Je suis mère. Nous n'enterrons pas nos enfants. J'arrive à peine à m'imaginer votre réelle souffrance. Xavier rentrera ce soir à la fin des classes. Marc, il ne reviendra jamais. Il s'est tué parce qu'il a vécu une blessure. Ce jour-là, elle s'est ouverte, créant une hémorragie dans ses émotions. Pour ensuite le pousser à terminer sa vie au bout d'une marche macabre dans les corridors de la Polytechnique.

Votre deuil doit être difficile le 6e jour de décembre. Entre deux jingles de Noël, le souvenir revient. Une souffrance qui se multiplie avec le facteur tragédie. Un exposant provoquant beaucoup de maux de tête. Les équations psycho-pop afin de comprendre le geste de Marc nous font échouer à chaque question. C'est la société qui doit faire un examen de conscience sur les tueries de masse. Pas seulement la mère du tueur.

C'est aussi l'anniversaire du décès de votre enfant. Entre tous ces hommages nécessaires aux victimes, les minutes de silence observées et éditoriaux, j'ai envie de poser ma main sur votre épaule en signe de compassion.

Vous portez le lourd drame que votre fils a perpétré. Je vous souffle de la sérénité.

« La violence, sous quelque forme qu'elle se manifeste, est un échec. » Ainsi citiez-vous Jean-Paul Sartre par le passé.

Monique Lépine, j'ai une pensée pour vous, parce qu'il n'y a pas eu 14+(1) victimes.

Vous êtes la seizième victime.