Jadis, les personnes qui consacraient leur temps à réfléchir et à exprimer des théories sur la vie par écrit représentaient une infime partie de la population.

Était-ce mieux ainsi ? Depuis l'avènement du web, tous se mettent à pondre des idées et des opinions par écrit.

Comme le dit, je crois, madame Germain, c'est ce que visaient les bien-pensants, faire communiquer les gens entre eux. Et voici que la société des lettrés se voit envahie par une horde de scripteurs à la plume courte et acérée.

La masse s'exprime, invective, renseigne et révèle la vérité à qui mieux mieux.

On est ici très loin de Voltaire, Balzac ou Malraux. La langue est souvent malmenée, amputée, meurtrie. Les nouveaux participants à cette joute du verbe proclament leur droit à la tribune pour faire entendre leur trop-plein sans se soucier que, du point de vue du lettré, il ne s'agisse la plupart du temps que de borborygmes ou d'éructations plus ou moins fétides. 

Le lettré s'enorgueillit de manier le mot avec élégance et profondeur. Mais qui est donc ce lettré ? S'autoproclame-t-on ou s'agit-il d'avoir été publié ? Quoi qu'il en soit, sa secte est maintenant infiltrée de partout. C'est tout le monde et son voisin qui en font partie, maintenant que la toile sert de piste à la cavalcade verbeuse.

Autour des années 80, on s'est mis à se moquer des gens qui osaient exprimer à voix haute le résultat de leurs réflexions. Ils étaient « songés » disait-on. Mais maintenant que Pierre-Jean-Jacques le fait, pourquoi pas moi ? Où y a d'la gêne, y pas d'plaisir !

Ce melting-pot donne le résultat que l'on ne sait plus se tenir dans le monde du mot écrit. On s'autocongratule, on s'invective, on s'excommunie.

Pas de police pour faire la loi dans ce monde échevelé qui veut exister par le texte. On crie au meurtre de la juste parole. Certains trouvent les moyens de rassembler assez de « contre » pour condamner le malfaisant public. Mais, tout compte fait, c'est l'anarchie. On a véritablement perdu le nord dans cette mer de mots.