Dans sa livraison du 25 novembre 2016, La Presse+ a fait état du paiement, en 2015, de près de 60 millions de dollars en heures supplémentaires par la Société de transport de Montréal (STM). Parmi les grands bénéficiaires de cette manne financière figurent les conducteurs d'autobus.

Ce qui est étonnant et qui heurte dans cette situation, c'est moins l'enrichissement de certains travailleurs que les explications livrées par les responsables de la STM concernant l'impact d'une telle situation sur la sécurité des conducteurs d'autobus. En effet, pour les responsables de la STM, le recours systématique et massif aux heures supplémentaires n'aurait pas de « danger pour la sécurité » chez les conducteurs de bus étant donné « que les taux d'épuisement professionnel ou d'accidents n'ont pas augmenté [...] Ce sont des gens qui ont des disponibilités, qui veulent le faire et qui sont ambitieux ».

Cette façon d'appréhender les choses est pour le moins étonnante, voire dangereuse en termes de prévention pour la santé des travailleurs.

En effet, s'il est normal pour tout travailleur de chercher à accroître ses revenus notamment en acceptant d'accomplir des heures supplémentaires, il est de l'obligation, pour tout employeur, de savoir que les dérogations aux heures normales de travail doivent être une exception et non la règle.

Sur le fait que les travailleurs concernés cautionnent un système organisationnel qui, à terme, pourrait compromettre leur santé, plusieurs études scientifiques peuvent l'expliquer. On peut citer, par exemple, les résultats de celle réalisée par Catherine Hellemans (2014) auprès de 100 conducteurs d'une entreprise de transports en commun de Bruxelles pour identifier leurs croyances, perceptions et explications relativement aux risques psychosociaux (stress, harcèlement, épuisement professionnel, etc.) auxquels ils sont exposés. Les résultats de cette étude montrent que les conducteurs de bus ont tendance à attribuer leur exposition aux risques psychosociaux à des facteurs externes (comportements des usagers : incivilités, violence physique, etc.) plutôt qu'à des facteurs internes (organisation du travail, relations de travail, etc.).

DES MAUX PASSÉS SOUS SILENCE

De plus, il est établi que devant la perspective de toucher une prime ou d'accroître ses revenus, le travailleur pourrait dissimuler les petits accidents qu'il a subis ou les maux qui le préoccupent. Voilà pourquoi les responsables de la STM ne doivent pas s'étonner de voir le nombre d'accidents du travail et celui des cas d'épuisement professionnel rester au même niveau. Cela ne voudrait nullement dire qu'il y ait absence de risques ou que ces derniers soient maîtrisés.

Aujourd'hui, c'est un euphémisme de dire que les conducteurs d'autobus sont exposés aux risques psychosociaux ainsi qu'à d'autres types de risques. Par exemple, le fait qu'ils soient assujettis à des horaires et itinéraires précis ainsi que celui de conduire dans des agglomérations denses les exposent à de fortes exigences (charge mentale liée à la concentration, poids de la responsabilité de la sécurité des passagers, etc.) sur lesquelles ils n'ont, généralement, aucune emprise.

Une telle situation est, en soi, une source de stress. S'y ajoutent les horaires atypiques, les contraintes de relation clientèle, etc. Sur un autre plan, les contraintes liées à la posture assise et aux vibrations les exposent à des risques de lésion au dos. Il est évident que la probabilité de voir tous ces risques se traduire en lésions professionnelles est plus élevée avec une augmentation de la durée d'exposition à travers l'accomplissement d'heures supplémentaires.

Par conséquent, le discours de banalisation du recours systématique et massif aux heures supplémentaires doit être proscrit. Les responsables de la STM gagneraient à se pencher, dès maintenant, sur ce problème qui pourrait avoir, dans les mois ou années à venir, un effet boomerang aux conséquences dévastatrices sur leur capital humain.