Entrez ces jours-ci dans un dépanneur et prêtez l'oreille aux conversations. Tôt ou tard, vous entendrez une diatribe contre les politiciens tricheurs, manipulateurs, toujours en train de travestir la vérité. Bref : les « menteux ».

Il n'y a là rien d'inédit, mais il semble que le phénomène a maintenant atteint de nouveaux sommets. C'est l'impression qu'on retient après les commissions Gomery et Charbonneau, à quoi s'ajoutent l'énorme affaire de la Société immobilière du Québec et le scandale de l'écoute électronique à laquelle des journalistes viennent d'être soumis. En plus, dans ces deux cas, la manière emberlificotée dont les leaders politiques concernés essaient de se justifier paraît confirmer le jugement populaire.

Ce qui se répand au Québec, comme dans plusieurs sociétés occidentales, c'est un mouvement de fond qui cible à peu près toutes les élites.

Sans nuance, le peuple leur fait de moins en moins confiance, ce qui, par ricochet, affaiblit les grandes institutions publiques. Cette situation est malsaine. Elle nourrit un ressentiment qui peut prendre des proportions imprévues en provoquant des emportements comme celui qui vient de mener Donald Trump à la Maison-Blanche. L'ironie ici, c'est que la colère peut rendre aveugle et conduire à trouver une solution là précisément où réside le vice.

LE FAUX JETON

En résumé, le rejet intempestif des élites, notamment des élus, révèle une disposition dont un faux jeton peut tirer profit en se drapant dans les habits de la vertu offensée. On sait où ce populisme peut conduire.

On aurait tort de sous-estimer les risques d'un tel enchaînement : qui aux États-Unis, il y a à peine un an, prenait au sérieux les ambitions présidentielles de Donald Trump ? Même les analystes les plus chevronnés n'y ont vu que du feu. Pourtant, après coup, on voit mieux ce qui s'est passé.

En fait, tous les ingrédients d'une dérive étaient réunis : l'appauvrissement provoqué par la délocalisation des entreprises, l'explosion des inégalités sociales, la relative indifférence des médias, de nombreux intellectuels et de la classe dirigeante (incluant les leaders du Parti démocrate), un pouvoir exécutif apparemment réduit à l'impuissance, un tribun sans scrupule et d'une rare efficacité, et une adversaire largement perçue comme une fieffée « menteuse », incarnant tout ce qu'on rejetait.

Comment prévenir ce genre de dérive ? Quelle que soit la façon d'aborder la question, on en vient inévitablement à accuser une crise de la démocratie.

Aux États-Unis plus qu'ailleurs encore en Occident, la prise de décision politique a été confisquée par les multinationales et la haute finance.

Des travaux publiés récemment ont démontré comment leur influence contamine l'ensemble du processus allant du choix et même de la rédaction des projets de lois à débattre dans les deux chambres jusqu'à leur adoption. Ils ont montré aussi comment, par le truchement des lobbies et des sommes astronomiques dont ils disposent, les magnats prennent en charge l'élection des candidats qui tombent ainsi sous leur contrôle.

Revenons au Québec. Certes, notre société n'est pas aussi gravement atteinte de ce genre de maux, mais elle en souffre également. Ainsi, après avoir décliné à partir de 1970, les inégalités et la pauvreté sont maintenant reparties à la hausse. On voit régulièrement que les multinationales pèsent indûment sur les décisions de l'État. Et à la lumière des événements récents, on peut constater que la corruption et la manipulation sont loin d'être éradiquées.

Une voie de solution réside dans la vigilance citoyenne au service de la démocratie ; mais une vigilance organisée, énergique, entretenue par des leaders civiques ou communautaires, avec l'aide de militants. Dans ce contexte, on comprendra que nos médias ont également un rôle déterminant à jouer, ce que plusieurs ont fait au cours des dernières années - il faut s'en réjouir.