Malgré les immenses ressources humaines et financières déployées, près de la moitié du budget du gouvernement, notre système de santé s'avère, de façon évidente, incapable de répondre aux besoins de la population.

Les difficultés d'accès, les interminables temps d'attente et l'encombrement des urgences en sont les manifestations les plus évidentes. Or, le cancer, le diabète, les maladies chroniques et les maladies mentales, qui ont remplacé les maladies infectieuses et les maladies de coeur, requièrent un niveau plus élevé et plus soutenu de soins. Ce qui fait qu'avec le vieillissement de notre population, l'incapacité de suffire à la demande de soins va continuer de s'accroître.

Le fait que notre système de santé, qui faisait à l'origine l'envie chez les pays occidentaux, se classe maintenant parmi les moins performants rend la situation particulièrement préoccupante. 

On ne peut s'empêcher de se demander comment nous en sommes arrivés là. Quels sont en définitive les principaux facteurs qui ont causé la lente détérioration de notre système de santé.

Voyons d'abord au niveau fédéral ; deux grands facteurs sont en cause : la Loi canadienne sur la santé et la participation du gouvernement fédéral au financement de la santé.

1. LA LOI CANADIENNE SUR LA SANTÉ

La Loi canadienne sur la santé, adoptée en 1984, constitue le cadre à l'intérieur duquel notre système de santé s'est développé et continue de procéder. De telle sorte que, même si les services de santé sont de compétence provinciale, le gouvernement fédéral joue, dans l'application rigide de cette loi, un rôle prédominent.

Au Québec, cette loi a été analysée au cours des dernières années par les nombreuses commissions et groupes de travail qui se sont penchés sur la santé. Les constats et les recommandations qui se dégagent de leurs rapports vont tous dans le même sens.

La Loi canadienne sur la santé a fait son temps. Contrairement à son nom, elle est essentiellement axée sur la maladie. Elle ne fait aucune place, malgré leur importance, à la prévention sous toutes ses formes et à la promotion de la santé. C'est une loi médicale selon une conception nettement dépassée selon laquelle les services de santé sont exclusivement produits par des médecins qui posent des actes médicaux. Une conception qui, en ignorant le caractère multidisciplinaire des services de santé, limite indûment le rôle des pharmaciens et des infirmières. Enfin, elle continue de favoriser la rémunération à l'acte malgré les effets pervers de ce mode rémunération, notamment en ce qui a trait au suivi des malades chroniques et des soins de longue durée.

Fondamentalement, c'est une loi coercitive et punitive qui découle d'une conception paternaliste du fédéralisme dans le champ de compétence des provinces. Un anachronisme qui freine nettement l'action des provinces face aux changements dans la production des soins rendus nécessaires par le progrès des connaissances et des technologies.

2. LA PARTICIPATION DU GOUVERNEMENT FÉDÉRAL AU FINANCEMENT DE LA SANTÉ

Au cours des dernières décennies, les dépenses en santé ont augmenté dans tous les pays plus rapidement que la richesse collective. Au Québec, les dépenses de santé sont ainsi passées d'environ 30 % des dépenses du gouvernement à près de 50 %. Ce qui a eu pour effet de contraindre les dépenses dans tous les autres secteurs. Il s'agit là d'une situation intenable. C'est d'ailleurs ce qui faisait dire à l'ex-ministre des Finances Monique Jérôme- Forget que la santé constitue le problème numéro un des finances publiques.

Il faut noter qu'il s'agit d'une tendance qui ne peut être stoppée par des coupures budgétaires comme celles effectuées par le gouvernement Couiillard. De telles coupures, à moins qu'elles ne s'accompagnent de changements fondamentaux, ne font que reporter la croissance des coûts. Voilà le contexte dans lequel se situent les discussions en cours sur la participation fédérale au financement de la santé.

À l'origine de l'assurance maladie, le gouvernement fédéral s'était engagé à assumer 50 % du coût moyen des régimes des provinces. Tous les gouvernements, y compris celui du Québec, dont j'étais membre à titre de ministre de la Santé, avaient tenu pour acquis que ce niveau de financement serait maintenu en permanence. Mais cet engagement n'a pas été tenu. Présentement, au lieu de 50 %, la contribution du gouvernement fédéral s'élève à moins de 20 %.

Afin de stopper la décroissance de sa contribution, Ottawa s'est engagé en 2006 à augmenter sa participation de 6 % chaque année. Contre toute attente, la ministre fédérale de la Santé Jane Philpott a annoncé récemment que l'augmentation serait dorénavant limitée au taux de l'inflation, avec un maximum de 3 %. Tous les ministres des provinces ont fortement dénoncé cette volonté du gouvernement fédéral.

Pour faire avaler la pilule et se donner bonne image, la ministre a annoncé une injection de fonds pour les soins à domicile. Pour le Québec, cette initiative constitue évidemment une intrusion inacceptable dans un domaine de sa compétence. On sait que ce genre d'initiative est d'ailleurs loin de donner les résultats escomptés. L'histoire du dossier patient et ses coûts faramineux est encore trop récente pour qu'elle puisse être oubliée.

Quant à moi, j'estime qu'il y a quelque chose de vicié dans l'utilisation par le gouvernement Trudeau de son pouvoir de dépenser au moment où notre système de santé fait face à des défis sans précédent.

CADRE TROP RIGIDE À QUÉBEC

Voyons maintenant comment, au Québec, notre système de santé est devenu l'un des moins performants. Les rapports des commissions et groupes de travail des derniers vingt ans sont unanimes. Pour contrer la montée des coûts, au lieu de miser sur la productivité, le ministère de la Santé a compté sur les contrôles budgétaires et administratifs, une centralisation excessive et sur une réglementation tatillonne. Il en est résulté un cadre rigide peu propice à une nécessaire adaptation, à la motivation et à l'innovation dans un monde en profond changement.

Malheureusement, au lieu de changer de cap et prendre comme modèle les régimes les plus performants, nous nous enfonçons dans une centralisation extrême des pouvoirs, un brassage stérile et épuisant des structures administratives et le maintien de la mainmise des fédérations médicales et de l'Ordre des médecins sur notre système de santé.

VERS UN OPTING-OUT ?

En résumé, les deux ordres de gouvernement ont leur part de responsabilité quant à l'état actuel de notre système de santé. Une remise en question est devenue inévitable aussi bien à Ottawa qu'à Québec. De façon prioritaire, si le gouvernement Trudeau poursuit dans la voie dans laquelle il s'est engagé, le gouvernement Couillard n'aura d'autre choix que de contester l'application de la Loi canadienne sur la santé et d'emprunter la voie de l'opting-out avec pleine compensation. Quant à la réorientation de notre système de santé dans la voie du bon sens, ce n'est qu'une question de temps, car nous nous dirigeons inévitablement vers une impasse.