Dans son remarquable roman La part de l'autre, l'écrivain et dramaturge Éric-Emmanuel Schmitt faisait le pari audacieux d'imaginer la vie d'Hitler si, plutôt que de diaboliser et rejeter tout ce qui lui était différent, il s'était ouvert à sa part d'étranger.

La tragédie d'Orlando donnera certainement lieu à des explications diverses. Homophobie, radicalisme, dépression non traitée, disponibilité problématique des armes à feu ? Plus que l'horreur, l'humain craint essentiellement le vide, et face à l'insensé, il cherche un sens.

Si les explications offertes peuvent s'opposer en apparence, les réflexions de Schmitt nous semblent révéler leur identité commune.

Dans leurs versions les plus positives, les grandes religions sont porteuses d'ouverture, de sollicitude et de compréhension. Il n'est toutefois pas difficile de retrouver dans leurs textes fondateurs une pensée sectaire qui divise impitoyablement entre les purs et les mécréants.

Que l'islam soit le terreau actuel d'un tel message haineux ne doit pas faire oublier que la chrétienté, au même âge qu'a présentement l'islam, alimentait bien des guerres et des atrocités.

Ce n'est pas tant une religion spécifique que l'on doit craindre que la haine de l'autre qu'elle porte en germe.

Cette haine de l'autre est l'essence même du discours homophobe ou sexiste. Parmi les différents témoignages des personnes ayant connu le tueur d'Orlando, celui d'un ami ne peut toutefois que nous frapper. Il rappelait qu'Omar Mateen l'avait accompagné à des spectacles de drags et qu'il n'affichait alors aucun signe d'homophobie.

À cette époque, l'autre, l'étranger, ne semblait pas soulever de craintes chez Omar Mateen. La fréquentation de personnes aux goûts, opinions et orientations différents, loin de le fragiliser, venait plutôt enrichir son existence.

LE REPLI

Puis vint le repli. Peut-être en apprendrons-nous plus sur les blessures qui ont conduit cet individu à se refermer sur lui-même et à chercher, dans des diktats identitaires rigides, une réponse aux angoisses qui le tenaillaient.

Fragiles dans leur identité, souvent écartelés entre deux univers sociaux et culturels de par leur origine différente, les immigrants de deuxième et de troisième générations sont souvent plus vulnérables à tout endoctrinement leur assurant, par le rejet de la part de l'autre, des réponses simples à leurs angoisses.

Le radicalisme religieux, l'homophobie, le sexisme ou l'engouement effréné pour les armes ne sont que les facettes différentes d'un même repli sur soi. Et un tel repli, coupant l'individu de tout ce qui peut réellement l'enrichir, n'est pas si étranger aux formes de dépressions larvées que l'on retrouve si souvent chez les jeunes hommes.

Nos sociétés ont un défi immense devant elles. Si elles doivent protéger leurs citoyens contre la violence sourde de certains groupes et qu'elles se doivent de dénoncer les idéologies sectaires et porteuses de violence et de divisions, elles doivent tout autant s'assurer de demeurer ouvertes. Car ce serait bien le plus grand drame que des tragédies comme celle d'Orlando nous conduisent nous aussi à rejeter la part de l'autre, pour nous conforter de manière complaisante dans nos identités.