Dans les années 1780, la France dirigée par Louis XVI se trouve dans de graves difficultés financières: chaque année, le déficit du trésor public se creuse.

Les ministres des Finances appelés au chevet de la malade se révèlent incapables de trouver une solution: le Tiers état (tous ceux qui ne sont ni nobles ni prêtres), qui compose 96% de la population, et particulièrement sa composante bourgeoise, est étranglé par les impôts et taxes divers, tandis que la noblesse et le clergé en sont exemptés.

Les réformateurs qui veulent modifier cet état des choses se heurtent de la part des privilégiés à une fin de non-recevoir: la noblesse, parce qu'elle a obtenu ce «droit» en donnant son sang pour la patrie; le clergé, parce que cette exemption serait essentielle pour effectuer ses nombreuses tâches matérielles et spirituelles.

En 1787, à la suite d'un projet de réforme globale de la perception des impôts du ministre Calonne, on assiste même à une véritable révolte nobiliaire (et cléricale) qui réussit à le faire avorter. «Nous n'avons rien volé», clament en choeur les membres des deux ordres privilégiés. On connaît la suite: Louis XVI se voit contraint de convoquer les États généraux, qui se proclament assemblée constituante, le petit peuple de Paris et des campagnes entre dans la danse, le roi est renversé, les biens du clergé sont nationalisés et la noblesse est forcée à l'émigration ou décimée par les révoltes populaires et la guillotine. En 1800, Napoléon établit le principe de l'égalité de tous devant les impôts.

Nouveaux privilégiés

Comme ces privilégiés de l'Ancien Régime, les employés municipaux jouissent d'avantages qu'ils n'ont pas volés. Seulement, la légalité de leurs régimes de retraite n'empêche pas qu'ils soient à la fois le produit d'un âge révolu, celui où des administrations municipales désireuses d'éviter le grabuge pelletaient les problèmes vers les générations futures, et d'un mode de négociations collectives où l'utilisation abusive de leur «rapport de force» et la prise en otage des services publics leur a permis d'extorquer aux contribuables privés de toute voix au chapitre des avantages léonins et inéquitables.

Ce contexte éminemment favorable aux employés municipaux a abouti à des aberrations comme le régime de retraite des pompiers de Montréal, que Stéphanie Grammond décortiquait dans La Presse du 21 juin: droit à la retraite après 25 ans de service sans pénalité actuarielle, prestations de retraite garanties et pleinement indexées au coût de la vie, cotisation limitée à 6% du salaire pour une rente valant 970 000$ pour un heureux retraité de 50 ans avec 30 ans de service.

Notons que cette luxueuse voiture de course ne se compare en rien à la modeste berline des employés de l'État qui cotisent au RREGOP: cotisation à part égale avec l'employeur; pénalité actuarielle salée pour ceux qui quittent avant l'âge de 60 ans; non-indexation des premiers 2,9% de l'inflation. Et encore moins à la sous-compacte des employés des PME ou des travailleurs autonomes, qui se réduit souvent à quelques milliers de dollars en REER et aux prestations de la RRQ.

Les employés municipaux n'ont donc rien «volé», mais ils jouissent d'un apanage inéquitable qui ne peut plus être maintenu à l'heure où les déficits des finances publiques municipales atteignent des sommets insoutenables dans les grandes villes de la province, où vivent la majorité des citoyens. Ceux-ci ne demandent pas aux employés municipaux de devenir moines franciscains, mais de renoncer à certains avantages excessifs et choquants, de négocier avec leurs employeurs de bonne foi et, surtout, de cesser de se comporter comme des hooligans et des vandales.