Dans son ouvrage récent sur les origines de la Première Guerre mondiale, intitulé The War That Ended Peace, Margaret MacMillan en arrive à la conclusion selon laquelle le seul enseignement que nous puissions tirer avec certitude des causes de cette guerre n'est autre que l'importance du leadership. Aucun pays ne souhaitait en effet véritablement l'affrontement armé, mais nul ne sut comment y faire face, dans la mesure où l'Europe de 1914 manquait de grands hommes d'État tels que l'Allemand Otto von Bismarck, dont la retenue permit de maintenir la paix en Europe pendant plusieurs décennies. Une absence de leadership similaire s'observe à nouveau aujourd'hui, de manière de plus en plus palpable, dans les comportements récents de la Russie et de la Chine.

Ni le président russe Vladimir Poutine ni le président chinois Xi Jinping ne semblent avoir intégré les leçons du passé. À l'endroit de l'Ukraine, il appartient à la Russie de faire un choix quant au type de relation qu'elle entend instaurer avec l'Europe. Si l'Ukraine venait à redevenir un satellite du Kremlin, que ce soit à l'issue d'une réintégration directe ou par le biais d'une sorte de «finlandisation,» la Russie finirait par se réincarner sous la forme d'une problématique européenne ancestrale: elle deviendrait à la fois «trop imposante» pour ses voisins, et «trop insuffisante» pour ses propres ambitions.

Il convient d'observer que l'Ukraine - forte d'un territoire plus vaste que celui de la France, et d'une population de 45 millions d'habitants - constitue de facto la pierre angulaire de l'équilibre géopolitique en Europe. Contrairement à ce qui s'est produit en Pologne à trois reprises au cours du XVIIIe siècle, il ne saurait être question de scission ukrainienne, à l'issue de laquelle la partie Ouest de l'Ukraine rejoindrait l'Europe et sa région Est reviendrait à la Russie. Par conséquent, le dénouement du choix civilisationnel ukrainien - entre Union européenne démocratique et Russie autocratique - entraînera nécessairement un certain nombre de conséquences stratégiques majeures pour le continent tout entier.

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La problématique à laquelle la Chine est confrontée en mer de Chine méridionale revêt une nature similaire. La Chine serait-elle, elle aussi, en train de perdre ce sens de la retenue qui caractérisait sa politique étrangère jusqu'à récemment?

Les Chinois semblent aujourd'hui faire preuve d'une impatience pourtant contraire aux intérêts à long terme de leur pays. Le statut mondial ascensionnel de la Chine est à ce jour évident et reconnu par tous.

En affichant ses ambitions hégémoniques régionales, la Chine en arrive à rallier contre elle un ensemble de pays aussi divers que le Vietnam, l'Indonésie et les Philippines. Tous ces pays aspirent aujourd'hui plus que jamais à voir perdurer la présence de l'Amérique en tant que puissance sur le continent asiatique.

On entend parfois dire que l'histoire ne saurait nous apprendre quoi que ce soit, dans la mesure où elle contient des exemples de tout. Pourtant, les enseignements de la diplomatie classique se révèlent sans doute aujourd'hui plus utiles qu'ils ne l'étaient au XXe siècle. Le temps des grandes idéologies est derrière nous; une époque caractérisée par de stricts calculs d'intérêts se dessine à l'horizon. Entre temps, il est bien possible que l'exercice de la guerre ait évolué bien davantage que celui de la diplomatie, et sans doute pour le pire.

Bien que le progrès technologique ait refaçonné le travail des diplomates, les règles du jeu diplomatique demeurent fondamentalement les mêmes. Toute réussite présuppose une capacité de compréhension des intérêts et des perceptions d'autrui, ainsi qu'un sens inné de la modération et de l'autolimitation; des qualités qui semblent aujourd'hui faire cruellement défaut en Russie et en Chine.

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