On semble hésiter à qualifier de simpliste la stratégie du Dr Gaétan Barrette pour donner à tous les Québécois un médecin de famille d'ici deux ans et demi. Pourtant elle l'est.

Tout d'abord, un commentaire sur sa facilité à identifier uniquement les problèmes en lien avec l'accessibilité aux médecins de famille quand, dans la grande majorité des régions, les délais d'attente pour une consultation dans de nombreuses spécialités dépassent, et de très loin, les normes acceptables dans une société moderne.

Un à deux ans pour un rendez-vous en psychiatrie presque partout au Québec! Quasi impossible de rencontrer un gynécologue pour un problème non chirurgical! Tenter de rencontrer un orthopédiste en Outaouais est un défi plus qu'olympique! Une coloscopie élective après 12 à 18 mois dans une région où les médecins spécialistes sont payés à forfait (salaire horaire) le jour et où ils ont réduit le nombre quotidien des interventions depuis le changement! Des listes d'attente pour des interventions chirurgicales qui servent de « buffet » dans lesquelles le spécialiste « pige le cas qui l'intéresse le plus » et remet l'autre sous la pile! Et ce n'est que la pointe de l'iceberg.

Le Dr Barrette utilise le terme de « multifactoriel » pour expliquer les problèmes d'accès aux services de santé de première ligne, mais ce que l'on connaît de sa solution est loin de représenter une solution multifactorielle. Cette problématique est complexe. Elle est construite sur le corporatisme médical et l'inefficience du réseau de la santé et son fonctionnement « en silo » qui persiste malheureusement. Mais beaucoup et peut-être davantage sur le confort médical secondaire aux différents modes de rémunération des médecins, qu'ils soient omnipraticiens ou spécialistes, rémunération modulée au fil des ans pour favoriser l'efficacité et l'accessibilité, mais ayant très souvent eu l'impact inverse.

Au fil des années, mais également des besoins de la population et de la nécessité de combler des lacunes d'accessibilité régionale ou de secteurs, les gouvernements ont modulé et bonifié la rémunération des médecins. À titre d'exemple, les omnipraticiens et les spécialistes des régions dites éloignées ont obtenu des modes de rémunération mixtes comprenant des forfaits pour des périodes de travail ainsi qu'une rémunération nettement majorée par rapport à celle des régions centrales.

Ces modifications de la rémunération ont conduit à une réduction de la productivité. Pourquoi s'activer pour voir plus de patients ou effectuer plus d'examens diagnostiques si, de toute façon, on reçoit le même salaire ou encore on a des revenus entièrement suffisants ? Les listes d'attente pour rendez-vous ou investigations se sont allongées significativement, un effet pervers même si ces nouvelles rémunérations ont permis le recrutement et la rétention des médecins.

Les omnipraticiens, de mieux en mieux rémunérés, ont réduit leur disponibilité, certains étant encore plafonnés dans leurs revenus maximaux. Encore une fois, pourquoi en faire plus? Il est faux de prétendre, comme l'affirme le Dr Barrette, que d'améliorer le plateau technique, fournir plus d'infirmières spécialisées ou encore mieux rémunérer les médecins améliorera l'accès à un médecin de famille.

La rémunération des médecins, dans son ensemble, est la pierre angulaire de toute solution à cette problématique d'accessibilité en médecine de famille et en spécialité. Dans une proportion significative, les médecins, suffisamment rémunérés, réduiront leur niveau d'activité, satisfaits qu'ils soient de leur niveau de revenus. C'est d'ailleurs ce qui donne raison au Dr Barrette lorsqu'il affirme qu'il y a suffisamment de médecins de famille (et de spécialistes) au Québec pour répondre aux besoins de la population. C'est presque le cas. Pourquoi donc ne parviennent-ils pas à répondre à ces besoins?

Sans aucune obligation accompagnée d'une pénalité, le problème demeurera entier. Au Québec, l'on paie les médecins sans aucune validation ni contrainte. Un omnipraticien « qui sait bien facturer » peut facilement avoir un revenu très élevé en ne travaillant que quelques heures par jour, quelques jours par semaine, jamais le soir ou les fins de semaine.

En Ontario, il y a une différence importante, il y a une obligation de rendement. Un médecin est financièrement pénalisé si un de ses patients inscrits doit consulter quelqu'un d'autre ailleurs parce qu'il n'est pas disponible alors qu'il devrait l'être ou parce que son équipe n'offre pas des services sur une base régulière afin de combler le vide.

Les modes de rémunération ne sont toutefois pas le seul frein à l'accessibilité aux services médicaux. Comme mentionné, la problématique est multifactorielle et elle doit être adressée globalement et collectivement. Toute solution devra nécessairement impliquer non seulement le gouvernement, mais également les fédérations médicales et le Collège des médecins du Québec. Lorsque le Dr Barrette négociait pour la FMSQ, il ne négociait pas pour la qualité des services à la population en matière de spécialité. Il négociait, comme tout président d'un syndicat doit le faire, pour le bien-être des membres de sa fédération.

Tant et aussi longtemps que le service à la population ne sera pas devenu la priorité non seulement d'un candidat au poste de ministre de la Santé, mais également celle des fédérations médicales, du Collège des médecins et du système de santé québécois, le plan du Dr Barrette demeurera un voeu pieux. C'est d'ailleurs ce manque d'objectif commun qui a empêché tous les ministres de la Santé de résoudre cette problématique d'accessibilité. Et tous ces ministres étaient tout aussi de bonne volonté et convaincus de réussir que ne l'est le Dr Barrette.

Doit-on d'emblée faire confiance au Dr Barrette? Cette décision est strictement politique, mais je ne pense personnellement pas que sa conviction de réussir soit basée sur des éléments suffisamment globaux ou solides pour penser qu'il réussira là où beaucoup d'autres se sont cassé les dents.