J'ai lu la série «Accidents» de Pierre Foglia comme on reçoit un coup de poing dans le ventre. Comme on s'inflige une sorte d'automutilation mentale, aussi, parce que la perspective de tenir un jour un rôle dans une histoire comme celles-là est terrifiante, cauchemardesque. J'en ai perdu le sommeil, et j'ai réfléchi.

Les jeunes irresponsables dont parle Pierre Foglia ne liront pas ses chroniques. De toute façon, si une amende de plusieurs centaines de dollars ne les empêche pas de récidiver dans leur faramineux excès de vitesse la semaine suivante, qu'est-ce qui pourrait apaiser leur folie? Dans un monde où l'on voue un culte à l'automobile, à la grisante vitesse qu'elle nous permet et à cette soi-disant liberté qu'elle nous procure, difficile d'ôter le goût à des jeunes hommes plein de vie d'en profiter. Ils ont grandi en regardant le dessin animé Cars, en rêvant d'assister à un grand prix de Formule 1, en se délectant des poursuites automobiles de leurs films d'actions préférés. Ils ont vu leur père s'enorgueillir de leurs propres voitures, symboles de réussite sociale et d'indépendance. Ils aspirent à cette consécration : le permis à 16 ans, la première auto quelque temps après. C'est, en quelque sorte, un rite de passage.

L'accès facile à l'automobile et son corollaire, l'étalement urbain, ont également fait en sorte que les gens habitent de plus en plus loin de leur lieu de travail, de leur lieu d'étude, voire de leur famille, faisant de la voiture une alliée indispensable du quotidien.

C'est ainsi que le fait de pouvoir conduire une voiture est un privilège qui semble avoir été élevé au rang de droit : le permis de conduire s'obtient plutôt facilement, sans autre engagement que celui de payer son renouvellement avec régularité; les amendes, lorsqu'on a la malchance d'être pris à commettre une infraction, sont timides et de toute évidence bien peu menaçantes. Qui craint une suspension de permis lorsqu'elle est somme toute de courte durée et qu'il semble si facile de continuer à conduire sans trop de risques?

Il y a un autre problème fondamental : les jeunes, spécialement les hommes qui ont entre 16 et 25 ans, ne craignent par les accidents. Les accidents sont pour les autres, bien évidemment (ils sont eux-mêmes en parfait contrôle).

C'est ici pourtant ce concept même d'accident qui est erroné.

L'accident, par définition, est imprévisible et involontaire. Or, lorsque quelqu'un conduit de façon dangereuse, le péril alors engendré n'est pas accidentel: il est volontairement provoqué. Ne croyez-vous pas que, quand un chauffard effectue des dépassements à 180 km/h, une catastrophe est prévisible? Mais le chauffard n'avait pas l'intention provoquer un accident, me direz-vous. Ah non? Il n'a peut-être pas eu l'intention de tuer quelqu'un, mais il a pris des moyens efficaces pour que cela se produise. Je regrette, mais on ne peut pas parler d'accident. C'est comme si quelqu'un jouait à la roulette russe en pointant son arme face à une foule. Ces comportements sont indéfendables. Ils doivent être dénoncés et condamnés de façon juste et exemplaire.

J'ai imaginé quelques mesures simples pour redonner au droit de conduire sa juste valeur et pour tempérer la pensée magique des jeunes de corps ou de coeur.

J'imagine des amendes terrifiantes pour quiconque dépasse de plus de 20 km/h la vitesse permise. Je pense à des suspensions de permis sur de très longues périodes pour ceux qui les dépassent de façon plus radicale, et aussi pour les récidivistes. Je proposerais enfin des révocations inconditionnelles de permis dès qu'il y a récidive de conduite dangereuse impliquant ou non des facultés affaiblies. Peu importe qu'il y ait eu des blessés ou des morts : c'est l'intention irresponsable qui est punie.

En amont, j'imagine des sessions de conscientisation musclées pour tous les nouveaux détenteurs de permis, à grand renfort de statistiques, d'images et de témoignages. Et aussi un serment, un engagement lu en public et à haute voix face à la responsabilité sociale qu'implique la conduite d'un véhicule. Farfelu? Les médecins le font, les nouveaux citoyens le font... il me semble que cela revêt une certaine valeur.

Finalement, plus globalement, je ne peux avoir que des souhaits. Celui que les enfants soient éduqués dans la conscience et le respect des autres, selon ce bon vieux principe qui veut que leur propre liberté s'arrête là où celle des autres commence. Le souhait que l'automobile soit perçue comme ce qu'elle est, soit un moyen de se déplacer et non pas une extension virile de sa propre personne.

Enfin, le souhait que la société cesse d'être gênée de suspendre et de révoquer les permis des chauffards, sous prétexte qu'il est si difficile de vivre sans voiture. En échange ne serait-ce que d'une seule vie, croyez-moi, c'est tout à fait possible.