Lorsque George Cope entre dans une salle, difficile de ne pas le remarquer : un colosse de six pieds sept pouces, dont on ne sera pas surpris d'apprendre qu'il  a été, comme étudiant,  un excellent centre de basketball.  Son arrivée est tout aussi évidente dans le paysage médiatique québécois. Grâce à l'acquisition d'Astral,  Bell devient le chef de file de la radio et dispose maintenant d'une douzaine de chaînes de télévision francophones, spécialisées et payantes. Bell pourra maintenant décliner ce contenu audio et vidéo sur toutes ses plateformes.

Bell a-t-elle besoin d'une chaîne généraliste pour couronner le tout ?  Il s'agirait d'un bel  ajout, mais ça dépend du prix.  Bell vient tout juste de débloquer 3,38 milliards de dollars pour Astral. Selon La Presse, Bell était prêt à payer près de 50 millions pour le réseau V.  Pas une mauvaise offre pour un réseau acheté pour 7 millions en 2008. D'autant plus que ce réseau abrite peut-être un cheval de Troie : les frères Rémillard ont obtenu du CRTC la permission de réduire grandement la programmation locale et de nouvelles de V jusqu'en 2015.  Le CRTC devra alors décider si elle prolonge cette permission.

Que les négociations avec les frères Rémillard reprennent ou pas, l'acquisition d'Astral  donnera beaucoup de travail à Bell qui devra intégrer dans ses rangs l'administration et les effectifs de cette entreprise montréalaise.  V peut attendre.

Le spectre de Provigo

Le siège social de Bell est  à Montréal.  Théoriquement, il s'agit d'une entreprise québécoise qui devient plus puissante. Mais dans les faits, 11 des 14 principaux dirigeants de Bell oeuvrent à Toronto. Les craintes de voir l'actuelle direction d'Astral prendre progressivement le chemin de la métropole ne sont pas sans fondement.

Pourtant, tout transférer à Toronto irait à l'encontre des intérêts de Bell.  L'entreprise est déjà comparée à un gros paquebot qui peine à prendre les virages rapides imposés par les constants changements technologiques. Gérer la direction du Québec à distance ne serait pas sans heurts. L'exemple récent de Provigo nous rappelle ce qui arrive à une entreprise qui  ignore la spécificité du marché québécois.

Lorsque Loblaws a acheté  Provigo en 1998, la chaîne d'alimentation était première au Québec.  Mais l'entreprise ontarienne a réduit les effectifs de son siège social à Montréal et centralisé ses décisions à Toronto.  Si bien qu'il y a maintenant bien peu de différence entre un Loblaws à Kingston et un Provigo à Laval. Résultat : le client québécois et ses goûts distincts a délaissé Provigo pour IGA ou un autre compétiteur.

Quand le propriétaire d'Astral, Ian Greenberg, affirme qu'il ne s'attend pas à des transferts d'emplois de Montréal à Toronto, il se fait rassurant. Mais c'est peut-être dans l'intérêt de Bell d'agir ainsi. L'équipe locale d'Astral a produit des contenus audio et vidéo appréciés des québécois. Le succès des chaînes  Vrak,  Canal D et Canal Vie en télé en témoigne. Pourquoi déraciner une telle expertise ?

Même avec  sa nouvelle puissance, Bell aura des croûtes à manger  pour concurrencer  sérieusement Quebecor, dont la force de frappe est illustrée par le succès tout frais de la série Star Académie. La série a attiré plus de deux millions de spectateurs les soirs de finale et a fait vendre les journaux et les magazines de Quebecor qui en faisaient la promotion. Le CD  mettant en vedette les candidats au concours s'est vendu à plus de 80 000 exemplaires en moins de deux semaines. Les outils de convergence sont là, bien sûr, mais Quebecor a prouvé qu'elle savait les utiliser au bonheur d'un grand nombre de Québécois. Et si c'était l'objectif visé en favorisant Quebecor aux dépens de Rogers pour l'achat de Vidéotron, il faut admettre qu'il a été atteint.

Si Bell choisit de gérer sa division québécoise à partir de Toronto, cette décision se reflètera inévitablement dans ses produits  et l'entreprise en paiera le prix par l'indifférence du consommateur.  On dit de George Cope qu'il  se démarquait au basketball  par ses passes exceptionnelles.  S'il veut connaître du succès au Québec, il devra  passer le ballon à une équipe de direction bien ancrée ici.