Le «Rallye de la raison» a lieu samedi sur le Mall de Washington. Les non-religieux et non-croyants appelleront les athées du pays à sortir du placard, un peu comme les homosexuels l'ont fait, et à réclamer le respect. L'orateur vedette sera le biologiste britannique Richard Dawkins, auteur de The God Delusion (L'illusion de Dieu).  Un concert sera donné par le groupe Bad Religion.

Il faut se réjouir des événements qui veulent permettre à chacun de vivre plus librement ses croyances.  Cela inclut bien sûr ceux qui appuient leur démarche sur la raison plutôt que sur  la Révélation : les agnostiques et les athées, pour qui l'existence d'un Dieu personnel pour les premiers, et celle d'une conscience cosmique pour ces derniers, est exclue. En fait,  les catholiques, dont je suis, sont invités à faire partie de la solution dans ce domaine. «La liberté religieuse a son fondement réel dans la dignité même de la personne humaine» (voir : Concile Vatican liberté religieuse). Il reste que pour plusieurs croyants, l'athéisme reste suspect. Comment peut-on ne pas croire? La raison insulterait-elle la foi? Alors que pour plusieurs agnostiques ou athées, les religions restent suspectes.  Comment peut-on croire à «ça»?  La foi insulterait-elle la raison?

On est forcé de constater que tout humain croit pour vivre. On doit faire confiance à un autre, soit pour une indication de direction dans la rue, ou qu'on mange le plat commandé au restaurant. On ne peut faire autrement que de s'en remettre à l'autre, sans preuve que l'autre dit vrai ou non. Même que la preuve continuelle empêcherait de vivre. Que serait l'amour d'un homme qui ferait suivre sa conjointe pour avoir la preuve de sa fidélité ? Ou la vie de famille si le père cherchait une preuve de paternité pour chaque enfant, plutôt que de s'engager sur la seule parole de la femme et mère[]?

Passons à un autre niveau.  La foi est un « acte de la volonté par lequel on adopte comme vraie une vision du monde qui n'est ni démontrable par la raison, ni évidente» (voir pour réf. : foi et raison) La foi n'est pas une conviction rationnelle, elle est une conviction intime, un  saut dans l'irrationnel. Et la foi religieuse elle, est un engagement, à partir d'un  «pari sur Dieu» (Pascal). Quelle est la relation de la [foi et de l'athéisme avec ce «pari» ?

Celui ou celle qui «croit» considère certaines réalités, et les interprète comme des signes de l'existence de Dieu : peut-être le vaste univers, ou la recherche d'amour au coeur des humains de tous les siècles.  Mais il ne «sait» pas que Dieu existe. Il  fait le pari de la foi.  Le défi suivant devient,  parfois après quelques combats intérieurs, d'arriver aussi  à comprendre que cela ne change pas la «réalité»  extérieure.  Sa foi ne prouve ni que Dieu existe, ni qu'Il n'existe pas.  Un croyant deviendrait rapidement désagréable s'il oubliait la dimension  «foi» et pensait «savoir». Tous ceux qui ne partagent pas sa «foi» deviendraient alors des étrangers égarés, victimes de leurs convictions intimes d'intelligence raisonnable.  Une religion qui prendrait sa «foi» pour du «savoir», pourrait transformer ses «croyants» en «intégristes».

D'un autre côté, celui ou celle qui ne croit pas en Dieu considère certaines réalités et les interprète comme des signes de sa non-existence: peut-être, la souffrance dans le monde, l'irrationnel d'un enfant qui meurt, ou l'univers en évolution selon ses propres lois. Mais il ne «sait» pas que Dieu n'existe pas, il fait le pari de l'athéisme.  Le défi suivant devient,  parfois après quelques combats intérieurs, d'arriver aussi  à comprendre que cela ne change pas la «réalité»  extérieure; cela ne dit ni que Dieu n'existe pas, ni qu'il existe. Sinon, tous ceux qui ne partagent pas son «pari» deviendraient alors des étrangers égarés, victimes de leurs convictions intimes émotionnelles  déraisonnables. Un regroupement  athée qui prendrait son  «pari» pour du «savoir», pourrait contribuer à transformer ses «non-croyants» en «intégristes», ou à faire de l'athéisme une autre religion.

Notre milieu de vie est plus diversifié qu'hier... et moins que demain. Le réflexe sécuritaire, c'est celui de la tortue: rentrer la tête dans ses dogmes (il peut y en avoir dans toutes les démarches), et excommunier l'autre.   Mais on peut choisir de passer du réflexe au choix : faire le pari de l'accueil, au minimum laisser vivre, ou oser la rencontre de l'autre, auprès de qui notre démarche peut se questionner,  s'enrichir, s'ajuster, s'élargir, s'approfondir.

Il me semble que notre  vision du monde, cette conviction intime à chacun, est la démarche libre sur laquelle nous «parions» notre vie.  Elle est le chemin que l'on choisit parce qu'il nous fait vivre.  Elle est le fondement de nos choix, ceux qui nous font devenir celui (celle) que nous sommes vraiment. Les plus grands risques  pour notre conviction intime sont qu'elle soit mise soit au placard, soit au congélateur. Au placard, parce qu'on ne pourrait en vivre librement dans son milieu. Au congélateur, parce qu'on penserait qu'on a  réglé cela une fois pour toute dans le passé. On ne serait alors plus sur un chemin, mais sur un tapis roulant, sur lequel on marche sans avancer.

Souhaitons donc la bienvenue à tous ceux, croyants et athées, qui sortiront respectueusement du placard ; et saluons ceux qui sont, ou  qui se remettront, en route.