Dimanche prochain, les Haïtiens et les Ivoiriens se rendent aux urnes afin d'élire leur président. Les deux événements ont une signification particulière pour chaque pays: ils marquent un moment clé dans leur évolution au sortir d'une crise humanitaire dans un cas, et politique dans l'autre. Si les scrutins se valent, celui de la Côte d'Ivoire recèle un potentiel de violence dont les conséquences pourraient être dramatiques.

Si le public d'ici est inondé d'informations et de reportages sur Haïti, ce n'est pas le cas pour la Côte d'Ivoire. Et pourtant, l'ancienne colonie française est plongée depuis plus de 10 ans dans une crise politique sans précédent dans son histoire. Le pays a été longtemps cité en exemple comme un modèle de stabilité politique, de développement économique et d'harmonie ethnique. Abidjan, la capitale, était surnommée la New York de l'Afrique de l'Ouest. Pourtant, à la mort de son président Félix Houphouët-Boigny, en 1993, tout a commencé à se déliter. L'héritage de l'ancien président s'est révélé fragile, et la manipulation par une partie de la classe politique du concept d'ivoirité afin de définir la nationalité des citoyens a provoqué l'éclatement du pays. Des politiciens ont été exclus des élections, car ils n'étaient pas suffisamment «ivoiriens», une rébellion en 2002 dans le Nord a scindé le pays en deux provoquant la mort de centaines de personnes et l'intervention d'une force de maintien de la paix de l'ONU.

D'autres causes expliquent aussi les troubles violents qui ont secoué la Côte d'Ivoire - le rôle de la France, par exemple, ou la crise économique - jusqu'à tout récemment. Pour autant, la Côte d'Ivoire a retrouvé le chemin de la paix et de la croissance économique. Il lui reste à atteindre l'étape de la stabilité politique. L'élection de dimanche sera à cet égard un marqueur. Elle révélera si la classe politique a atteint la maturité nécessaire afin d'accepter les résultats avec sérénité, et confirmera de ce fait si les Ivoiriens dans leur ensemble sont prêts à tourner la page de la suspicion ethnique.

Les signaux actuels sont contradictoires. De l'avis de tous, le premier tour de la présidentielle, le 31 octobre, s'est déroulé dans les meilleures conditions. Les Ivoiriens ont voté en masse pour la première fois en 10 ans. Et la surprise était au rendez-vous: malgré les moyens dont il disposait, le président sortant Laurent Gbagbo n'a pas gagné, comme certains l'avaient prédit. Avec 38% des voix, il est arrivé premier, immédiatement suivi par ses rivaux, Alassane Ouattara et Henri Konan Bédié.

Pour le second tour, Gbagbo et Ouattara se font face alors que Bédié, éliminé, a appelé ses électeurs à voter Ouattara. Sur papier, celui-ci devrait donc gagner, mais la partie est loin d'être jouée. Dans plusieurs régions du pays, les deux candidats ont réussi à dépasser les clivages ethniques et religieux et à attirer des votes en dehors de leur base traditionnelle. Mais, comme on l'entend parfois, un chrétien (environ 65% de la population) va-t-il voter pour un musulman (Ouattara)?

Le résultat de la présidentielle peut déboucher sur plusieurs scénarios. Il y a le pire, un nouveau Rwanda, avec son cortège de massacres et d'horreur. Ce scénario semble exclu, tant les situations sont différentes. Puis, il y a le statu quo, c'est-à-dire une contestation des résultats menant à une paralysie politique sans pour autant déboucher sur des violences. On repart à zéro. Enfin, divine surprise, après la mauvaise humeur passée et les postures agressives épuisées, le vaincu se range et le vainqueur tend la main. C'est possible.

La présidentielle ne réglera pas les problèmes profonds et structurels auxquels la Côte d'Ivoire se heurte depuis une vingtaine d'années. Son dénouement pacifique permettrait toutefois de faire redémarrer ce puissant moteur économique dont l'Afrique de l'Ouest a bien besoin. Elle permettrait aussi de redonner un formidable espoir à la paix dans toute la région et dans toute l'Afrique.