Le paradoxe de l'élection actuelle au fédéral est qu'on y discute de beaucoup d'aspects, qui ont chacun leur importance, mais sans jamais aborder l'enjeu pourtant principal qui est le leadership. Est-ce qu'on veut encore de Stephen Harper comme premier ministre? Cela résume l'essentiel de la confrontation. On a fait tomber son gouvernement pour cette raison.

À ce niveau, M. Harper part pourtant gagnant. De fait, il a des qualités particulières. Il est le plus décidé des chefs en présence, le plus consistant, et le plus cohérent. Cependant il a aussi des faiblesses. Près de la moitié de la population craint en effet une majorité conservatrice. Pas parce qu'il est un autocrate qui contrôle tout et qui se fiche des règles parlementaires, mais parce qu'il cacherait un agenda ultraconservateur venu de son passé de réformiste radical. L'homme de la rue pense qu'il  n'hésiterait pas à le mettre en marche s'il était élu  majoritaire. M. Harper a donc manqué de finesse dans le camouflage de cet agenda radical.

Michael Ignatieff n'a tout simplement pas l'image d'un premier ministre canadien normal. De fait, la majorité des Canadiens élit des leaders pragmatiques en général. Un intellectuel, un peu dilettante comme lui manque donc de caractère. Il souffre un peu du problème qu'avait Robert Stanfield face à Pierre Trudeau. Plein de solutions intelligentes mais incapable de s'imposer comme l'homme de la situation. Pire encore, une fois élu, Trudeau lui volait ses idées!

Jack Layton semble aborder un tournant nouveau un peu à la Tony Blair en annonçant qu'il «sera premier ministre». Il se démarque ainsi du rôle traditionnel du NPD qui a toujours été d'être la bonne conscience de la politique canadienne sans chercher à atteindre le pouvoir. Mais pour le moment son idée de premier ministre n'est qu'un slogan. Il faudrait en effet qu'il explique ce que serait une administration Layton. Pourrait-il concilier justice sociale et économie? Aurait-il un style semi-présidentiel comme le veut la mode ou s'en tiendrait-il à un régime de cabinet traditionnel? Serait-il un communicateur populaire ou contrôlerait-il les communications comme le fait M. Harper? Il faudrait savoir éventuellement.

Les deux autres chefs, Gilles Duceppe et Elizabeth May, sont respectables mais ne sont pas des prétendants au poste de premier ministre.

En somme, les trois chefs éligibles au poste de premier ministre ont chacun des faiblesses de nature à déligitimer leur administration éventuelle. Se contenter de faire des promesses dans ce contexte ne répond pas à la question. Ils devraient plutôt parler de leur leadership.