Le traitement réservé à Québec solidaire en cette fin d'année est révélateur de l'enfermement idéologique dans lequel baigne notre société. Son programme n'est pourtant pas plus radical que celui du Parti québécois à ses débuts. Il ne remet pas en cause le marché, ni l'existence des classes sociales : il ne désire qu'une distribution plus juste de la richesse par le biais du jeu parlementaire, de l'État et de la loi. Pourtant, la droite québécoise affirme sans rougir que QS est un parti d' « ultragauche » en « opposition radicale à la démocratie occidentale et à la civilisation » (Mathieu Bock-Côté), qu'Amir Khadir est un « radical fanatique » (Lysiane Gagnon) et qu'il met de l'avant un « agenda islamique (sic) caché » (Éric Duhaime).

Ces tenants de la « liberté » se rendent-ils comptent que ce sont eux qui s'en prennent aux droits démocratiques les plus élémentaires en tenant en tel discours ? Quel genre de démocratie considère que le boycottage est un mode d'action « extrémiste » et que la social-démocratie est non conforme avec la civilisation ? Sont-ils seulement conscients que leurs propos ne font que trahir leur propre extrémisme?

Afin de projeter une image du réel conforme à ses croyances, - et c'est ce qu'elle a fait cette année sur toutes les tribunes de la province - la droite se doit de donner à l'expérience humaine une image fausse, inversée. Ce reflet mystificateur est indispensable à la perpétuation du statu quo économique et politique. Sans ce voile, sans ce que Luc Boltanski appelle « l'Esprit du capitalisme », la droite se révélerait directement comme la représentante des riches et des puissants. Cette position, bien entendu, ne serait pas tenable.

Seul ce renversement mensonger, et sa réception positive dans la population, peut lui permettre d'asseoir sa légitimité. Ce discours inverse les rapports de force qui animent l'expérience humaine. C'est ainsi seulement que la droite peut affirmer qu'il est grand temps que le Québec « sépare l'État de la mosquée » (Éric Duhaime), que les « grands médias capitalistes » sont « a priori sympathiques à la cause anticapitaliste » (Mario Roy) et que le Conseil du patronat n'est pas « de droite » (Johanne Marcotte). C'est également à ce prix qu'on fait d'Israël et des États-Unis des victimes de ceux qui en critiquent la puissance.

Notre univers politique, comme dirait Herbert Marcuse, se referme sur lui-même. Il est clos. En dialogue avec elle même, la droite ne fait que répondre à l'écho de sa propre mystification. Personne dans l'espace public ne lui donne la réplique, sinon elle-même. C'est cet enfermement qui explique que les plus éminents porte-paroles de la droite économique et morale (Bouchard, Facal, Brassard) puissent affirmer que le PQ est trop à gauche alors qu'ils en ont tenu la direction pendant de longues années; c'est seulement dans cet univers, comme ce fut le cas en octobre dernier, qu'on peut faire grand cas de sondage à propos d'un parti de droite qui n'existe pas; et c'est encore grâce à lui que la droite radicale a pu affirmer sur toutes les tribunes de la province qu'elle n'était pas entendue.

Loin d'assister à la fin des idéologies, nous sommes plutôt les témoins du triomphe absolu de la droite morale et économique. Sous les fausses apparences du spectacle démocratique se consolident différentes techniques d'aménagement permettant à la Loi divine, celle de l'accumulation de richesse, de proliférer. Plus personne dans l'espace public ne peut remettre en question les croyances qui donnent forme à la société marchande. Du centre-gauche à l'extrême-droite, des patrons aux grandes centrales syndicales, toute pensée respectable se doit d'être en accord avec l'« irrationnelle-rationalité » du processus d'accumulation capitaliste, qui n'est rien d'autre qu'un vaste mouvement infini vers le vide et la destruction.