La rumeur enflait depuis quelque temps : les journaux de Groupe Capitales Médias vont très, très mal. Mercredi, Bernard Drainville a avancé au 98,5 FM qu’ils allaient si mal qu’ils n’avaient peut-être pas assez de liquidités pour finir le mois.

D’où cette demande d’aide gouvernementale d’urgence. D’où ces discussions d’achat par Québecor.

Si on est pour aider les journaux, il faut le faire de manière ordonnée. Et avec des critères justes et reconnus. Jusqu’ici, on a vu surtout des mesures à la pièce. Pourquoi, sous les libéraux, des prêts aux journaux de Capitales Médias et au Devoir, mais pas aux journaux de Québecor ? Pourquoi un comité à Ottawa a-t-il conclu que seule La Presse, en tant qu’OBNL, pourrait délivrer des reçus pour fins d’impôt ? Pourquoi Le Devoir ne le pourrait-il pas ?

Il faut que l’aide gouvernementale, peu importe d’où elle vient, repose sur des critères suffisamment consensuels pour ne pas même donner l’impression de favoritisme et d’être redessinée au gré des élections.

On entre dans un nouveau territoire extrêmement délicat. Déjà, on a vu les conservateurs attaquer la décision du gouvernement Trudeau d’aider les journaux (595 millions sur cinq ans annoncés, mais pas encore versés) comme une manière d’acheter leur complaisance. Ça n’a évidemment pas de sens de laisser planer ce genre de doute.

Dans le cas de Capitales Médias, si vraiment le groupe est sur le point de couler, le gouvernement Legault n’aura pas le temps de dessiner un programme cohérent de soutien. Il devra lui donner de quoi survivre et, au terme des consultations qui commencent dans deux semaines, structurer une réponse pour toute la presse écrite.

C’est loin d’être simple. Et cette discussion autour de l’argent devrait en provoquer une deuxième : quel est l’avenir du Conseil de presse du Québec ?

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Le Conseil de presse n’est pas un vrai conseil de discipline. Les journalistes ne forment pas un « ordre professionnel » comme les dentistes, les notaires ou les arpenteurs-géomètres. Le Conseil de presse ne peut donc pas mettre à l’amende ou radier un journaliste. Ce n’est qu’un « tribunal d’honneur » financé par des médias et le gouvernement qui reçoit les plaintes du public au sujet d’articles publiés au Québec. Il donne un blâme s’il constate une faute déontologique ou rejette la plainte s’il n’en trouve pas.

L’organisme a été critiqué maintes fois au fil des ans, sa jurisprudence n’est pas toujours cohérente, etc. Mais, du moins, il existe.

Depuis longtemps déjà, Québecor s’est retirée du Conseil de presse. Elle s’estime traitée injustement et conteste la compétence du Conseil pour examiner les plaintes déposées contre ses journalistes, vu qu’elle n’en fait plus partie. L’an dernier, Québecor a même déposé en Cour supérieure une poursuite contre le Conseil de presse pour lui interdire d’examiner ses dossiers et lui réclamer une compensation. Pour un organisme aussi fragile que le Conseil, c’est évidemment une menace à son existence même, surtout si les dommages-intérêts réclamés sont accordés.

On jugera comme on voudra la position de Québecor. Bien des journalistes d’autres médias sont tout aussi critiques envers le Conseil.

Il n’en reste pas moins que, le jour où le gouvernement du Québec décidera de soutenir financièrement les journaux, au nom de la survie du débat démocratique, il ne sera pas déraisonnable d’exiger le respect de certaines normes déontologiques communes et reconnues.

Les journalistes sont depuis toujours réfractaires à une quelconque mainmise de l’État sur leur statut. Et c’est justement pour cela que ce tribunal d’honneur a été mis sur pied. Pour montrer un souci d’autorégulation et de discipline.

Ne nous laissons pas distraire par les insultes lancées au niveau « corporatif » entre les différents médias. Il y a des normes professionnelles reconnues dans ce métier que partagent tous les journalistes, de Québecor comme des hebdos, des radios privées comme de Radio-Canada.

Il me semble aller de soi que tous les éventuels bénéficiaires de l’État acceptent de soumettre leurs artisans à une instance disciplinaire comme le Conseil de presse.

Après tout, l’aide financière exceptionnelle viserait à faire vivre le journalisme, pas des entreprises.

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Pour ce qui est des journaux de Capitales Médias, si jamais Québecor met la main dessus, de nombreuses questions seront soulevées. Vrai, avant d’appartenir à Martin Cauchon, ils faisaient partie du même groupe que La Presse. Il y avait donc une forme de concentration.

Mais Québecor a déjà une situation dominante à Québec avec Le Journal de Québec. Et dans tous les marchés régionaux, Le Journal de Montréal ou Le Journal de Québec est déjà le concurrent naturel des cinq autres journaux. Sans parler bien entendu des médias électroniques de Québecor.

Quel serait l’avenir véritable de l’information régionale dans ce contexte, et en quoi aurait-on l’assurance d’une survie de la diversité des voix ?

Sauf que, si personne n’en veut, on n’ira pas blâmer Québecor de les récupérer…