La faute à Trump ? Je pose la question pour la forme. Mais ça ne changera rien. Il est trop tard. Que le président des États-Unis soit la cause ou l’effet de ce mouvement de haine meurtrière, il va continuer avec ou sans lui. Voilà l’évidente et triste situation pour les années qui viennent. En tout cas, rien ne me permet de penser qu’une autre présidence y changera quoi que ce soit pour l’avenir prévisible. Et n’allons pas croire que nous en sommes épargnés.

Mais posons la question quand même…

Difficile de ne pas faire le lien entre le discours anti-mexicain de Donald Trump et le massacre d’El Paso. La ville-frontière est aussi une ville-symbole : majoritairement latino, point de passage, et pourtant, à l’échelle américaine, une des villes les plus paisibles.

Si le tueur de la région de Dallas a traversé tout le Texas (plus ou moins 1000 km) pour aboutir dans ce Walmart, c’est qu’il avait un plan, une cible. Il l’a exprimé dans son « manifeste ». Il y est question d’une vengeance face à « l’invasion hispanique du Texas ».

Des mots qui résonnent comme un écho aux tweets de Trump. À plusieurs reprises, le président américain a parlé d’une « invasion » de réfugiés mexicains. « C’est une invasion de notre pays et notre armée vous attend ! » écrivait-il l’an dernier au moment où la « caravane » de Latino-Américains s’approchait de la frontière américaine.

Plusieurs personnes impliquées dans des complots de crimes haineux ont cité Trump ou paraphrasé ses paroles ces dernières années.

Jusqu’à quel point est-il complice moral de crimes haineux comme ceux d’El Paso ?

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Bien avant cette présidence, les attentats néonazis ont fait des dizaines de morts aux États-Unis. Sous Barack Obama, pour ne citer que quelques exemples, un suprémaciste blanc est entré dans un temple sikh et y a assassiné six personnes en 2012. Un ancien membre du KKK, en 2014, a tué trois personnes dans un centre communautaire juif en criant « Heil Hitler ». Un policier noir a été tué au Musée de l’Holocauste à Washington en 2009. Neuf Afro-Américains ont été abattus en 2015 dans une église. Tout ça, bien avant Trump.

En même temps, le terrorisme islamiste a fait plus de victimes aux États-Unis sous Obama que sous Trump. Faut-il en féliciter Donald Trump ? Pas vraiment.

Il faut se méfier des apparences de liens de cause à effet…

Donald Trump n’a pas créé une nouvelle mouvance politique. Cette droite populiste nationaliste vaguement ou totalement parano mijotait bien avant lui.

Cette frange qui se méfie des institutions – y compris des services de renseignements, de l’armée et de tout ce qui représente l’État. Qui a l’impression d’être envahie. Engloutie par les étrangers. Que le système, le Système avec un grand S, est pourri. Que des élites de gauche mènent le pays, la civilisation à sa perte.

Trump n’a rien inventé de tout ça. Il est le fruit de cette sous-culture politique du ressentiment.

Ce qui est nouveau, ce qui est grave, c’est qu’il l’a rendue officielle, acceptable, institutionnelle. Il en est le légitimateur. L’accélérateur. Et le profiteur.

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Il y a eu des tueries avant Trump et il y en aura après. On ne pourra jamais prouver que le tueur d’El Paso est un enfant de cette présidence. Bien des réseaux relaient cette peur des immigrants depuis bien avant 2016.

Ce qu’on peut voir, par contre, c’est combien elle a de relais puissants, de médiateurs dans la société américaine. Dans la société américaine ? Chez nous aussi. L’attentat de la mosquée de Québec est issu de cette exacte mouvance-là.

Alors à la fin, je trouve presque trop rassurant, trop commode de dire : voilà, c’est ce que Trump a créé. Ça nous évite de voir tout le travail à faire.

Même si, bien évidemment, il n’aura jamais les mots pour tenter de contrer la haine, ni même de consoler une nation. S’il avait les mots, sa façon d’éructer leur ferait dire le contraire. Y a rien à faire.

Même si, tout aussi évidemment, il n’essaiera même pas de limiter un tant soit peu la vente d’armes militaires « légales ». Plusieurs le notaient hier : si deux accidents d’avion avaient causé autant de victimes en 24 heures, des mesures seraient prises, des règlements demandés, des changements imposés… Mais puisqu’il s’agit de morts par armes à feu, que voulez-vous, y a rien à faire…

Non, je parle ici de l’affirmation de ce nationalisme blanc. Il est là pour longtemps. Il a le vent en poupe. Avec ou sans son président.