Ce n’est pas « une personne », mais « un système » qui a flanché.

Ainsi commence le communiqué qu’on nous a remis mercredi. Un communiqué qui résume un rapport interne sur les circonstances entourant la mort de la fillette de Granby, le 30 avril.

Je dis « résume », mais ce n’est pas d’un résumé qu’il s’agit. C’est un condensé d’extraits de résumés. Accompagné de 14 recommandations. Le rapport, rédigé somme toute rapidement si l’on tient compte que 19 experts y ont pris part, ne nous est pas accessible. Il faudra attendre l’enquête publique pour comprendre ce qui s’est passé.

Ce n’est pas une personne, c’est un système, donc.

Sans doute. Même quand c’est « une personne », ce n’est jamais vraiment une personne.

Dans un système, il y a des contrôles, de la surveillance, des suivis. Pour que, justement, un train ne puisse pas dérailler du seul fait d’une défaillance humaine.

Hier, donc, le ministre Lionel Carmant a promis un réinvestissement d’argent dans ce système, pour embaucher plus de gens à la Protection de la jeunesse, sous pression intense, croissante.

Ça répond à la 14recommandation : « Attirer et retenir le personnel. » C’est un métier si difficile, dont on ne parle que lorsqu’un train déraille et que quelqu’un meurt. Et de toute évidence, les gens de la DPJ n’ont pas été assez soutenus. Les listes d’attente pour des enfants négligés sont trop longues depuis trop longtemps.

Voilà donc 47 millions pour améliorer tout ça.

Mais dans ce cas précis, est-ce vraiment ce qui a entraîné la mort de cette enfant ?

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Voyons les deux premières recommandations de ce rapport qu’on ne peut pas lire.

Premièrement, il faut « s’assurer que les intervenants se rendent dans le milieu de vie des enfants le plus souvent possible ».

Pourquoi pensez-vous qu’on a mis tout en haut de la liste cette recommandation ?

Parce que, très évidemment, quiconque serait entré dans cette maison aurait compris que cette fillette était, sinon en danger mortel, du moins victime d’une grave négligence. Je rappelle que la belle-mère est maintenant accusée de meurtre au second degré (non prémédité) et le père de négligence criminelle causant la mort.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Des centaines de personnes ont assisté, le 9 mai, aux funérailles de la fillette de 7 ans morte le 30 avril à Granby à la suite de mauvais traitements.

On me dira : il manquait de ressources pour faire les visites.

À cela, je réponds que s’il reste un seul intervenant à la DPJ, c’est dans ce genre de foyer qu’il faut impérativement faire des visites. Je veux dire : un foyer malsain, insalubre, où vivent quatre chiens, où la violence règne et où le père, toxicomane, a lui-même déjà été officiellement violent envers l’enfant.

Bref, au sujet des visites, je veux bien qu’on ne montre personne du doigt, mais je n’accepte pas qu’on nous dise qu’il était impossible de visiter cet endroit.

On n’ira pas diluer à ce point la responsabilité de cette chose anonyme qu’on appelle « un système ».

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Deuxième recommandation, peut-être encore plus fondamentale : « Garantir la planification d’une vie future stable pour les enfants de 0 à 5 ans retirés de leur milieu familial. »

En français, ça veut dire que la vie de cette pauvre enfant n’aurait jamais dû être garrochée à ce père. La mère, le dossier le montre clairement, était incompétente. Mais à la naissance, c’est la grand-mère qui en avait la responsabilité. Ce n’était pas parfait, loin de là, mais évidemment, c’était mieux que le milieu éclaté et violent où un juge l’a placée.

On en revient à ce que j’ai appelé la loi du sang. Cette tendance atavique à penser qu’un enfant est toujours mieux lorsqu’il vit avec ceux qui lui ont donné le plus d’ADN.

Je n’essaie pas d’accabler la DPJ. Souvent, c’est le tribunal qui hésite à couper les ponts avec les parents biologiques, même quand ils ont fait preuve d’une incompétence grave. Les cas ne sont pas simples non plus. On n’a pas assez d’informations dans ce cas pour se former une opinion sur ce qui a flanché.

Mais ces 19 experts nous disent cette évidence : personne n’a fait un vrai plan de vie stable, ou plutôt personne ne l’a garanti.

Pour le garantir, ou du moins pour mettre les chances minimales du côté de l’enfant, il aurait fallu écarter pour toujours ces parents immatures et officiellement incompétents, violents.

Ça, c’est l’essentiel. Le reste, améliorer la coordination, les communications, les liens entre les médecins, les travailleurs sociaux et l’école, tout ça est très bien. Plus de personnel, mieux traité, mis en valeur, sans doute. Évidemment.

Mais commençons par le commencement. Même quand le système est comprimé, mal financé, sous trop grande pression, il y a ces deux choses.

Un : faire un plan stable pour l’enfant, l’envoyer chez des gens qui l’aimeront, en prendront soin.

Ça n’a pas été fait.

Deux : quand on sait que l’enfant s’en va chez des parents incompétents (parce qu’on le savait) qui prétendent s’être « repris en main », le strict minimum, c’est de les visiter, de les surveiller, de les encadrer.

Ça n’a pas été fait.

On aura beau diluer la responsabilité fatale des individus jusqu’à ce qu’on ne voie plus clair, il restera ces deux évidences.