Les actions collectives existent depuis 40 ans au Québec et il est plus que temps d’aller faire le ménage dans ce foutoir judiciaire.

Ce qui au départ était une mesure de droit social est en train de déraper bien souvent en une sorte de casino pour avocats en mal de dossiers.

Rappelons d’abord de quoi il s’agit. C’est une invention américaine qui permet de regrouper des dossiers.

Pourquoi ? Pour plusieurs raisons. Pour éviter la multiplication des actions sur un même sujet. Pour permettre à des gens qui n’en auraient pas les moyens d’obtenir une compensation pour un tort qui leur a été fait, en se regroupant. Pour obtenir une condamnation contre une société ou un individu pour une faute qui, pour une personne, ne vaut presque rien, mais qui, pour 1 million de consommateurs, devient importante.

Le cas classique, c’est celui du sang contaminé. Des milliers de personnes ont été infectées par des transfusions sanguines au Canada. Au lieu de faire 5000 ou 50 000 procès, une action collective a été entreprise, qui a permis une indemnisation importante pour chaque victime.

Mais à côté de ça, combien de niaiseries judiciaires ?

***

En principe, comme c’est un processus très particulier, il faut d’abord passer l’étape de l’autorisation. Un juge vérifie si l’action satisfait aux critères. Si oui, hop, on passe à l’étape du procès proprement dit.

Jusqu’ici, tout va bien.

Le hic, c’est que pour certains avocats, c’est devenu un business.

Certains épluchent les journaux pour trouver un cas de malversation ou de faute par une multinationale, une banque, un organisme du gouvernement – bref, quelqu’un ayant de l’argent. Et vite, ils trouvent une « victime » qui sera la « représentante » du groupe. Et ils courent au palais de justice le plus près pour enregistrer sa procédure.

Car en matière d’action collective, c’est premier arrivé, premier servi…

Dans une cause de 2017 (Versant Charlevoix), devant le juge Pierre Bellavance, un pauvre représentant bidon s’est fait traiter de « marionnette » de l’avocat. L’homme a admis s’être fait approcher par un avocat et avoir simplement signé des papiers dans cette cause au sujet de laquelle il n’avait aucune information. Il alléguait tout de même des stratagèmes malhonnêtes contre une firme de location immobilière, sans la moindre preuve.

***

De là à dire que les actions collectives servent surtout à faire vivre des avocats, il n’y a qu’un pas, que certains juges exaspérés décident de plus en plus de franchir.

La juge Claudine Roy, en 2017, n’a pas caché son indignation dans une affaire de frais illégaux contre des banques. Les banques facturaient des frais pour avances de fonds que la loi n’autorisait pas.

Grâce à ce combat judiciaire héroïque, les clients des banques ont eu droit à un rabais de… 4,17 $.

Le cabinet Sylvestre Fafard Painchaud était sur le point d’obtenir un total de 15 millions pour avoir entrepris et réglé cette action.

Pardon ??

« Les tribunaux doivent être vigilants pour éviter que l’action collective ne devienne qu’une source d’enrichissement pour les avocats en demande et une source de financement pour des organisations sans but lucratif », écrit la juge en rejetant le projet de règlement à l’amiable.

Parce que c’est l’autre aspect gênant des actions collectives : il y a toujours un peu d’argent pour l’organisme à but non lucratif qui lance l’action. Tous se retrouvent donc dans une sorte de conflit d’intérêts : la firme d’avocats n’est-elle pas pressée de toucher son pactole, comme l’organisme ? Et puis, le consommateur, qu’il touche 3,50 $ pour une interruption de service de transport ou 5,65 $…

Ce dossier de 2017 n’était qu’un des multiples dossiers contre des banques pour la même faute.

« Le Tribunal ne s’explique pas pourquoi près d’un million de dollars serait distribué à des organismes sans but lucratif alors que les membres connus n’obtiennent qu’une compensation infime pour les frais payés. Telle n’est pas la raison d’être de l’action collective. Avant tout, les actions collectives visent à compenser les membres pour un préjudice subi ou pour le non-respect d’une législation », écrit la juge Roy.

Les cabinets d’avocats arguent qu’ils investissent des heures et des heures dans ces dossiers, sans en connaître l’issue. C’est parfois vrai.

Mais il y en a qui charrient légèrement, comme le constate la juge Roy : « Si le Tribunal calculait 7744 heures à un taux moyen de 300 $ l’heure (aux fins d’illustration seulement), les honoraires s’élèveraient à 2 323 200 $. Les 15 337 500 $ que réclament Sylvestre Fafard Painchaud équivaudraient à un facteur multiplicateur de 6,6 (près de 2000 $ de l’heure), alors que la jurisprudence québécoise utilise plutôt un facteur multiplicateur variant entre 2 et 2,5. »

De véritables champions de la multiplication, ces SFP…

La décision a été confirmée en appel l’an dernier.

***

Y a-t-il vraiment du gingembre dans le ginger ale ?

La question est excellente, me touche personnellement et mérite un examen ! Je veux savoir !

Mais faut-il vraiment une « action collective » pour en décider ?

C’est un autre problème de ces actions : la privatisation de la protection du consommateur.

N’est-ce pas plutôt à un organisme gouvernemental de poursuivre et faire condamner ceux qui fixent les prix, ceux qui trompent le public, ceux qui vendent de la camelote ? 

Pourquoi le système encouragerait-il les actions privées, au profit d’avocats, plutôt qu’une poursuite du Procureur général, avec amende à la clé qui irait au Fonds consolidé et financerait la surveillance ?

***

Tout ça ne veut pas dire que l’action collective doit être bannie. Mais on en a détourné le sens premier trop souvent. Ce n’était pas censé être un business. Ce n’était pas censé être aussi facile.

En ce moment, beaucoup trop de ressources judiciaires sont consacrées à ces dossiers qui socialement ne sont pas si significatifs. Les statistiques du juge en chef (35 juges à temps plein, dont 10 seulement pour les autorisations !) sont ahurissantes. Pendant ce temps, des citoyens poireautent en attendant un procès pour un sujet beaucoup plus pressant (familial, erreur médicale, congédiement illégal, responsabilité civile, etc.).

Il est plus que temps de resserrer les critères de ces actions pour leur rendre leur pertinence d’origine.