Une fillette est morte à Granby il y a quelques semaines à peine. Mais le débat continue devant les juges : à quel prix maintenir un enfant dans sa famille biologique ?

Et malheureusement, la vieille loi du sang ne veut pas mourir.

Voici un nouveau jugement de la Beauce qui illustre parfaitement le débat.

Un bébé de 2 mois négligé par des parents toxicomanes. Puis battu sévèrement, au point d’avoir six fractures. Ils ont admis leur maltraitance. La mère a été condamnée à 22 mois de prison, le père à 29.

Nous sommes deux ans plus tard. L’enfant a maintenant deux ans et demi. Depuis l’arrestation des parents, il vit dans une famille d’accueil. Ses parents n’ont eu aucun contact avec lui. Ce sont donc pour lui de purs étrangers.

Mais on débat encore devant les tribunaux de l’opportunité de laisser les parents avoir des « contacts supervisés ». Les parents ont suivi thérapies et formations et on n’est pas surpris de savoir qu’ils voudraient revoir, puis « ravoir » leur bébé.

Heureusement, le juge Alain Michaud vient d’interdire totalement ces contacts.

L’affaire est intéressante parce qu’elle résume en quelques pages les deux écoles judiciaires : d’un côté, l’irrésistible volonté de préserver les liens biologiques ; de l’autre, la nécessité de privilégier l’attachement de l’enfant. C’est le courant plus récent, majoritaire heureusement.

Cette tension est inscrite dans la Loi sur la protection de la jeunesse.

« Toute décision prise en vertu de la présente loi doit tendre à maintenir l’enfant dans son milieu familial », lit-on à l’article 4.

Mais, par-dessus tout, « les décisions prises en vertu de la présente loi doivent l’être dans l’intérêt de l’enfant », lit-on à l’article 3.

Encore faut-il se demander ce qu’est l’intérêt de l’enfant. Selon une conception antique, l’enfant sera toujours mieux avec ses « vrais » parents. Ou, du moins, on doit toujours leur donner une autre chance de reconstituer cette famille théorique. C’est donc une fausse contradiction. C’est toujours l’intérêt de l’enfant qui doit primer.

Parmi les deux ou trois choses que la psychologie nous a apprises, il y a ceci : un nourrisson n’a pas 50 chances de s’attacher à des adultes.

Dans un cas aussi évident que celui-ci, les « vrais » parents sont ceux auxquels l’enfant est attaché. C’est la famille d’accueil. Ceux qui s’en occupent, qui l’aiment, qui l’éduquent.

Pourquoi imposer à cet enfant des contacts qui vont le perturber, le mêler, le troubler ?

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Dans cette affaire, personne ne songeait à remettre l’enfant dans son milieu d’origine violent, dysfonctionnel, négligent au maximum.

N’empêche, la juge Nathalie Lavoie, de la Chambre de la jeunesse, avait tenu à instaurer des visites supervisées tous les trois mois.

Pourquoi ? Pour « maintenir minimalement l’existence, pour l’enfant, de sa famille biologique ».

Une première juge du même tribunal avait interdit ces contacts. Mais les efforts des parents ont apparemment convaincu la juge Lavoie d’ouvrir cette petite porte.

Pourtant, malgré leurs démarches, les rapports d’évaluation psychosociaux ne sont pas rassurants du tout. Le père, qui a pourtant reconnu sa culpabilité devant la cour criminelle, nie sa responsabilité, dit que les blessures graves de l’enfant sont le résultat d’un accident, se montre insensible. La mère se dit tiraillée entre son enfant et le père, avec qui elle semble vouloir reprendre.

Il n’y a en fait aucune raison objective pour permettre ces contacts, et c’est pourquoi cette décision a été cassée en Cour supérieure par le juge Michaud.

Il faut que des contacts aient un but, il faut qu’ils soient bénéfiques pour l’enfant, rappelle le juge Michaud. Les risques sont beaucoup trop grands, et c’est l’enfant qui encaisserait toutes les conséquences.

On peut deviner facilement que ces contacts seraient néfastes : l’enfant a des contacts supervisés avec ses grands-parents biologiques toutes les six semaines. Il en revient chaque fois perturbé et met plusieurs jours à s’en remettre. Le juge Michaud a d’ailleurs décidé d’annuler ces contacts également.

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Quel est donc le but de « maintenir minimalement l’existence, pour l’enfant, de la famille biologique » ? Cette famille n’existe plus. À partir du moment où les parents se sont montrés aussi cruellement inaptes, violents et négligents, ces gens-là ont cessé d’être ses parents.

L’enfant s’est attaché à sa famille d’accueil. Pourquoi faudrait-il le déchirer en lui faisant voir tous les 90 jours de purs inconnus ? J’ai déjà raconté l’histoire d’une mère de famille d’accueil d’un bébé soumise à ces visites insensées qui ne font que du mal. Des exemples semblables, il y en a des centaines.

Pourquoi ?

Parce que cette vieille mentalité traîne encore. Parce que certains juges, hélas, ont encore de la difficulté à saisir toute la portée de la notion d’attachement. Parce qu’ils veulent donner une autre dernière chance à des gens qui ne devraient pas en avoir.

Pourtant, même si par impossible les parents biologiques devenaient « parfaits », après deux ans et demi… il est trop tard ! Cet enfant sera pour toujours celui des parents d’accueil. Faire subsister la simple possibilité de le renvoyer chez ses agresseurs n’a pas de sens.

Heureusement, ces contacts n’ont pas eu lieu et n’auront pas lieu.

Mais tristement, il a fallu un juge de la Cour supérieure pour venir dire cette évidence à une juge d’un tribunal pourtant spécialisé, qui devrait mieux que quiconque comprendre ce que « l’intérêt de l’enfant » veut dire. Une évidence bien inscrite dans la jurisprudence.

Il y a probablement en chacun de nous un vieux réflexe anthropologique qui répugne à « séparer » un enfant de ses « vrais » parents.

On peut s’en guérir, je crois, en se mettant dans la peau de ce bébé à qui on ne demande pas son avis…