Radio-Canada a nommé la sexologue Manon Bergeron «scientifique de l'année» et plusieurs ont applaudi: c'est la première fois en 30 ans qu'une chercheuse issue des sciences humaines reçoit cet hommage.

La prof Bergeron a fait parler d'elle pour une étude sur les violences sexuelles en milieu universitaire qui a fait grand bruit dans les médias.

«L'université, terreau fertile pour les violences sexuelles», a déclaré l'un, car «plus du tiers» du personnel ou des étudiants a subi une violence sexuelle, a dit l'autre.

Or, ce rapport ne dit pas cela, même s'il en a l'air. Dans cette vaste recherche menée auprès de la communauté universitaire sur six campus du Québec, on a invité les gens à répondre à un questionnaire en ligne. On a retenu 9284 réponses.

D'entrée de jeu, l'échantillon n'a aucune valeur scientifique. Dans les sondages, il y a des règles pour la confection d'un échantillon, une manière de le composer, il doit être stratifié, enfin toutes choses que les chercheurs connaissent très bien.

Pas celui-là. Il est composé uniquement de répondants volontaires, n'est pas représentatif de la communauté étudiante et, surtout, n'est composé que des personnes ayant bien voulu y répondre.

Voilà ce qu'on appelle en jargon scientifique un «échantillon de convenance», comme le reconnaît en toutes lettres l'étude.

En conséquence, «on ne peut donc pas extrapoler les résultats à l'ensemble de la population universitaire». L'échantillon «ne permet pas de présumer de la représentativité» des répondants, reconnaît-on.

Si l'échantillon ne vaut rien, les résultats ne valent rien non plus, en toute logique, non?

Que signifient les données si l'échantillon est nul? Que veulent dire des pourcentages d'un échantillon qui ne veut rien dire? C'est un énorme vox pop.

Quand le rapport conclut que «36,9% des répondants ont subi une forme de violence sexuelle depuis leur arrivée à l'université», il donne l'impression de décrire une réalité statistique sérieuse. Or, ce n'est pas le cas.

Mais le message est passé, l'alarme est sonnée : il y a une sorte d'épidémie de violences sexuelles sur les campus.

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La prof Bergeron ne s'en cache pas : il s'agit ici autant de recherche que de militance. Car il n'y a pas qu'un problème d'échantillon. Il y a un problème de définition. L'étude sépare les violences sexuelles en trois catégories : harcèlement sexuel (subi par au moins 33,5% des répondants), comportement sexuel non désiré (18,3%) ou coercition sexuelle (3,1%). (Le total de 36,9% s'explique par le fait que plusieurs déclarent avoir subi plus d'une forme de violence sexuelle.)

Mais la définition du harcèlement sexuel ici est particulièrement large, comme l'expliquent les chercheuses. «En ne se limitant pas au harcèlement ou aux agressions sexuelles telles que définies par la loi, cette terminologie couvre un spectre plus étendu d'expériences. Au-delà de la brutalité physique, elle caractérise certains comportements de nature verbale et s'étend notamment aux cyberenvironnements. Elle s'inscrit également dans un paradigme qui permet de concevoir les violences sexuelles dans leur dynamique genrée, systémique et de continuum, comme le proposent de nombreuses chercheuses et militantes féministes [...].»

Ainsi, siffler une femme entre dans la définition de la violence sexuelle sous forme de harcèlement sexuel. Dévisager ou déshabiller quelqu'un au point de le rendre mal à l'aise aussi. Une blague sexiste. Une conversation non sollicitée sur la sexualité. Une simple remarque désobligeante sur l'apparence.

On est effectivement loin des définitions juridiques.

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L'étude observait également que 9 fois sur 10, la victime ne portait pas plainte aux autorités de l'université. En soi, le chiffre est alarmant et a aussi été abondamment répercuté dans les médias.

Quand on lit les raisons données, on réalise que près de 78,4% des gens n'ayant pas porté plainte estimaient que «la situation n'était pas assez grave». On imagine bien en effet qu'une blague de mauvais goût ou un regard oblique n'entraînent pas de plainte aux autorités.

Pas grave, les médias ne lisent pas la méthodologie, juste les gros chiffres.

Il n'en faut pas plus pour conclure que non seulement les universités québécoises sont un haut lieu de violences sexuelles, mais qu'en plus les victimes sont muselées.

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On me dira : que le chiffre soit représentatif ou non, quand 144 personnes disent avoir eu des relations sexuelles «alors [qu'elles ne le voulaient] pas», c'est grave. Quand 149 disent avoir subi «des conséquences négatives» parce qu'elles ont refusé d'avoir des relations sexuelles avec (essentiellement) un prof, c'est grave aussi.

J'en conviens tout à fait et il y a lieu d'agir, de faire des politiques, d'accueillir les victimes et de dénoncer les agresseurs.

Et ce serait 8% de personnes victimes de «violences sexuelles», ou 3%, ou 1%, ce ne serait pas banal non plus, et ça demanderait une action sérieuse.

La question n'est pas là. La question, c'est: pourquoi écrire des chiffres s'ils sont scientifiquement invalides? 

La réponse est simple: ce sont des chiffres rhétoriques. Ils ont pour but de dénoncer. Ils sont artificiellement gonflés pour cette seule et unique fin.

C'est le mérite des militants: faire bouger les choses en faisant du bruit. C'est plein de vertus. Ça se défend. Et ça fonctionne d'ailleurs: l'ex-ministre Hélène David a assisté au dévoilement de l'étude et a fondé sa politique dessus.

Mais ce n'est pas de la science.

Alors «scientifique de l'année», vraiment?

Pauvre science. Pauvre journalisme.