On l'associe à la culture rastafari, mais la « dreadlock » remonte à la plus Haute Antiquité égyptienne.

Fascinant, n'est-ce pas ?

En Inde, cette coiffure est également pratiquée depuis des temps immémoriaux, et Wikipédia vous dira que « le maintien de l'hygiène est nécessaire pour éviter que la chevelure ne devienne une masse inextricable atteinte d'une maladie appelée plique polonaise ».

Oui, madame, polonaise. Ça ne s'arrange pas, question amalgame.

Vous avez sans doute vu qu'un groupe culturel obscur a interdit l'accès à sa scène à l'humoriste Zach Poitras à cause de son look. Un Blanc qui porte des « dreads » fait de l'appropriation culturelle, lui a-t-on dit après délibération.

Il semble que les rastas eux-mêmes aient fait des emprunts aux Indiens, etc. Ce qui rend le raisonnement sur l'offense culturelle assez bancal, mettons.

Il n'en fallait pas plus pour qu'on entende des dénonciations médiatiques outrées, comme si la Civilisation occidentale allait être enterrée dans un sous-sol de l'UQAM. « Le Québec est en train de devenir fou ! », s'est exclamée une commentatrice.

Pas vraiment, non. Le Québec découvre, un peu après le reste de l'Amérique du Nord, le débat furieux sur l'appropriation culturelle. Et ce qui est fou, c'est de devenir fou pour ça. Ce qui est fou, c'est d'annuler un spectacle à cause de critiques à ce sujet. Ce qui est fou, c'est d'avoir peur de cette discussion-là. Même Poitras dénonçait les « opinions extrêmes » là-dessus. Arrêtez de capoter, en somme.

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Je suis allé voir SLĀV cette semaine, repris après l'annulation pendant le Festival de jazz. Betty Bonifassi, musicienne et chanteuse superbe qui interprète les chants d'esclaves depuis des années, s'est fait traiter injustement dans cette histoire. Il y avait quelque chose d'émouvant à la voir s'avancer sur scène avec sa canne, en boitant, blessée à une jambe depuis cet été - comme un symbole des blessures de ce faux scandale.

C'est surtout à cause du faible nombre de personnes de couleur dans la distribution que des manifestants avaient protesté. On a ajouté une choriste noire (sur six). On a modifié et « ajusté » l'histoire.

Mais le problème n'est pas là. Le problème, c'est que le spectacle ne tient pas la route. On a plaqué un scénario sur un show musical. Ça ne fait pas du « théâtre musical ». Ça fait des chansons. Et du pauvre théâtre pour essayer de lier tout ça.

C'est comme si on nous expliquait l'esclavage 101 sur un ton didactique à travers l'histoire d'une fille de Limoilou qui se découvre une ancêtre afro-américaine. Mais ce n'est pas vraiment l'essentiel, puisqu'il est aussi question d'Haïti et de danse africaine. Bonsoir les clichés.

Plus gênant : il est question des enfants « esclaves » irlandais, qui étaient en fait des travailleurs forcés, ce qui n'est pas du tout la même chose, tout en étant inhumain. Des historiens sont montés au créneau, d'autant que cette théorie de l'esclavage irlandais est un thème de l'extrême droite américaine pour avancer que, finalement, les Noirs ne sont pas les seuls à avoir souffert dans le passé...

Je veux bien que le spectacle soit essentiellement musical. Qu'il ait été monté avec toute l'empathie du monde et pas pour « s'approprier » ou utiliser la souffrance des autres. Ce n'est pas une raison pour présenter un texte aussi faible.

On dirait que Bonifassi s'est occupée de la musique - très bien. Que Robert Lepage a monté des tableaux, avec quelques machines typiques de sa manière - la clôture qui se transforme en chemin de fer, en prison, etc.

Et autour de ça, on a juste garroché une histoire puisqu'il le fallait, le tout assorti de « messages ».

Bref, c'est moins d'appropriation que d'improvisation culturelle qu'on peut accuser le texte.

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Revenons à l'appropriation culturelle. En principe, c'est un procédé par lequel des membres d'une culture dominante utilisent à leur avantage des éléments d'une culture opprimée. Soit pour la ridiculiser, soit d'une manière caricaturale, soit simplement en l'utilisant. Des Américains blancs qui font des « black faces » sur une scène. Des vêtements ou des coiffes amérindiennes dans un show rock. Etc.

Je me souviens des hauts cris qu'on poussait au Québec en lisant les descriptions que pouvait faire Mordecai Richler des « Canadiens français ». Je conçois que les membres d'une culture minoritaire veuillent se défendre des stéréotypes ou utilisations abusives, des visions colonialistes, etc. Il n'y a rien de risible là-dedans.

Mais à partir de quand est-ce qu'une « appropriation » devient un mélange culturel inextricable comme des dreadlocks ? Un hommage respectueux ? Il y a matière à discussion jusqu'à tard... Je n'en ai pas contre le concept, mais qui s'arroge le droit de décréter qu'une oeuvre est condamnable ? Ça aussi, ça se discute.

Le problème de la sous-représentation des minorités au théâtre et dans les arts est réel, on devrait s'en soucier. Mais c'est vrai aussi en politique, dans les médias et dans la fonction publique. On n'a pas à en faire porter le poids aux artistes ni à confondre ça avec l'appropriation culturelle. 

Le jeu de théâtre, par définition, consiste à jouer à l'autre. À aller dans son étrangeté, à la communiquer. Qui veut d'un art sans métissage ?

Ce qui me semble néanmoins plus exaspérant, c'est ceux qui sautent sur les excès de ce discours pour nous faire croire que « c'est rendu qu'on peut plus rien dire ». Franchement, si on se sent menacé par le discours de quelques militants, le problème n'est pas les militants.

La critique, même virulente, fait partie aussi de la vie culturelle, qui est un grand brassage parfois chaotique.

Faut arrêter d'avoir peur de la moindre controverse, par contre. Faut pas commencer à fermer les scènes à cause de cinq pancartes. Faut tenir à son oeuvre, autrement dit, la défendre, répliquer, s'expliquer. Et ça s'applique aux producteurs, aux institutions comme aux artistes.