Ce n'était qu'une petite défaite pour le président, mais elle aura servi à illustrer un grand principe : l'indépendance judiciaire.

Eh oui, ça existe encore, même dans les États-Unis de Donald Trump.

Vendredi, le juge fédéral Timothy Kelly, nommé par Trump lui-même, a donné raison à CNN dans sa poursuite contre la Maison-Blanche. La révocation de l'accréditation du journaliste Jim Acosta s'est faite en violation de ses droits constitutionnels; une nouvelle carte doit lui être délivrée.

Un «simple juge», non élu, qui remet le président à sa place. Ça semble presque héroïque ces jours-ci, mais ce n'est pourtant presque rien. Rien que de très normal, rien que le fondement même de la démocratie américaine : des pouvoirs qui se surveillent les uns les autres.

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On n'est qu'au stade préliminaire de la poursuite. Le juge Kelly ne s'est même pas prononcé sur une possible violation de la liberté de la presse. À cette étape, le juge constate simplement qu'on a retiré l'accréditation du journaliste de manière arbitraire. Or, le pouvoir exécutif (le président) est soumis à une obligation d'équité procédurale. À première vue, il a manqué à cette obligation constitutionnelle. Le seul avertissement que le journaliste a eu fut celui du président, qui l'a décrit comme un journaliste épouvantable à la fameuse conférence de presse post-élections. Par la suite, la Maison-Blanche a publié une vidéo truquée où l'on a accéléré le mouvement pour donner à penser qu'il avait touché à une stagiaire venue lui enlever le micro. Ces justifications après le fait ne tiennent pas la route.

Le juge n'a pas dit que les journalistes avaient un droit inaliénable à détenir pour toujours une carte de presse. Il ne s'est pas prononcé sur le comportement du journaliste. Simplement, à partir du moment où la Maison-Blanche distribue un certain nombre d'accréditations, elle ne peut les retirer sans un processus équitable et rationnel.

L'affaire n'est pas entendue sur le fond encore. La décision est temporaire. En attendant un jugement final, le juge ordonne qu'on redonne une carte de presse au reporter, dont les droits sont violés de manière irrémédiable jour après jour.

C'est quand même une leçon élémentaire de droit constitutionnel.

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Il n'y a rien d'extraordinaire ou d'audacieux dans cette décision. Elle suit des précédents sur le même sujet. L'intérêt n'est pas là.

L'intérêt, ces jours-ci, c'est le rappel de ce pivot de la démocratie américaine, de la démocratie tout court : la séparation des pouvoirs.

À force de parler des nominations politiques, on en vient à penser que les juges américains sont d'abord politiques et accessoirement magistrats. Que leur seul but est de tordre la loi jusqu'à ce qu'elle plaise au président qui les a nommés.

Donald Trump voit ainsi la justice, c'est un fait. Quand un juge rend une décision qui lui est défavorable, c'est que c'est un juge «démocrate» ou «mexicain» ou va savoir.

Jamais dans l'époque moderne n'a-t-on vu un président parler de manière aussi dégradante de la justice, attaquer personnellement des juges, ravaler la fonction judiciaire au rang d'exécutants de ses ordres. L'idée même qu'un «simple juge» puisse contrecarrer une décision du président est psychologiquement révoltante pour Trump.

Voilà en quoi ce jugement est pédagogique. Eh oui, les juges sont aussi là pour interpréter la Constitution, pour vérifier si les actions du président ou du Congrès sont valides. Leur serment veut encore dire quelque chose.

L'exercice n'est pas totalement aléatoire, politique ou intéressé. Il s'appuie sur des principes sculptés depuis quelques générations et qui ont survécu aux péripéties de l'histoire...

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Il y avait pourtant quelques portes de sortie juridiques pas tout à fait délirantes, dans cette affaire.

Après tout, la Maison-Blanche jouit d'une discrétion pour gérer le fonctionnement de la tribune de la presse dans ses murs et sur son terrain. Est-ce aux juges à s'immiscer dans la gestion des accréditations?

Un juge «politique» aurait facilement pu remettre à plus tard la décision, sans rétablir Acosta dans ses droits. D'ailleurs, CNN a plusieurs autres journalistes sur place.

Ça n'est pas arrivé. Ça donne à penser qu'au-delà des apparences politiques, il y a une culture juridique profonde qui est encore vivante et qu'on ne peut pas la bazarder si facilement. Ça donne à voir fonctionner normalement les mécanismes de défense fondamentaux des institutions démocratiques.

Ça donne à ne pas totalement désespérer de ce pays qui les a un peu inventés...