La crise politique des enfants migrants séparés de leurs parents nous concerne parce que c'est avant tout une faillite morale au plus haut niveau des États-Unis. Devant ce nouvel exemple d'un gouvernement aussi menteur, aussi corrompu moralement que l'est l'administration Trump, ce qu'on appelle « le monde libre » se trouve orphelin, qu'on le veuille ou non.

Hier, le maire de New York Bill de Blasio a appris que les autorités fédérales avaient installé depuis quelques jours une prison pour enfants de migrants dans sa ville.

Ils n'appellent pas ça une prison, et ils ont raison. Dans une prison, on peut au moins recevoir la visite de ses proches.

Il y a parmi les 239 enfants de ce centre un bébé de 9 mois arraché à sa mère. Il y a aussi des gamins qui ont été mis dans un autobus depuis la frontière mexicaine et ont roulé 3000 km jusqu'à New York. On ne sait plus où les fourguer, que voulez-vous.

Tout ça parce qu'au début du mois de mai, les États-Unis ont adopté cette politique de « tolérance zéro » : on arrête les migrants, on les emprisonne pour les accuser du crime d'avoir traversé la frontière. 

Mais on ne peut pas mettre les enfants dans de « vraies » prisons, alors on les met dans ces endroits grillagés loin de leurs parents. Auparavant, les migrants étaient libérés rapidement avec promesse de comparaître, mais bien souvent, ils prenaient la clé des champs. C'est ainsi qu'il y a 11 millions d'immigrants sans statut légal aux États-Unis. C'est ainsi qu'on en expulse régulièrement, y compris sous Obama. C'est ainsi que Trump veut construire un mur pour arrêter le flot. Et c'est ainsi, finalement, que le procureur général Jeff Sessions a mis en vigueur cette nouvelle politique au mois de mai, comme un avertissement : cessez d'utiliser vos enfants, on va vous les enlever. Sauf que si l'on fuit la violence au Honduras ou la pauvreté extrême au Mexique, c'est un risque qu'on est prêt à courir...

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Hier, Trump a signé un nouveau décret censé mettre fin à cette politique. Le texte n'est pas aussi radical. Il est question de détenir « les familles étrangères ensemble où cela est approprié et en accord avec la loi et les ressources disponibles ». Or, les ressources d'emprisonnement familiales ne sont pas disponibles, sinon on ne serait pas allé transbahuter ces enfants à New York. Bien hâte de voir la suite.

Toute la semaine, Trump a prétendu qu'il ne pouvait rien faire, que les autorités ne faisaient qu'appliquer la loi. Que c'était la faute des démocrates, qui empêchaient la réforme de l'immigration qu'il réclame - dont ce mur.

Pendant ce temps, d'autres ne se contentaient pas de dire « c'est pas de notre faute » : ils défendaient la politique de séparation.

Jeff Sessions, ce dévot méthodiste horrifié par les avortements, justifiait l'arrachement des enfants à leurs parents.

« On ne peut pas et on ne va pas encourager les gens à emmener des enfants en leur donnant la pleine immunité quant à l'application de nos lois. » Il ajoutait la semaine dernière que ces enfants reçoivent « de meilleurs soins que bien des enfants américains ». On sait depuis que les travailleurs sociaux manquent partout et que des adolescentes doivent enseigner à de plus jeunes comment changer les couches de bébés.

Le vieil hypocrite a même cité saint Paul dans sa 13e épître aux Romains, qui souligne l'importance de se soumettre à l'autorité, « car il n'y a point d'autorité qui ne vienne de Dieu ».

Ces gens poursuivent une mission divine, voyez-vous.

Une semaine plus tard, alors, quelle est la vérité ? C'est la faute des démocrates ? Non, puisque d'un trait de plume, Trump a donné l'impression d'annuler la directive de son procureur général. Et c'est un bon moyen de décourager les entrées illégales ou pas ? On disait que ces enfants étaient des criminels dans bien des cas, et qu'il fallait s'en méfier. Ce n'est plus vrai ?

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Cette crise dépasse les frontières américaines. Elle est seulement le dernier exemple de l'incompétence morale et politique de cette présidence.

Quand le président des États-Unis n'est plus fiable, quand il est incapable de rallier les pays démocratiques autour de principes communs, quand il attaque tous ses alliés, le monde entier est affecté, bouleversé. Cette crise le montre tel qu'il est : affreux.

Non pas qu'on soit passé d'une république vertueuse soudainement à un gouvernement d'affreux.

Ce n'est pas la première fois que les États-Unis se retrouvent face à la réprobation internationale. Du bombardement atomique de Hiroshima et Nagasaki à la guerre du Viêtnam et aux coups d'État en passant par les séances de torture de la CIA et la guerre en Irak, le pays le plus puissant au monde a été dénoncé tant et plus.

Simplement, jamais auparavant n'avait-on fait face à un gouvernement aussi ouvertement menteur, agressif envers ses meilleurs alliés, incapable de justifier ses décisions dans l'ordre juridique.

Il y a la Bible, un coup mal pris !

Donald Trump se fout du reste du monde, il ignore sans complexe ce qui se passe sur la planète. Le reste du monde n'a pas ce luxe-là. Comment faire un traité, comment faire avancer le monde, comment se protéger des menaces communes avec ça ?

Cette fois, il a retraité, probablement en voyant quelque sondage montrant que des segments clés de l'électorat - les femmes blanches républicaines de la banlieue de Dallas et de Columbus, mettons - rejetaient cette politique cruelle. Des gens qui savent très bien que ça ne venait pas de Dieu ou des démocrates, et qui peuvent le punir aux élections de mi-mandat.

Mais maintenant ?

De un, ce n'est pas réglé pour autant. De deux, ça va continuer comme ça, et pire encore.