Surpris? Évidemment, comme tous ses ex-collègues à La Presse, comme les gens de Québec solidaire eux-mêmes : personne n'avait «deviné» que Vincent Marissal irait un jour défendre les couleurs de la «gauche radicale».

Vincent récuse l'adjectif «radical», puisque l'égalité hommes-femmes, l'écologie, le progrès social n'ont rien en soi de révolutionnaire, dit-il. Mais QS est radical au sens premier, c'est-à-dire : qui entend aller à la racine des choses, pousser la logique politique plus loin... à gauche.

Tout le monde est surpris, et ses adversaires tentent déjà de le mettre en contradiction avec lui-même. Est-il vraiment souverainiste? Il a voté Oui en 1995, dit-il. Bien des Québécois ont voté Oui et sont affectivement souverainistes ou nationalistes. Mais ce n'est pas ce qui les définit politiquement. Et s'il a coché Oui en 1995 et au questionnaire de son nouveau parti, ce n'est pas le moteur premier de son engagement en 2018.

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Je n'ai jamais confessé mon ancien voisin de bureau et je n'aurais pas pu dessiner son programme politique intérieur, ce «pour» quoi il était. Mais dans tout ce «contre» quoi il était ces dernières années, deux choses ressortent à mes yeux : le conservatisme à Ottawa (moral, fiscal) et le nationalisme identitaire à la sauce charte des «valeurs» Drainville-Lisée.

Il ne me semble pas inconcevable ni immoral qu'il ait flirté avec l'idée de se présenter avec les libéraux de Trudeau. Qu'il les ait appelés, «textés» ou télégraphiés, ça ne change plus grand-chose ce matin : il n'est pas allé de ce côté-là. Il a fait son choix et il devra le défendre.

Quand on l'interroge sur les détails du programme de QS, il s'en tire pour le moment avec des esquives : on peut «au moins débattre» de la nationalisation des ressources naturelles - ce qui est bien vrai, «ça se discute», quand on songe au saccage de nos forêts et de certaines ressources. Il y a cependant bien des chapitres du programme qu'il n'aurait pas écrits, c'est l'évidence.

Et alors?

Fort peu d'êtres humains peuvent enfermer leurs idées politiques dans le programme d'un parti. Seuls les militants les plus fervents, les militants de la militance comme je les appelle, imaginent un programme politique comme un catéchisme inaltérable, où toutes les questions fondamentales trouvent leur réponse nécessaire et définitive.

Inutile de recourir à sa déformation professionnelle de journaliste. Les gens que je connais votent contre un gouvernement, pour certaines idées, pour une personne, pas pour un livre de foi.

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Jean-François Lisée et plusieurs compagnons de route ont dénoncé sur un ton outré cette candidature qui va «diviser» le vote. Le vote antilibéral et le vote souverainiste.

D'abord, Vincent Marissal habite la circonscription. S'il était allé ailleurs, on l'aurait accusé de faire du parachutisme électoral. On ne dira pas non plus qu'il est dans un «comté sûr» ou qu'il s'est trouvé une sinécure dans un parti politique au pouvoir pour quatre ans - précisons cependant qu'il est embauché comme salarié à titre de consultant par l'aile parlementaire de QS.

Ensuite, on n'est pas obligé de se suicider politiquement par principe avant même d'être né. 

Il y a fort peu de circonscriptions où QS a des chances de l'emporter à Montréal. Deux, peut-être trois. Rosemont est l'une d'elles. 

Bien des gens du Nouveau Parti démocratique et de Projet Montréal dans le quartier ont l'intention de contribuer à l'élection d'un quatrième député.

Plus fondamentalement, il y a dans cette objection de «division du vote» l'esprit opportuniste qui a poussé bien des électeurs hors du PQ. Battre les libéraux, OK, mais pour quoi faire? Aux dernières élections, le PQ professait le déficit zéro, le développement pétrolier au Québec et tenait un discours pas si... radicalement opposé au Parti libéral. Il a fini par se choisir Pierre Karl Péladeau comme chef, dont on dira ce qu'on voudra, mais certainement pas qu'il s'est campé à gauche dans l'imaginaire politique québécois...

Quant à la souveraineté, elle n'est tellement plus à l'ordre du jour que le parti a promis de ne pas faire de référendum en cas de victoire. Et avec ses nouveaux habits, le parti voudrait faire un procès de pureté idéologique au nouveau candidat de QS?

Le nationalisme identitaire et la «charte» du PQ n'ont peut-être pas fait perdre les élections à eux seuls au PQ en 2014. Mais ils lui ont fait perdre beaucoup de crédibilité et de votes dans des circonscriptions urbaines. Ce n'est pas pour rien que les libéraux sont arrivés deuxièmes dans Rosemont en 2014. Mais quoi qu'en dise M. Lisée, ça ne risque pas de se reproduire, vu l'état du PLQ. Dans Rosemont, ce qui se dessine, c'est PQ contre QS.

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Québec solidaire s'est formé pour faire avancer des idées, pas pour prendre le pouvoir à tout prix. Et il se trouve qu'il a réussi à faire entendre sa voix d'opposition, et de mieux en mieux. Son programme est largement rejeté par la majorité au Québec, si on se fie aux sondages. Mais ceux qui votent pour lui votent par conviction et pour faire entendre d'autres voix à Québec. C'est donc une très mauvaise tactique péquiste que de dénoncer une candidature avec des arguments... tactiques. Cette mentalité d'enfermement, d'alternative politique binaire et éternelle, elle a fait fuir plein de militants vers d'autres cieux politiques, d'autres exils, dirait Jean-Martin Aussant.

L'électeur comme le candidat n'est plus condamné à choisir entre le bleu et le rouge.