Dans une salle de maquillage avant une émission de télé, nous sommes quelques-uns à écouter cette avocate bien connue parler de sexe avec la truculence qui est sa marque de commerce.

Elle se tourne vers l'un d'entre nous et lui vante les bienfaits du sperme pour combattre les rides du visage. Rires gras un peu forcés et claquages de main sur les cuisses s'ensuivent. Faudrait quand même pas avoir l'air trop coincé.

On n'est pas entre amis dans une soirée arrosée. On est dans un contexte professionnel, dans les coulisses d'une émission d'affaires publiques.

Je n'ai pas été scandalisé. Mais je ne la trouvais pas drôle. Veux, veux pas, des images vous viennent à l'esprit, et dans ce cas précis, pas particulièrement ragoûtantes. Je me suis dit : et si c'était un homme qui tenait ce genre de discours ? Mettons un de ces hommes qu'on appelait des « ténors du barreau », avachi dans son fauteuil de maquillage, qui tenait le même discours à une femme ?

Ce ne serait ni plus ni moins acceptable. Mais ce serait plus évident que ce n'est pas acceptable. Ça aurait immédiatement les couleurs du harcèlement sexuel. Mais une femme ? Pour rire ?

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Je repensais à cette scène cette semaine en voyant le débat autour du baiser volé de Katy Perry.

La scène se passe sur le plateau d'American Idol. Un garçon de 19 ans vient présenter sa toune avec sa guitare. Il vient d'une famille conservatrice de l'Oklahoma - une sorte de pléonasme, diront certains. Un des juges de ce concours d'amateurs lui demande s'il a déjà embrassé une fille - allusion à une chanson de Perry, qui est une des juges. Non, jamais, répond-il. Il attend d'avoir « une relation ». Perry le somme de venir à la table des juges. Les autres juges mettent de la pression. Il lui donne un petit bisou sur la joue. Mieux que ça, lui dit-elle. Et comme il va attaquer l'autre joue, elle tourne la tête et l'embrasse sur les lèvres.

Il n'a pas apprécié son geste. On en rigolera sûrement dans bien des milieux : 19 ans et jamais embrassé... Mais il se trouve que pour lui, ça compte.

Le débat ensuite a fait rage. Les uns ont pris la parole pour dire que c'était banal. Les autres pour dire que c'était du harcèlement, voire une agression sexuelle, car « si un homme avait fait ça »...

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C'est vrai, si un homme avait fait ça, comme ça, il aurait été congédié sur-le-champ, menacé de poursuite et exilé en Oklahoma.

Vrai aussi, de l'avocate on ne dira pas qu'elle harcèle les hommes. On lui reprochera son mauvais goût.

Il y a donc effectivement un système d'évaluation de deux poids, deux mesures en matière de harcèlement sexuel. Il est en partie dû au préjugé selon lequel un homme ne peut être victime de harcèlement sexuel ou d'agression sexuelle de la part d'une femme. Un préjugé que partagent étonnamment les machos tout près de l'ère jurassique et certaines féministes.

Entendez les blagues quand une prof est accusée d'agression sexuelle pour avoir couché avec un élève de 13 ou 14 ans : ben voyons, c'est pas une agression, c'est un fantasme. L'impact peut pourtant être tout aussi dévastateur.

Les mêmes rires accueillent l'information sur les hommes victimes de violence conjugale de la part de leur conjointe : franchement, une moumoune !

Et pourtant, même si c'est marginal, ça existe et devient d'autant plus inavouable que c'est vu comme une chose sans conséquence.

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Mais il y a une autre raison, et une très bonne, pour laquelle il y a deux poids, deux mesures. J'écarte les cas de violence auxquels je viens de faire allusion. En règle générale, pour être vraiment comparable à celui des hommes, il manque ceci à l'abus de langage féminin : la peur.

Je n'aurais pas vraiment envie de faire un voyage en ascenseur avec mon avocate du début. Mais je n'aurais pas peur.

Ça ne rend pas son discours plus acceptable. Ça le rend objectivement moins troublant, pour cette raison physique élémentaire. Autre chose, les femmes « qui font ça » sont rarement dans des positions d'autorité ou de pouvoir.

L'ennui avec ce sujet, c'est qu'il est généralement exposé non pas pour lui-même, mais pour faire contrepoids à un certain discours féministe. Comme un eurêka conservateur, une sorte de défense opposée à un #metoo menaçant. Comme si c'était kif-kif, mais que ça, « personne n'ose le dire ».

Ce n'est pas kif-kif. Le harcèlement, les agressions sont très, très largement le fait des hommes.

Ça ne rend pas les baisers volés à heure de grande écoute acceptables, ni comiques les « jokes de mononc' » version féminine.

Mais quelques cas bien réels ne permettent pas de faire marcher les statistiques sur la violence la tête à l'envers.