Il y a une sorte de génie à faire voter les gens dans les écoles. Vous entrez par la cour, les paniers de basket sont à hauteur d'enfant. On regarde les chaises et tous les objets miniatures. On fait la queue, on lit les numéros écrits au crayon-feutre... District 7? C'est par ici...

Même si c'est par pure commodité, parce qu'il y a de nombreux édifices publics scolaires, le fait d'aller dans un petit temple de l'éducation dit au citoyen qu'il vote pour ceux qui viennent après lui.

Ainsi, hier après-midi, au Collegi Dominiques de l'Ensenyament, à l'ombre de la Sagrada Família, une foule silencieuse allait faire un trait de crayon sur un morceau de papier. Certains avaient le ruban jaune en soutien aux «prisonniers politiques». D'autres venaient en famille. Une jeune femme tenait par le bras sa grand-mère. Des grands-parents emmenaient leurs petits-enfants en congé, car il était encore tôt et les parents travaillaient.

Enfin, bref, il n'était pas seulement question d'indépendance hier, aux élections catalanes.

Tout ce défilé de gens qui viennent s'exprimer politiquement, cet acte banal, mécanique, minuscule et magnifique, était aussi l'objet du vote hier en Catalogne. Juste... voter. Le droit de voter, qu'ils ont senti leur échapper le jour du référendum «illégal», qu'au lieu de se contenter de ne pas reconnaître, le pouvoir central a combattu avec sa police.

Mauvaise stratégie, comme on a vu...

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Si les partis indépendantistes ont obtenu une majorité de sièges, ils n'ont pas pour autant obtenu une majorité de voix, hier. Mais avec un chef de parti en prison (Junqueras) et un autre à Bruxelles (Puidgdemont), si vraiment ils ont amélioré leur sort dans ce paysage politique morcelé, c'est pour ça. Pour le droit de voter. C'est parce qu'assez de gens ont été assez choqués par l'intransigeance de Madrid pour dire cela.

Ce n'est donc peut-être pas la victoire pour l'indépendance catalane, comme l'ont proclamé certains, mais c'est assurément une défaite pour la politique espagnole.

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Le parti qui arrive en tête est le parti libéral Ciudadanos, opposé à l'indépendance - il n'aime pas le terme «unioniste» et préfère le qualificatif «constitutionnaliste», pour marquer un attachement à l'État de droit. Avec plus d'un million de voix, il obtient 36 des 135 sièges de la législature de la communauté autonome de Catalogne. Les sondages le donnaient gagnant, mais n'avaient pas montré la force du parti du président déchu Carles Puigdemont, arrivé deuxième avec 34 sièges, même s'il a obtenu moins de 900 000 voix. Avec les 32 sièges de la gauche républicaine (ERC), dont le chef Oriol Junqueras est en prison en attente de son procès pour sédition, plus la gauche radicale qui obtiendrait quatre sièges, on arrive à 70. C'est donc une majorité absolue.

Outre le fait que les deux principaux partis souverainistes se déchirent sur la place publique, on se demande comment on pourra former un gouvernement avec un chef en exil à Bruxelles, qui est menacé d'arrestation dès son entrée en Espagne, et le numéro deux derrière les barreaux.

Mais sur un point, il n'y a pas tellement de doute : le président du gouvernement espagnol conservateur Mariano Rajoy a échoué sur toute la ligne.

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Flash-back sur l'automne catalan : la coalition au pouvoir depuis 2015 organise un référendum pour le 1er octobre. La Cour constitutionnelle a déclaré à maintes reprises l'exercice illégal et contraire à la Constitution espagnole, qui affirme l'indivisibilité de l'Espagne. Les leaders souverainistes tiennent quand même le référendum. Seuls 42% des inscrits se rendent voter, essentiellement les indépendantistes (90% de «Sí»). Mais on assiste à des scènes de brutalité de la part des policiers, qui tentent de fermer les bureaux de vote, qui saisissent des urnes, poussent des gens, en frappent et en blessent.

Après ces scènes disgracieuses, incroyables dans le contexte européen moderne, le pouvoir catalan se déclare tout de même légitimé de proclamer l'indépendance de la Catalogne - sans le moindre soutien international sérieux, vu les conditions chaotiques et non fiables du vote, sans parler de son aspect officiellement «illégal».

Madrid utilise alors un article d'exception de la Constitution (155), limoge tout le gouvernement, dissout le Parlement, déclenche des élections, tenues hier. 

Parallèlement, la justice espagnole lance des accusations contre les dirigeants politiques pour détournement de fonds publics (dans l'organisation du référendum) et, plus grave, sédition. D'où les quatre détenus, plus huit autres accusés, et les quatre de Bruxelles, qui ne perdent rien pour attendre s'ils prennent le train pour Barcelone...

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Le pari de Rajoy était de repartir sur de nouvelles bases, avec un Parlement respectueux de la Constitution. Il faut comprendre que dans un pays qui a connu plusieurs guerres civiles et une dictature de 40 ans ayant pris fin seulement avec la mort de Franco en 1975, l'idée de respect de la Constitution n'est pas un point de détail. C'est l'essence même de l'Espagne moderne : un pays fondé sur l'État de droit.

Si cette approche rigide a plu à la grande majorité dans le reste du pays (et à une bonne partie de la Catalogne), elle a échoué lamentablement hier.

Le résultat est pire pour Rajoy et le pouvoir à Madrid que ce qui était annoncé. 

On croyait à une sorte d'égalité entre deux blocs égaux, pro- et anti-indépendance. On arrive - si les résultats sont confirmés - avec une majorité parlementaire menée par deux bannis... Les représentants locaux de son propre parti sont totalement désavoués et récoltent autant que la gauche radicale : quatre petits députés.

L'approche légaliste rigide vient de «frapper un mur», les acteurs politiques sont dans une situation de négociation impossible et, ce matin, personne ne sait comment sortir de la crise.

Mais quoi qu'on pense du projet fragile et douteux de sécession catalane, le résultat d'hier est avant tout l'échec du président du gouvernement Rajoy.