À quoi riment des diminutions d'impôt s'il reste encore des écoles à reconstruire ? L'une n'empêche pas l'autre, vous dira-t-on. Avec des surplus de 2,4 milliards, on peut faire les deux !

On peut faire les deux, oui, si on saupoudre des baisses ici et qu'on rénove des systèmes là, et qu'on fait les choses à moitié, superficiellement. Il y a tant à rénover pour le Québec de demain et d'aujourd'hui, des écoles primaires aux universités... au système de justice... Il y a tant à faire que je ne vois pas l'urgence de diminuer les impôts de plus de 1 milliard, à part l'urgence électorale...

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On vous parle d'éducation et de services sociaux, avec raison. Je donne un exemple d'un domaine que je connais un peu : la justice.

Il y a deux semaines, un juge de la Cour supérieure, Clément Samson, est allé prononcer un discours devant tout l'appareil du ministère de la Justice. Il y avait ce jour-là, à l'Université Laval, la ministre Stéphanie Vallée, la sous-ministre et des dizaines de gestionnaires du Ministère. Ils ne s'y attendaient pas, mais ce juge a secoué les puces du Ministère.

Son message ? Ce serait peut-être le temps de changer de siècle... Ce système où tous les dossiers doivent être constitués en papier, en pure perte, est désuet, inefficace, trop coûteux pour le citoyen, injuste, en somme.

Voyez un peu. Les avocats écrivent évidemment leurs procédures sur support informatique, et non (hélas !) avec une plume d'oie. Mais on fait encore semblant et on exige que tout soit physiquement visible et transportable avec des mains.

Le jugement lui-même, tout aussi évidemment écrit sur un ordinateur, est livré sur papier... que l'avocat va numériser pour le transmettre à son client par courriel !

« Tout doit être fait en double : version papier et électronique. Vous rendez-vous compte du coût que cela représente ? » a demandé le juge Samson.

Pour l'essentiel, le système judiciaire n'a pas connu la révolution informatique des 25 dernières années. Le Québec a pourtant été un pionnier en matière d'informatisation, avec un « plumitif » qui permet de garder la trace de toutes les causes depuis 1975. Mais pour le reste, le système fonctionne comme il y a 50 ans, que dis-je : 100 ans.

« Les embûches sont ahurissantes », dit le juge Samson. S'il veut entendre une cause urgente par téléphone, il n'a pas accès à deux prises fonctionnelles... Impossible aussi d'enregistrer les conférences de règlement sans aller dans une salle d'audience, où un greffier doit être mobilisé, s'il est disponible. Alors qu'évidemment, le monde entier est capable de tenir et d'enregistrer des conférences téléphoniques sans autre forme de procès.

Les avocats continuent à fournir sous forme papier des piles de jugements et des procédures. Les pièces doivent encore être photocopiées.

Les déplacements en pure perte sont quotidiens. Les avocats doivent se présenter en cour pour une remise - en facturant au client ce temps inutile - alors qu'un courriel pourrait régler l'affaire. Etc.

Tout ça, évidemment, augmente les coûts et les délais et entraîne une perte d'efficacité et de confiance envers le système. Pour le moderniser, il faudrait y investir des sommes conséquentes - pour autant qu'on ne donne pas le contrat informatique à des faiseurs de système Phénix...

« Je rêve d'une gestion en mode numérique qui fait disparaître tous les chariots de nos palais de justice. Je rêve d'un système de justice où les grosses valises des avocats sont remplacées par de plus petites qui contiendront principalement un ordinateur. »

Bref, le temps est venu de « dématérialiser » la justice, afin qu'elle se concentre sur l'essentiel : régler les litiges.

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Ce rêve est une réalité dans d'autres pays, dit-il. On pourrait ajouter qu'ici même, au Tribunal administratif du travail, financé en bonne partie par les employeurs, le système est informatisé au complet. Les délais y sont décents et les formalités, réduites au maximum.

C'est une tout autre histoire dans les cours de justice traditionnelle et même au Tribunal administratif du Québec, qui a des délais monstrueux même s'il est censé incarner une justice plus légère, plus près du citoyen...

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Le juge Samson n'est pas juge en chef, même pas gestionnaire à la cour. Mais c'est un ancien administrateur du Mouvement Desjardins, qui est arrivé tout juste derrière Monique Leroux quand elle a été élue présidente. C'est donc un gestionnaire dans l'âme, en plus d'être nettement plus techno que la moyenne des magistrats.

Ce discours qui en a défrisé quelques-uns au Ministère me semble porter deux idées plus urgentes que les baisses d'impôt, me semble-t-il. Premièrement, même si c'est involontaire : la gestion étant devenue une science, et les systèmes, très complexes, on ne devrait nommer à la tête des tribunaux que des gens rompus aux principes d'efficience et d'efficacité, ou du moins capables de s'y former et de bien s'entourer ; je veux dire des gens tout entiers obsédés par une seule chose : rendre les meilleurs services aux gens. Nommer plus de personnel, c'est bien quand il faut attendre deux semaines pour seulement voir une cause apparaître dans le système informatique (parce qu'il manque de fonctionnaires pour traiter le « papier »). Gérer autrement, c'est-à-dire rendre tout ça informatiquement intelligent, c'est nécessaire.

La deuxième idée, assez claire celle-là : à force de sous-investir dans les systèmes, routiers, éducatifs ou de justice, ils se dégradent et ils forment un déficit invisible.